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N'y a t'il de progrès que technique et scientifique?

Extrait du document

« Ce serait faire preuve de positivisme que de réduire tout le progrès au progrès de la technique.

L'histoire humaine est plus compliquée. Le progrès technique et scientifique serait plutôt une conséquence de progrès spéculatifs et intellectuels que l'origine de celui-ci. L'entremêlement des deux ordres de causalité ne permet pas de ramener tout le progrès humain au progrès des sciences.

Au-delà de cette vision réductrice, il faudrait en vérité mieux comprendre la place de la technique dans le progrès et comprendre le sens de celuici. 1) La place de la technique dans le progrès humain. Le développement des techniques est aussi un fait aisément observable.

Les préhistoriens ont d'ailleurs pris ce phénomène comme base de leurs classifications, non seulement parce qu'ils ne trouvent guère dans les vestiges exhumés d'autres signes distinctifs d'évolution, mais aussi parce que les formes d'outillage suivent dans la chronologie universelle un ordre constant : pierre taillée, pierre polie, métaux.

Le développement de la civilisation sous ses formes plus élevées est également associé, dans les faits, à d'autres inventions : le dressage des animaux, l'agriculture, la roue, l'utilisation de la force hydraulique.

Cependant, il est difficile d'assigner à une technique particulière le rôle de critère décisif.

Il serait plus exact de faire coïncider la naissance de la civilisation proprement dite avec un changement général d'orientation qui se produit au moment où l'humanité cesse de se borner à utiliser les moyens que l'environnement lui offre par appropriation directe (chasse, pêche, cueillette) pour tenter d'asservir la nature par des procédés différés et artificiels (élevage, agriculture) dont l'effet n'est pas donné simultanément dans l'acte technique. 2) La technique comme moteur de la civilisation. Mais la technique ne prend sa dimension civilisatrice que dans la mesure où elle se reflète dans l'ordre social par le biais de l'économie.

D'une part, le développement de l'agriculture entraîne le régime de la propriété et surtout une production alimentaire suffisante pour mettre le groupe à l'abri de la disette et permettre à certains de ses membres de se consacrer à des activités moins matérielles.

D'autre part, le système des échanges, la circulation des biens et leur accumulation font apparaître d'autres clivages dans la collectivité.

Ainsi, peu à peu, apparaissent des classes sociales qui, selon Marx et Engels, sont des produits de l'évolution économique liée elle-même à la complication des techniques, et qui sont les éléments dynamiques de la civilisation, par la tension qu'elles instaurent et les idéologies qu'elles développent.

De toute manière, il est certain que l'écriture est l'une des techniques qui ont le plus contribué à donner une importance accrue à certains facteurs culturels et à favoriser l'intensification des fonctions intellectuelles.

Quant à la thèse du matérialisme historique qui, sous sa forme populaire, fait dériver le système féodal du moulin et le système capitaliste du machinisme, il ne faut pas oublier que, sous sa forme plus élaborée, elle tient compte plus largement des « superstructures » et renvoie aussi à des critères intellectuels, tout en les liant étroitement aux processus techniques et aux luttes de classes.

Enfin, il reste toujours à déterminer à quel degré de perfectionnement technique la vie sociale mérite d'être qualifiée de civilisée. 3) La technique à l'origine des progrès de la civilisation ? Lorsque en 1906 paraissent, dans Le Mouvement socialiste, les études de Georges Sorel sur Les Illusions du progrès, les doutes se sont déjà multipliés concernant l'identification de l'accroissement des connaissances positives au progrès moral, du développement des sciences au progrès social.

Une contre- idéologie se met en place, fondée sur l'idée que la théorie du progrès est une doctrine bourgeoise qui a tenu lieu de philosophie de l'histoire et de justification ultime à une classe en montée de puissance ; elle a été pour la démocratie moderne, qui a « vulgarisé la vulgarisation du XVIIIe siècle », un instrument d'émulation et d'intégration.

Aussi, récusant la distinction entre histoire progressive, acquisitive, cumulative et histoire stationnaire, Lévi-Strauss a démontré que le progrès n'est ni nécessaire ni continu.

Il procède par bonds, par sauts, par mutations qui s'accompagnent de changements d'orientation.

Il est fonction d'une « coalition entre les cultures », d'une « mise en commun des chances » que chaque culture rencontre dans son développement historique.

Qualifiées par la diversité culturelle, les sociétés ne convergent donc pas vers un même but.

Au reste, les fins que la civilisation occidentale poursuit sont fixées avec la révolution néolithique.

Il convient donc de tempérer le triomphalisme dont s'est accompagnée la révolution scientifique.

On ne doit pas tous nos progrès moraux aux développements des techniques.

Le problème demeure, cependant, pour le progrès scientifique, de l'accroissement des connaissances, du passage d'un paradigme du savoir à un autre.

Sans doute, l'économie du progrès doit-elle, dans son ensemble, être finalement rapportée à la succession des systèmes d'explication du monde.

L'introduction du langage quantitatif, à laquelle Cassirer assimile le progrès, a déterminé le remplacement de la description des choses par l'expression générale des relations.

De l'appréhension immédiate à la construction de concepts par postulation, la distance est celle qui sépare la pensée mythique de la pensée scientifique.

Il reste que l'histoire des sciences sert d'appui à Popper pour rejeter comme logiquement contradictoires toutes lois du progrès.

Le progrès ne peut se résumer au progrès des sciences et des techniques.

Le progrès technique est d'ailleurs en général une conséquence du développement intellectuel, et celui-ci, est, inversement, favorisé par le temps que les techniques nouvelles laissent libre pour une activité spéculative, soit dans une catégorie spéciale de citoyens, formant une élite intellectuelle, soit dans l'ensemble même de la population qui, disposant de loisirs, peut s'intéresser à des réalisations qui ne sont pas subordonnées à la simple nécessité de subsister. Conclusion. Le progrès humain ne se réduit aux progrès des sciences et des techniques.

Ca serait en vérité des progrès spéculatifs qui auraient forgé les progrès techniques.

C'est par de nouvelles théories scientifiques, par de nouveaux théorèmes mathématiques, des théories philosophiques qui ont ouvert la porte à des innovations techniques.

Les théories de Descartes, Galilée, Newton, les véritables paradigmes dans la vision du monde offre un terrain favorable à la transformation des techniques et non l'inverse.. »

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