NIETZSCHE: Quand on est jeune
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Ce texte de Nietzsche a pour thème la jeunesse, non point en tant que jeunesse, mais dans son esprit. Nietzsche tente, en effet, de dégager les caractères propres à la jeunesse dans son rapport aux choses et aux personnes. Le trait saillant qui ressort de cette analyse est manifestement le manichéisme de la jeunesse, c’est-à-dire son intransigeance et son incapacité à nuancer ses positions : « opposer aux hommes et aux choses qu’un oui et un non ».
Toutefois, il faut faire deux remarques concernant l’analyse qui nous est proposée. D’une part, la critique formulée ici à propos de la jeunesse ne vise pas à proprement ceux qu’on appellerait « les jeunes », c’est-à-dire les adolescents. Nietzsche parle plutôt de « l’esprit de jeunesse » qui est un état logique et non chronologique. Il est possible, de ce point de vue, d’être un représentant de l’esprit de jeunesse, même si l’on n’est pas soi-même jeune. D’autre part – et c’est une conséquence de la remarque précédente – la critique de l’esprit de jeunesse s’applique à des formes spéciales de monolithisme ou de manichéisme ; c’est ce que trahit l’expression « le goût de l’absolu », qui sous la plume de Nietzsche ne peut que renvoyer aux idéaux métaphysiques et chrétiens, qui ont toujours manifesté une propension « à falsifier et à tromper ».
«
« Quand on est jeune, on vénère ou on méprise sans y mettre encore
cet art de la nuance qui forme le meilleur acquis de la vie, et l'on a comme de
juste à payer cher pour n'avoir su opposer aux hommes et aux choses qu'un
oui et un non.
Tout est agencé dans le monde pour que le pire des goûts, le
goût de l'absolu, se trouve cruellement berné et maltraité, jusqu'au moment
où l'homme apprend à mettre un peu d'art dans ses sentiments, ou même à
essayer plutôt de l'artificiel, comme le font les vrais artistes de la vie.
L'humeur courroucée ou respectueuse qui est propre à la jeunesse semble ne
pas vouloir se donner de cesse qu'elle n'ait dénaturé choses et gens jusqu'au
point où elle pourra se donner libre cours.
La jeunesse est par elle-même
encline à falsifier et à tromper.
» (NIETZSCHE)
Commentaire :
Ce texte de Nietzsche a pour thème la jeunesse, non point en tant
que jeunesse, mais dans son esprit.
Nietzsche tente, en effet, de dégager les
caractères propres à la jeunesse dans son rapport aux choses et aux
personnes.
Le trait saillant qui ressort de cette analyse est manifestement le
manichéisme de la jeunesse, c'est-à-dire son intransigeance et son incapacité
à nuancer ses positions : « opposer aux hommes et aux choses qu'un oui et
un non ».
Toutefois, il faut faire deux remarques concernant l'analyse qui nous
est proposée.
D'une part, la critique formulée ici à propos de la jeunesse ne vise pas à proprement ceux qu'on
appellerait « les jeunes », c'est-à-dire les adolescents.
Nietzsche parle plutôt de « l'esprit de jeunesse » qui est un
état logique et non chronologique.
Il est possible, de ce point de vue, d'être un représentant de l'esprit de jeunesse,
même si l'on n'est pas soi-même jeune.
D'autre part – et c'est une conséquence de la remarque précédente – la
critique de l'esprit de jeunesse s'applique à des formes spéciales de monolithisme ou de manichéisme ; c'est ce que
trahit l'expression « le goût de l'absolu », qui sous la plume de Nietzsche ne peut que renvoyer aux idéaux
métaphysiques et chrétiens, qui ont toujours manifesté une propension « à falsifier et à tromper ».
L'esprit de jeunesse se trouve d'abord caractérisé par Nietzsche en fonction de son manichéisme.
Le
manichéisme est à l'origine une doctrine religieuse, issue du christianisme, qui oppose de manière rigoureuse et sans
nuance les deux principes que sont le Bien et le Mal.
De ce point de vue, le texte est traversé par une série
d'oppositions, qui évoquent cette vision tranchée des choses : « on vénère ou on méprise », « un oui ou un non »,
« l'humeur courroucée ou respectueuse ».
La jeunesse se rapporte donc aux choses de manière unilatérale : pour
elle, tout est ou bien noir ou bien blanc, sans qu'il n'y ait d'entre-deux possible ; la jeunesse vénère ou méprise,
c'est-à-dire qu'elle se soumet ou elle porte aux nues, sans jamais s'interroger sur la possibilité d'une position
médiane.
Afin de rendre cette idée plus sensible, nous pouvons prendre l'exemple de l'enfant.
L'enfant est d'abord et surtout celui qui idéalise ses parents : ceux-ci incarnent alors un idéal de protection
(le père est le plus fort des hommes), un idéal de connaissance (les parents savent tout), et, plus généralement, un
idéal de vie.
À l'inverse, quelques années plus tard, il arrive que les parents ne soient plus que l'incarnation de tout
ce que l'adolescent rejette : la vie parentale semble conformiste et sans intérêt.
Or, ce qu'il faut remarquer dans
cette double situation de rejet, c'est la persistance de l'idéal.
D'une part, pour le petit enfant, les parents représentent un idéal à atteindre ; la déception n'en sera que
plus cruelle lorsqu'il découvrira leurs faiblesses, puisqu'ils ne sont qu'un homme et une femme comme les autres.
D'autre part, pour l'adolescent, les parents s'opposent à son propre idéal ; or, là encore, la déception sera grande
lorsqu'il se rendra compte de la dureté de la vie et du fait que ses parents ne se sont somme toute pas si mal
débrouillés pour lui assurer une vie décente.
Par cet exemple, nous comprenons le mécanisme du manichéisme, qui en sa radicalité se voit contraint de
forger des idéaux, des visions sublimées de la réalité, qui sont autant de déceptions auxquelles aura à faire face
l'esprit au cours de sa maturation.
C'est bien là l'idée que « le goût de l'absolu [le goût de l'esprit de jeunesse pour
les idéaux], se trouve cruellement berné et maltraité ».
Or, nous devons immédiatement mettre cela en rapport avec
la critique métaphysique des idéaux, qui sous-tend toute la pensée de Nietzsche.
En effet, pour Nietzsche l'idéal métaphysique, que représente essentiellement le christianisme, se fonde sur
un refus de la vie et de la souffrance qu'elle représente.
Celle-ci, en tant que souffrance inhérente au monde, n'est
dès lors susceptible de recevoir que deux réponses : soit on acquiesce à la souffrance, soit on la rejette.
L'erreur de
la métaphysique et du christianisme est, de ce point de vue, double : d'une part, on ne conçoit pas qu'il existe une
réponse intermédiaire, entre le oui et le non ; d'autre part, on se condamne, en refusant la vie, à forger des idéaux
qui ne font que le rendre plus blessante.
Le mythe de la vie éternelle et de l'au-delà, en prônant l'idéal d'une vie
bienheureuse et sans souffrance, conduit à détester encore plus la vie terrestre et la souffrance qui l'accompagne.
Comme l'enfant, métaphysique et christianisme plaquent sur la réalité des idéaux qui la masquent ; or, si la
souffrance est la réalité en question, l'idéal ne fait que la rendre plus sensible et donc insupportable.
Il y a donc là un cercle vicieux imparable, qui consiste à falsifier les choses, à les dénaturer de plus en plus,
au point d'oublier l'origine même de cette tromperie.
Ainsi, une fois les choses défigurées, l'esprit de jeunesse –
l'esprit de falsification inhérent à la jeunesse – se donne libre cours, comme s'il avait toujours eu raison, comme s'il
n'avait pas déformé le monde pour mieux s'imposer : « L'humeur courroucée ou respectueuse qui est propre à la
jeunesse semble ne pas vouloir se donner de cesse qu'elle n'ait dénaturé choses et gens jusqu'au point où elle
pourra se donner libre cours »..
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