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Pascal: La raison peut-elle faire l'économie de la croyance ?

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Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le coeur ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement qui n'y a point part essaye de les combattre. [...] Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvements, nombres, [est] aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du coeur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours. (Le coeur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit le double de l'autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies.) Et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au coeur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, qu'il serait ridicule que le coeur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre, pour vouloir les recevoir. Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humilier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s'il n'y avait que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n'en eussions, au contraire, jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment ! Mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a, au contraire, donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement. Et c'est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du coeur sont bien heureux, et bien légitimement persuadés. Mais ceux qui ne l'ont pas, nous ne pouvons la [leur] donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de coeur, sans quoi la foi n'est qu'humaine, et inutile pour le salut.

« Le plus souvent, avoir raison, c'est s'imaginer que l'on dispose d'une opinion certaine ou que l'on peut l'imposer par la persuasion ou la force : " avoir le dernier mot ".

Mais une telle conviction apparaît vite comme peu solide et nous conduit au relativisme : chacun a raison s'il croit avoir raison.

D'où la tentation de chercher dans la sensation un critère plus fiable de la vérité.

Hélas la sensibilité ne nous permet pas davantage d'échapper au relativisme.

En tout ceci, la raison risque de prendre l'apparence d'une opinion parmi d'autres.

Toutefois, comme en science, l'idée de prouver ou de démontrer peut nous sauver de l'incertitude, bien que là encore le vrai puisse souvent devenir faux. Les données sensibles, plus immédiates et passives, permettent d'appliquer des raisonnements par induction dont la pertinence logique est tout aussi incertaine que ceux de la déduction.

Ce qui nous fait soupçonner que les erreurs des sens pourraient parfois être des illusions de la raison elle-même.

Cette dernière n'est-elle qu'un artifice ? Passer de l'idée d'avoir raison à la raison met en lumière l'importance de l'activité proprement argumentative de la raison.

On peut en gros distinguer trois acceptions principales du mot raison : 1) la raison est la faculté qui nous rend capable de réfléchir, de penser, de raisonner.

2) Elle est le motif d'une action,l'argument d'une idée, ou la cause d'un fait.

3) « Raison apparaît enfin dans « avoir raison «, qui indique une conformité — du reste assez problématique — entre le sentiment de certitude et la vérité. On peut penser que la raison laisse échapper tout un domaine de la vie humaine : celui de la conscience esthétique, et plus généralement la vie affective et les sentiments.

D'autre part la raison est conditionnée par divers éléments culturels et éducatifs qu'elle ne sait plus interroger.

Mais peut-elle faire l'économie de l'acceptation, de la confiance a priori, de l'acte de foi, et tout remettre en question ? La raison peut toutefois s'efforcer de mettre sous son pouvoir, sous sa juridiction, les autres facettes du psychisme.

La question reste de savoir si une maîtrise rationnelle constitue pour l'homme un asservissement ou une libération.

Une telle prétention est-elle bien raisonnable ? Qu'il soit question d'un exemple ou d'une idée, il s'agit de raisonner, d'approfondir pour COMPRENDRE / EXPLIQUER et justifier nos pensées.

Toutefois la raison ne semble pas nous mettre à l'abri des contradictions.

Celles-ci proviennentelles des choses, ou serait-ce la raison elle-même qui les introduit en elles ? La raison contredit-elle les données de la sensation ou se contredit-elle elle-même ? Le cas par cas du sensible doit-il primer sur l'universalité de la raison ? Si la raison semble fiable en géométrie, est-elle valable dans tous les domaines ? Sur ces dilemmes repose le conflit entre pratique et théorie.

Mais même si c'était la pensée seule qui était contradictoire, faudrait-il pour autant renoncer à raisonner ? La fonction de la raison ne se limite pas à son pouvoir de connaissance, elle a aussi un usage pratique, c'est-à-dire qu'elle énonce également des règles de conduite, valables pour l'action.

On l'oppose à la sensibilité, mais cette dernière nous fournit aussi des éléments utilisables pour régir nos comportements.

Des jugements sont portés, fondés sur des rapports établis par la raison ou l'expérience, qui déterminent entre autres le bien et le mal, le vrai et le faux.

La raison intervient également dans le domaine esthétique : elle se combine avec la sensation pour constituer notre expérience de la beauté.

Mais si la raison est présente dans le monde, si elle en est la cohérence, mieux vaut se méfier de son apparente toute-puissance.

Pour cela il s'agit de mieux la connaître et de la mettre en oeuvre. Pascal: Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le coeur ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement qui n'y a point part essaye de les combattre.

[...] Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent.

Car la connaissance des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvements, nombres, [est] aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent.

Et c'est sur ces connaissances du coeur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours.

(Le coeur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit le double de l'autre.

Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies.) Et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au coeur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, qu'il serait ridicule que le coeur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre, pour vouloir les recevoir. Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humilier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s'il n'y avait que la raison capable de nous instruire.

Plût à Dieu que nous n'en eussions, au contraire, jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment ! Mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a, au contraire, donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement. Et c'est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du coeur sont bien heureux, et bien légitimement persuadés.

Mais ceux qui ne l'ont pas, nous ne pouvons la [leur] donner que par raisonnement, en attendant que Dieu. »

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