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Lucrèce et la piété religieuse

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La piété, ce n'est pas se montrer à tout instant couvert d'un voile et tourné vers une pierre, et s'approcher de tous les autels ; ce n'est pas se pencher jusqu'à terre en se prosternant, et tenir la paume de ses mains ouvertes en face des sanctuaires divins ; ce n'est point inonder les autels du sang des animaux, ou lier sans cesse des voeux à d'autres voeux ; mais c'est plutôt pouvoir tout regarder d'un esprit que rien ne trouble. Car lorsque, levant la tête, nous contemplons les espaces célestes de ce vaste monde, et les étoiles scintillantes fixées dans les hauteurs de l'éther, et que notre pensée se porte sur les cours du soleil et de la lune, alors une angoisse, jusque-là étouffée en notre coeur sous d'autres maux, s'éveille et commence à relever la tête : n'y aurait-il pas en face de nous des dieux dont la puissance infinie entraîne d'un mouvement varié les astres à la blanche lumière ? Livré au doute par l'ignorance des causes, l'esprit se demande s'il y a eu vraiment un commencement, une naissance du monde, s'il doit y avoir une fin, et jusqu'à quand les remparts du monde pourront supporter la fatigue de ce mouvement inquiet ; ou bien si, doués par les dieux d'une existence éternelle, ils pourront prolonger leur course dans l'infini du temps et braver les forces puissantes de l'éternité ? Lucrèce


« PRESENTATION DE L'OEUVRE "DE LA NATURE DES CHOSES" DE LUCRECE De la nature des choses est l'unique oeuvre de Lucrèce (vers 98-55 av.

J.-C.), auteur latin du 1er siècle avant J.-C. Écrit dans des temps très troublés, propices à la superstition, ce vaste poème philosophique entend guérir les hommes de leurs peurs et de leurs illusions en suivant la voie ouverte par Épicure : fonder la possibilité de la vie heureuse sur une connaissance rationnelle de la nature.

Mais Lucrèce ne se contente pas d'initier à la doctrine de son maître : il l'enrichit et la complète par ses propres analyses et met à son service la puissance séductrice de son style.

Décrié par la tradition chrétienne pour ses attaques contre la Providence, salué par les penseurs athées, de Diderot à Marx, comme un génie libérateur, Lucrèce a joué un rôle majeur dans la diffusion du matérialisme. Le malheur des hommes tient à l'aliénation de leur esprit : la superstition les condamne à vivre dans la crainte de la mort et du destin.

L'étude rationnelle de la nature, qui exclut tout recours aux dieux, vise à fonder une sagesse matérialiste permettant l'accès au bonheur. La piété, ce n'est pas se montrer à tout instant couvert d'un voile et tourné vers une pierre, et s'approcher de tous les autels ; ce n'est pas se pencher jusqu'à terre en se prosternant, et tenir la paume de ses mains ouvertes en face des sanctuaires divins ; ce n'est point inonder les autels du sang des animaux, ou lier sans cesse des voeux à d'autres voeux ; mais c'est plutôt pouvoir tout regarder d'un esprit que rien ne trouble.

Car lorsque, levant la tête, nous contemplons les espaces célestes de ce vaste monde, et les étoiles scintillantes fixées dans les hauteurs de l'éther, et que notre pensée se porte sur les cours du soleil et de la lune, alors une angoisse, jusque-là étouffée en notre coeur sous d'autres maux, s'éveille et commence à relever la tête : n'y aurait-il pas en face de nous des dieux dont la puissance infinie entraîne d'un mouvement varié les astres à la blanche lumière ? Livré au doute par l'ignorance des causes, l'esprit se demande s'il y a eu vraiment un commencement, une naissance du monde, s'il doit y avoir une fin, et jusqu'à quand les remparts du monde pourront supporter la fatigue de ce mouvement inquiet ; ou bien si, doués par les dieux d'une existence éternelle, ils pourront prolonger leur course dans l'infini du temps et braver les forces puissantes de l'éternité ? 1.

Nous confondons à tort, sous le nom de piété, simple superstition et religion véritable A.

Nature du culte religieux Les hommes prennent d'ordinaire pour de la « piété » certaines conduites qui consistent à manifester sa dévotion. Nous ne pouvons pas, à ce stade, définir précisément la piété, puisque c'est là l'objet même de ce texte.

Nous nous contenterons donc de lui donner pour le moment le sens large de « sentiment religieux ».

La plupart des religions impliquent des pratiques rituelles, autrement dit un culte. Un rite est une conduite ou une action particulière, à laquelle nous conférons une signification d'un ordre supérieur.

Par exemple, boire le vin ou manger l'hostie revient pour un catholique à renouveler sa communion avec Dieu et avec les autres fidèles. Ces pratiques rituelles impliquent donc des actions qui n'ont pas par elles-mêmes de sens : elles n'ont pas de but comparable aux autres actions courantes.

On mange pour se nourrir, on n'ingère pas l'hostie pour se nourrir.

Si on ingère l'hostie, c'est pour autre chose : la signification de cet acte est religieuse ; elle implique une association entre une conduite et un sens supérieur, lié au rapport entre l'homme et le divin. Cependant, l'habitude de voir le croyant pratiquer ces rituels, porter tel signe de sa confession, amène parfois les hommes à confondre ces pratiques qui ne sont que des signes – et n'ont pas de sens en elles-mêmes – avec ce qu'elles veulent signifier, à savoir la « piété ».

Nous croyons alors que tel ou tel signe indique à lui seul si nous sommes religieux ou non.

Nous devenons superstitieux.

La superstition consiste donc à réduire le sentiment religieux à des signes en eux-mêmes dépourvus de sens. B.

L'absurdité de la superstition L'auteur ironise sur cette façon courante qu'ont les hommes de croire.

L'ironie consiste à décrire les positions et actions d'un adversaire, tout en supposant par avance leur absurdité, et en s'efforçant de la faire apparaître en signalant l'outrance avec laquelle l'adversaire se tient à ses positions.

L'ironie implique donc souvent la caricature, force les traits de l'adversaire.

Dans le texte, l'auteur dresse cette caricature en utilisant des locutions telles que : « à tout instant », « tous les autels », « jusqu'à terre », « sans cesse », ou encore en utilisant un mot plus fort qu'il ne faudrait (« inonder », « se prosterner » renforcé par « jusqu'à terre »), ou des figures qui décrivent la répétition des mêmes gestes (« ajouter des voeux aux voeux »). L'absurdité sous-jacente de ces pratiques réside dans le fait qu'on les croit en elles-mêmes significatives, alors qu'elles n'ont de sens que si on les pare d'une signification supérieure ou symbolique, liée à la croyance en un ou des dieux.

On finit par accomplir tel geste pour ne pas déplaire aux dieux, de la même façon qu'on mange pour se nourrir.

Mais cette forme de culte ne garantit aucunement la possession de la « piété ».

La religion implique des rites, des signes par lesquels la croyance est inscrite dans la vie.

Mais la pratique de tel ou tel geste n'ayant en lui-même aucun sens n'implique pas, en sens inverse, le sentiment religieux.

Pour reprendre l'exemple précédent, un non-croyant peut très bien ingérer l'hostie sans associer lui-même à ce geste une signification supérieure.

Pour l'auteur, culte et croyance authentique ne s'impliquent pas mutuellement. C.

La vraie piété. »

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