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Opposition entre vie publique et vie privée ?

Extrait du document

« Les expressions a vie privée et « vie publique sont couramment employées dans des formules telles que: « La vie privée des gens ne nous regarde pas a ou encore : sacrifier sa vie privée à sa vie publique.

C'est généralement à propos de personnages célèbres, qu'on use de l'expression de a vie publique ».

Dans de telles formules existe, sous-jacente, une opposition.

Domaine privé et domaine public ne semblent pas pouvoir être susceptibles des mêmes références de jugement. Lorsque nous connaissons un homme par relations d'affaires ou fréquentation obligatoire dans l'exercice de fonctions, il nous arrive de porter un jugement sévère.

Nous le caractérisons soit par son intransigeance, soit par son irritabilité, par des défauts qui rendent les rapports avec lui difficiles, parfois pénibles.

Un beau jour, nous rencontrons quelqu'un qui le connaît « dans le privé » et qui déclare que cet homme est affable, souriant, plein de tendresse pour ses proches, à notre grande surprise.

On dirait qu'il ne s'agit pas du même homme.

Notre surprise vient de ce que nous découvrons soudain un autre visage, ignoré de nous, si bien qu'il nous semble ne pas avoir saisi la réalité de cet être, ou encore nous concluons que cet être est double. Ici, nous pouvons remarquer que la connaissance de la vie privée semble plus importante, plus fondamentale.

Non seulement nous admettons une opposition entre les deux domaines privé et public, mais, du point de vue de la connaissance des êtres, nous accordons une plus grande valeur à la connaissance de la vie privée.

Celle-ci nous paraît plus authentique. De cette opposition, nous allons tenter de découvrir les raisons, et nous les apprécierons au fur et à mesure. Nous venons de voir que privé' et public se situent à des niveaux différents de la connaissance.

Nous connaissons beaucoup de gens à qui nous avons affaire quotidiennement.

Quand nous disons les connaître, c'est d'une façon superficielle, occasionnelle, dont la référence se situe au niveau de notre activité personnelle.

L'appréciation que nous portons reste donc fort subjective, déterminée par les services qui nous sont rendus ou par une attitude déterminée à notre égard. Dans d'autres cas; il s'agit de personnages que nous rencontrons dans des lieux où ils se sentent et se savent regardés.

Ils n'ont d'autre apparence pour nous que celle qu'ils ont pour tous, dans un rôle qu'ils jouent.

Nous ne voyons d'eux que ce que chacun en peut voir. Nous appelons vie privée ce qui nous est caché, auquel, pour accéder, il est nécessaire d'être un familier du personnage.

La connaissance de la vie privée est plus rare ; elle repose sur une fréquentation plus constante.

Il faut, comme on dit, « pénétrer » dans la vie privée.

Il apparaît entre la connaissance de la vie publique et celle de la vie privée une sorte de barrière, barrière de la maison, du a chez soi », que l'on n'est admis à traverser que si l'on compte parmi les intimes.

Rares sont les cas où l'on peut surprendre la vie privée de quelqu'un à l'improviste. La vie privée, c'est donc ce qui échappe d'ordinaire à notre investigation, c'est la façon d'être d'un homme lorsqu'il ne se montre pas.

Une telle définition, reposant au fond sur une ignorance, est dangereuse.

Elle reste trop vague.

Peut-on savoir où commence et où finit la vie privée ? Contient-elle toute activité, à l'exclusion des fonctions publiques ? Ne doit-on pas l'étendre à la vie sociale elle-même ? Ou encore, n'y a-t-il pas une connaissance de la vie privée différente, si l'on se place à des points de vue divers, celui de la femme, celui des enfants, celui des amis, celui des proches ? Il y aurait ainsi des degrés dans la connaissance de la vie privée, et, de degré en degré, nous arrivons à la vie intime, et même à la vie intérieure de la conscience.

Si nous essayons de forcer les barrières de la vie privée, en la dépouillant de tous les apports de la vie sociale, ne parviendrons-nous pas à une conscience démunie de la richesse de tous ses rapports avec autrui, véritablement privée, c'est-à-dire privée de sa substance vivante, abstraite ? Ce qui nous échappe dès que nous essayons de préciser une délimitation, c'est une caractéristique objective.

L'homme n'a pas, à cet égard, une nature double. Si la connaissance par un tiers aboutit à une impossibilité de délimitation précise, nous pouvons tenter de saisir l'opposition, en nous plaçant sous l'angle de notre conscience.

On parle, en effet, de conscience privée.

Qu'appelons-nous, nous-même et pour nous-même, notre vie privée ? Sans doute est-ce d'abord ce qui ne regarde pas les autres, ce que nous jugeons personnel, un domaine que nous estimons inviolable. Il est, par exemple, un ordre de questions auxquelles nous ne voulons pas répondre, publiquement, nos opinions parfois, nos sentiments presque toujours. Notre vie privée, ce sont des êtres et des choses qui forment un domaine à part et constituent un champ d'activité où des rapports étroits nous lient à un monde prochain et familier.

Dans la conscience, cela se traduit par des sentiments particuliers, et du fait des objets qui en sont le prétexte, et du fait du sujet, c'est-à-dire de nous-même. L'objet fait partie d'un univers-mien ; cette chambre est ma chambre, ces livres, mes livres.

C 'est là que j'ai l'habitude de vivre, ces objets sont d'usage quotidien.

L'objet mien, je le possède et sa proximité me donne vis-à-vis de lui un sentiment d'appartenance absolue.

Le complexe de liaisons socialisées semble avoir disparu.

C es objets miens ont acquis une sorte de stabilité, de permanence, et ils constituent ma vie dans un univers, étroit certes, mais sans médiation.

De la même façon j'ai, dans ma conduite, vis-à-vis des êtres qui me sont proches, le sentiment de m'appartenir.

Mon action ne dépend que des seules déterminations de ma subjectivité.

Les contraintes extérieures sont supprimées. Ceci explique qu'un personnage plein de dignité ou d'énergie dans « le public » se révèle faible et versatile dans « le privé ».

Ou encore qu'un homme d'une grande rigueur morale dans « le public » mène une vie privée qui est un défi à cette même morale.

Tel qui n'est qu'obséquiosité et soumission dans ses rapports avec autrui se révèle chez lui un tyran autoritaire, sans mesure ni frein, vis-à-vis des siens. L'analyse met donc en évidence une sorte de compensation entre l'activité publique et l'activité privée, qui peut prendre l'aspect de sentiments contradictoires.

Tout se passe comme si la vie privée n'était qu'un domaine restreint, où l'individu agit selon sa volonté, quelquefois selon ses caprices.

Au niveau de la conscience, nous appelons vie privée ce que nous pensons et faisons sans nulle préoccupation du jugement d'autrui sur nos actes.

Nos sentiments, cependant, s'entremêlent, et notre vie sociale retentit, négativement ou positivement, sur notre conduite privée.

Le personnage que nous sommes réagit sur notre personne ; de la même façon, la personne privée transparaît sous le masque du personnage. La vie publique d'un homme est toujours une entrée en scène.

Nous nous sentons' sous les regards d'autrui et nous nous conformons aux exigences de la vie sociale.

Nous sommes, par exemple, obligés d'adopter une tenue « correcte », un comportement « convenable ».

A ussi est-ce toujours avec surprise que nous retrouvons un personnage « officiel » vêtu dans sa vie privée en négligé.

On dit alors qu'il s'est mis à l'aise, ce qui laisse entendre qu'ailleurs ses fonctions l'obligeaient à se tenir « guindé ».

Notre vie sociale prend un caractère d'obligation, de contrainte. La vie privée, ce « quant à soi » que chacun se ménage, apparaît comme un effort pour échapper aux contraintes de la vie sociale ; elle est le domaine de la liberté.

Tantôt cette liberté se confond avec le loisir et les occupations favorites.

Tantôt elle est détente et repos après un travail nécessaire à la vie quotidienne.

Elle peut devenir licence, comme libération de tout ce que la vie sociale comprime, refoule, de tendances, de désirs, d'appétits.

Lorsque la vie morale est fonction de l'opinion publique dont l'individu, pour divers motifs, redoute les sanctions, l'insuffisante intériorisation de la morale conduit à des excès privés, en contradiction flagrante avec la vie publique.

Notre vie privée, c'est le lieu où, à tort ou à raison, nous nous sentons les maîtres de nousmêmes et de 'ce qui nous entoure.

Là où il n'y a pas d'interdits sociaux, c'est-à-dire dans la sphère de notre activité qui échappe à l'emprise sociale, certains sont amenés à confondre le permis et le bien, parce que manquent les sanctions, conséquences des actes. Si du point de vue de la connaissance objective, comme du point de vue de la conscience personnelle, l'opposition s'estompe entre vie publique et vie privée, il n'en est pas de même en ce qui concerne le sentiment de liberté, — ou de contrainte — qui accompagne, l'un nos actions privées, l'autre nos actions publiques.

Ce réel divorce, qui apparaît à certaines époques, est la conséquence d'une opposition entre la structure sociale existante et les conditions sociales de l'épanouissement personnel.

Il y a là un désaccord profond entre les exigences sociales qui, dans certaines couches de la société, sont directement des contraintes oppressives et les exigences individuelles qui sont une aspiration à la liberté.

C ette opposition ne peut être réduite que dans des conditions historiques, où la vie privée et la vie publique des hommes coïncident ou s'harmonisent.

Quand bien même cette harmonie serait idéale, ceci nous avertirait que l'homme n'est pas fondamentalement double, que notre effort tend, sur ce plan, à réaliser l'unité de notre personnalité.. »

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