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N'y a-t-il de rationalité que scientifique ?

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« Élucidation conceptuelle : la notion de rationalité La rationalité recouvre le caractère de ce qui est rationnel.

Mais le substantif lui-même possède une ambiguïté dans la mesure où la référence aux exigences de la raison, qu'il enveloppe, peut valoir aussi bien dans le domaine de l'action (éthique) que dans celui de la connaissance (science et philosophie).

On a coutume de parler d'une démonstration rationnelle, mais pour qualifier une conduite, on portera des appréciations sensiblement différentes selon qu'on la dira raisonnable ou rationnelle.

Dans les deux cas, est signalée une conformité aux exigences de la raison, mais sans doute selon des rapports différents.

L'usage semble avoir associé l'idée de rationalité à ce qui, dans le processus même d'une conduite, peut être dit cohérent, maîtrisé, logiquement structuré, efficace, alors que l'adjectif « raisonnable » paraît mettre en jeu une relation aux fins et aux effets de l'action, notamment au regard d'une humanité considérée comme telle, référence ultime de toute valeur.

Le froid calcul de la logique guerrière est dit rationnel selon une acception tout à fait déterminée ; la rigueur d'une démonstration logique ou d'une expérimentation scientifique permettra aussi de les appeler rationnelles.

Mais d'un automobiliste n'observant pas un feu rouge et traversant le carrefour à vive allure on dira qu'il est déraisonnable : son action met en péril la vie des autres.

S'il existe une « logique » de l'insouciance et de l'irresponsabilité (à tel point qu'on pourra dresser l'inventaire méthodique des manquements à la prudence d'un chauffard), cette logique peut-elle être dite «raisonnable» dès lors qu'elle est totalement indifférente aux effets possibles sur des êtres humains ? Une logique rationnelle, en ce sens restrictif, sera donc dite déraisonnable.

Mais peut-on encore appeler « rationnelle » une conduite dont la généralisation apparaît proprement inconcevable, et intenable au niveau de l'humanité ? Et la raison comme faculté de trouver l'agencement ordonné du réel peut-elle se comprendre indépendamment de la raison comme faculté pratique, visant les fins essentielles et s'efforçant à la fois de déterminer le sens et de le produire ? Au-delà de la réflexion kantienne articulant connaissances et fins proprement humaines dans le concept «cosmique» de philosophie (cf.

Critique de la Raison pure, Architectonique), se trouve mis en jeu le statut accordé à la raison ellemême.

Ceux qui la réduisent à la faculté de calcul (selon l'étymologie latine, la ratio est d'abord calcul, compte) ne lui accordent qu'une place strictement délimitée, notamment dans les champs scientifique et technique (où se déploie essentiellement sa dimension logique).

Ceux qui refusent cette réduction confèrent au rationalisme une portée plus générale : éthique, politique, voire métaphysique.

La notion de raison pratique, l'idée d'une éducation aux valeurs de la raison, d'une articulation entre instruction et éducation (cf.

la Philosophie des lumières) sont en jeu dans ce rationalisme «large», (cf.

sur ce point les oeuvres de Diderot, Condorcet, Auguste Comte, etc.). Mise au point succincte : les différents types de rationalité Pour éclairer la difficile question des différents sens, aujourd'hui, de l'exigence rationnelle, on peut se tourner vers les domaines où celle-ci est mise en jeu.

Science, philosophie, éthique, technique, donnent des significations et des portées finalement très distinctes de cette exigence, et il importe de ne pas se laisser abuser par l'apparente prépondérance, par exemple, du rationalisme technique dans notre monde.

Certes, la «technique» semble jouer aujourd'hui un rôle majeur, mais son utilisation aveugle appelle de plus en plus une approche critique, au nom des exigences mêmes de la raison, et de la maîtrise, par l'homme, de ses propres conquêtes.

La rationalité scientifique, quant à elle, doit être comprise comme telle, et repérée dans les domaines spécifiques où elle s'exerce.

Un savant agit-il plus lucidement du seul fait qu'il maîtrise un savoir propre à un certain domaine d'objets ? Rien n'est moins sûr. Une mise au point lumineuse sur les différents types de rationalité a été proposée par Dina Dreyfus dans un numéro des Amis de Sèvres (1975).

En voici un extrait : «Nous dirons, en effet, pour être plus clair, qu'il existe quatre modèles de rationalité : « 1) La rationalité de type moral invite, parce que la raison est source d'universalité, à distinguer, dans nos conduites, ce qui vaut pour tous et ce qui ne vaut que pour moi, ce qui se réfère à des valeurs permanentes et ce qui ne se réfère qu'à des intérêts momentanés, fussent-ils des intérêts affectifs, fussent-ils des intérêts collectifs. « 2) La rationalité de type philosophique est ce voeu, proprement philosophique, de suivre en tout la raison et la raison seule.

Elle est une éducation de la raison par elle-même, pour tous les hommes -et non seulement pour les savants - pour tous les secteurs de l'existence, de l'expérience, de la pratique, pour tous les domaines de la pensée et de l'action. « 3) La rationalité de type scientifique est cette discipline de la pensée, proprement scientifique, des savants à l'égard des démonstrations, des hypothèses, des constatations, des approximations, discipline qui sépare radicalement l'état d'esprit scientifique de celui qui ne l'est pas.

Mais cette discipline, cette rigueur scientifiques ne valent que dans des domaines restreints, spécialisés et autonomes du savoir et de la pratique.

La rationalité scientifique ne prépare donc pas à une pensée et à une attitude rationnelles dans les autres domaines et dans les autres activités où s'exercent les hommes, y compris les savants en tant qu'hommes.

La science est une entreprise rationnelle régionale.

De sorte que non seulement les savants ne peuvent défendre les non-savants contre l'irrationalisme et la crédulité, mais encore ils ne peuvent s'en défendre eux-mêmes.

L'entreprise rationnelle des sciences ne peut servir en dehors des sciences elles-mêmes.

Nos élèves des classes scientifiques ne sont nullement à l'abri, bien au contraire, de l'irrationalisme et de la crédulité. « 4) Enfin, le rationalisme de type technique, ou rationalisme de fonctionnement, porte sur l'usage calculé des moyens, quelle que soit la fin visée.

Cette fin est, en elle-même, indifférente à la technique.

Le médecin, dit Platon, peut guérir ou ne pas guérir le malade.

Mais ce n'est pas lui qui juge si la vie est bonne ou mauvaise.

Que donc la fin soit bonne ou mauvaise, la fonction de la rationalité technique est d'assurer les meilleurs moyens pour l'atteindre.

En ce sens, rationalité technique s'oppose ici d'une part à la simple routine, d'autre part à la magie.

Mais la rationalité technique, qui est de l'ordre des moyens, se prend souvent pour fin.

Il y a là l'inversion bien connue, propre à la prolifération technique, des moyens et des fins.

On trouve cette inversion tant dans le domaine des objets. »

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