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NIETZSCHE: Les apologistes du travail.

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173. Les apologistes du travail. Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction » du travail, je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd'hui, à la vue du travail - on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir -, qu'un tel travail constitue la meilleure des polices, qu'il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l'on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l'on adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême.NIETZSCHE

L’apologie du travail a été stigmatisée par Nietzsche à plusieurs reprises dans son Oeuvre. Déjà dans le Gai Savoir, l’auteur nous fait part de la conception moderne du travail, suivant laquelle les hommes travaillent en vue d’abolir l’ennui et surtout en vue d’un but lucratif. Le travail, dès lors, loin de s’atteler au plaisir que recherche l’individu, ne reste qu’un moyen pour lui d’accroître ses gains. Par ailleurs, cet extrait issu d’Aurore (L. III) présente l’idée centrale selon laquelle le travail est un instrument supplémentaire de l’Etat pour lui permettre d’assujettir l’individu, en le confondant dans l’illusion de l’utilité sociale. Aussi, Nietzsche souligne cette thèse que le travailleur est contrôlé, qu’il participe par son labeur quotidien à la sécurité volontairement établie par l’Etat. L’enjeu de ce texte est de montrer en quoi une fois de plus le principe d’individualité est mis à l’écart au profit d’une idéologie naissante, celle du capitalisme : « Se trouver un travail pour avoir un salaire : - voilà ce qui rend aujourd’hui presque tous les hommes égaux dans les pays civilisés ; pour eux tous le travail est un moyen et non la fin ; c’est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu’il procure un gain abondant » (Gai Savoir, §42). Les deux principaux temps du texte nous permettront d’engager une analyse concernant d’abord la déshumanisation de l’homme par le travail, ainsi que sa part symptomatique en tant que ce qui est chez lui une répression des instincts supérieurs le conforte dans un système sécurisant, système de substitution au regard de l’inquiétante « mort de Dieu ».        

« Nietzsche montre qu'un certain type de travail peut détruire l'humanité individuelle et « déshumaniser » par conséquent l'homme.

A la limite, la société ressemblerait davantage à une termitière qu'à une communauté d'hommes.

L'idolâtrie du travail masque en effet une autre valeur, une autre idole : la sécurité.

Le primat de cette valeur doit être interprété.

Pour Nietzsche, aucune valeur n'a en elle-même sa vérité ; toutes les justifications du travail par des considérations morales (« l'oisiveté, mère de tous les vices ») ou des arguments économiques (les impératifs de la production, etc.), toutes les tentatives pour montrer la supériorité d'une société policée sur les sociétés « barbares », seront toujours superficielles parce qu'elles ne voient pas que les valeurs sont des symptômes.

Vouloir la sécurité, c'est être secrètement malade de la vie : incapable d'affronter le mouvement du devenir qui inclut vie et mort, destruction et naissance, plutôt qu'immobilité, tranquillité et repos.

Les idées religieuses ont longtemps été le symptôme dominant de ce refus de la vie ; mais dans la culture occidentale, la croyance en un au-delà sécurisant s'affaiblit, ce que Nietzsche traduit en disant : « Dieu est mort ».

Dès lors plane sur la terre « l'ombre de Dieu » : des idoles nouvelles ont pris sa place.

Ainsi, derrière l'apologie du travail, on peut deviner une haine de la vie qui est en son fond impuissance à vivre.

Les idolâtries succèdent aux religions mais trahissent une faiblesse analogue. On peut tenter de confronter cette analyse à la critique marxiste du travail aliéné et des idéologies.

Pour Marx, le travail, qui peut permettre la réalisation de sa propre humanité peut aussi devenir, dans certaines conditions socioéconomiques, ce en quoi le travailleur perd son humanité dans la souffrance : cf.

les Manuscrits de 1844.

D'autre part, Marx refuse toute autonomie aux idées morales, politiques, philosophiques, etc.

Pour lui, ces idées sont des idéologies, c'est-à-dire des illusions mystifiantes dans la mesure où elles « justifient » une certaine infrastructure économique qui les conditionne, et où ceux qui les tiennent pour vraies sont dans l'ignorance de cette origine.

Sur ce point, consulter J.

Granier, Le Problème de la Vérité il ans la philosophie de Nietzsche, Seuil 1966, p.

153. Introduction L'apologie du travail a été stigmatisée par Nietzsche à plusieurs reprises dans son Oeuvre.

Déjà dans le Gai Savoir, l'auteur nous fait part de la conception moderne du travail, suivant laquelle les hommes travaillent en vue d'abolir l'ennui et surtout en vue d'un but lucratif.

Le travail, dès lors, loin de s'atteler au plaisir que recherche l'individu, ne reste qu'un moyen pour lui d'accroître ses gains.

Par ailleurs, cet extrait issu d'Aurore (L.

III) présente l'idée centrale selon laquelle le travail est un instrument supplémentaire de l'Etat pour lui permettre d'assujettir l'individu, en le confondant dans l'illusion de l'utilité sociale.

Aussi, Nietzsche souligne cette thèse que le travailleur est contrôlé, qu'il participe par son labeur quotidien à la sécurité volontairement établie par l'Etat.

L'enjeu de ce texte est de montrer en quoi une fois de plus le principe d'individualité est mis à l'écart au profit d'une idéologie naissante, celle du capitalisme : « Se trouver un travail pour avoir un salaire : - voilà ce qui rend aujourd'hui presque tous les hommes égaux dans les pays civilisés ; pour eux tous le travail est un moyen et non la fin ; c'est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu'il procure un gain abondant » (Gai Savoir, §42). Les deux principaux temps du texte nous permettront d'engager une analyse concernant d'abord la déshumanisation de l'homme par le travail, ainsi que sa part symptomatique en tant que ce qui est chez lui une répression des instincts supérieurs le conforte dans un système sécurisant, système de substitution au regard de l'inquiétante « mort de Dieu ». I.

La déshumanisation par le travail a.

Nietzsche cherche à retracer la généalogie des valeurs prônées par notre civilisation.

Il ne condamne pas le travail en général, mais le travail pénible et impersonnel qui, jour après jour, vide l'individu de ses ressources physiques et intellectuelles.

On reconnaît bien là une indication à l'étymologie du travail comme effort et comme pénibilité.

Cependant, le travail est perçu et conçu comme l'activité par laquelle l'homme devient pleinement humain. Nietzsche s'est attaqué à l'idéologie dominante plaçant l'activité pénible au centre de la vie humaine.

Car l'homme a fondamentalement besoin de se détacher de la pure matière.

Il ne peut par essence poursuivre indéfiniment un effort tendant à réaliser des fins extérieures, c'est-à-dire des fins qui ne le concernent pas.

Dès lors, dans Humain, trop humain, Nietzsche invite à voir aussi ce caractère dépassable du travail à travers des activités plus épanouissantes pour l'individu telle que la danse.

La glorification du travail est l'outil idéologique permettant de rendre acceptable pour tout un peuple l'exclusivité du travail.

On comprend alors que cette glorification exclusive du travail est un moyen de restreindre l'envergure de l'homme. b.

De plus, on constate le masque discursif qui vient freiner l'individu dans la quête de soi.

C'est ce discours « sur la bénédiction du travail » qui conditionne en l'homme cette équation simple de type travail=nécessité, et qui pire encore lui interdit d'accéder à ses désirs.

On le voit bien, le travail est non seulement conçu comme pénible, mais aussi comme entrave à tout ce qui peut grandir l'homme au-dessus de sa condition « trop humaine ».

Ainsi, une société qui ne proposerait comme seul horizon aux individus qui la composent que le travail aurait pour effet de maintenir ces individus dans une condition subalterne d'esclaves de la vie et des besoins.

Le travail condamne à demeurer dans le cycle production/consommation, cycle qui demeure nettement en deçà des aspirations nietzschéennes : « un tel travail constitue la meilleure des polices, il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance ».

Et au-delà de ce constat, il apparaît pourtant que tout ce procès de conditionnement reflète le procès de la décadence, de l'uniformisation des masses, procès qui en privant l'homme de ses facultés supérieures et créatrices, le rabaisse au simple rang d'animal. »

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