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Lucrèce et la nature de la mort

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Lors donc qu'un homme se lamente sur lui-même à la pensée de son sort mortel qui fera pourrir son corps abandonné, ou le livrera aux flammes, ou le donnera en pâture aux bêtes sauvages, tu peux dire que sa voix sonne faux, qu'une crainte secrète tourmente son coeur, bien qu'il affecte de ne pas croire qu'aucun sentiment puisse résister en lui à la mort. Cet homme, à mon avis, ne tient pas ses promesses et cache ses principes; ce n'est pas de tout son être qu'il s'arrache à la vie ; à son insu peut-être il suppose que quelque chose de lui doit survivre. Tout vivant en effet qui se représente son corps déchiré après la mort par les oiseaux de proie et les bêtes sauvages se prend en pitié ; car il ne parvient pas à se distinguer de cet objet, le cadavre, et croyant que ce corps étendu, c'est lui-même, il lui prête encore, debout à ses côtés, la sensibilité de la vie. Alors il s'indigne d'avoir été créé mortel, il ne voit pas que dans la mort véritable il n'y aura plus d'autre lui-même demeuré vivant pour pleurer sa fin et, resté debout, gémir de voir sa dépouille devenue la proie des bêtes et des flammes. Lucrèce

« « Lors donc qu'un homme se lamente sur lui-même à la pensée de son sort mortel qui fera pourrir son corps abandonné, ou le livrera aux flammes, ou le donnera en pâture aux bêtes sauvages, tu peux dire que sa voix sonne faux, qu'une crainte secrète tourmente son coeur, bien qu'il affecte de ne pas croire qu'aucun sentiment puisse résister en lui à la mort.

Cet homme, à mon avis, ne tient pas ses promesses et cache ses principes; ce n'est pas de tout son être qu'il s'arrache à la vie ; à son insu peut-être il suppose que quelque chose de lui doit survivre.

Tout vivant en effet qui se représente son corps déchiré après la mort par les oiseaux de proie et les bêtes sauvages se prend en pitié ; car il ne parvient pas à se distinguer de cet objet, le cadavre, et croyant que ce corps étendu, c'est lui-même, il lui prête encore, debout à ses côtés, la sensibilité de la vie.

Alors il s'indigne d'avoir été créé mortel, il ne voit pas que dans la mort véritable il n'y aura plus d'autre lui-même demeuré vivant pour pleurer sa fin et, resté debout, gémir de voir sa dépouille devenue la proie des bêtes et des flammes.

» LUCRÈCE. Rien ne survit après la mort Lucrèce choisit le parti de décrire l'attitude de l'homme face à la mort.

L'homme sait son « sort mortel », mais il tente aussi de penser sa propre mort, ce qu'il ne peut faire qu'avec la représentation impossible de son corps après la mort. D'où constamment les références au « corps abandonné », au corps jeté dans le brasier, et par trois fois au corps devenu la proie des bêtes sauvages.

L'imagination tente de donner vie à notre « corps étendu ».

L'homme pourtant devrait savoir que son corps après sa mort ne sera qu'un cadavre, qu'une dépouille.

Qu'il n'y a rien à craindre puisque dans « la mort véritable », il n'y a plus rien de la vie... L'homme ne peut admettre qu'il n'y a plus rien après la mort Lorsque l'homme évoque « son sort mortel », il tient un discours d'horreur qui « sonne faux ».

Il « suppose », comme une croyance qu'il ne peut avouer, mais qui est conforme à ses désirs, « que quelque chose de lui doit survivre ».

Mais l'horreur, dans le discours, de cette mort annoncée, dissimule à peine, encore plus profonde, la terreur de l'homme à admettre qu'après la mort il n'y a plus rien.

Le corps est lent à pourrir, alors qu'on recourt à la rapidité du brasier, ou même qu'on soit, sans sépulture, livré à la cruauté des animaux de proie.

Tout vaut mieux, même cette souffrance inouïe, que le rien de la mort.

Qu'au moins une parcelle de l'être se maintienne dans la mort! L'homme est incapable de distinguer ce que sera son cadavre insensible Pour Lucrèce, la mort n'est absolument pas représentable.

Tout début de représentation témoigne de la confusion où est le sujet entre lui sujet, présent et vivant, et lui, mais cette fois objet (« son corps déchiré »), dans une situation future, et mort.

Il serait raisonnable au contraire, dit Lucrèce, que le sujet opère une distinction entre lui sujet et l'objet (« le cadavre »).

La sensibilité de la vie disparaît dans la mort.

Mais nous cédons à la croyance que cette sensibilité se maintient.

Dédoublement fantastique où le corps est étendu comme cadavre, et où le sujet est resté debout.

Que le cadavre ait perdu toute sensibilité, nous l'admettons.

Mais, nous refusant à mourir, nous créons à ses côtés, dans un futur impossible, une survivance de nous-mêmes, où prédomine la sensibilité avec le sentiment de pitié et ses manifestations physiques de plus en plus fortes : lamentations, pleurs, gémissements. La mort véritable est totale disparition L'emphase du texte épouse l'effroi du vivant qui cherche à voir quelle pourra être sa mort...

Sympathie de Lucrèce à l'égard de cet homme qui tout à la fois parade et est tourmenté par la crainte.

Mais en même temps la thèse matérialiste est affirmée en contrepoint des espérances secrètes.

Clairement nous savons que rien de nous survivra après la mort.

Donc pas de représentation possible après la mort, représentation qui implique la vie, pas de croyance vaine, pas d'indignation d'avoir été créé mortel.

C'est notre lot.

Aussi soyons clairvoyants.

Dans la tradition d'Épicure, nous n'avons rien à craindre de la mort, qui n'est rien. »

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