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l'idée de progrès peut-elle servir a interpréter l'histoire ?

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« L'histoire se donne à l'historien et à ses acteurs comme un ensemble d'événements demandant à être interprété : l'interprétation de l'histoire peut alors consister à relier les événements en leur donnant sens par rapport à une fin et à une direction tendant vers cette fin.

Dans la mesure où l'interprétation consiste à choisir quels événements peuvent être considérés comme marquant le cours de l'histoire, la vision de l'histoire qui guide cette interprétation occupe une place fondamentale.

La question de savoir si une telle conception de l'histoire peut être celle d'un progrès consiste à se demander si les événements interprétés à partir de cette conception peuvent prendre un sens du fait de la place qu'ils occuperaient dans un processus linéaire menant à une progression. Cette question se distingue en ce sens de celle de savoir si l'histoire est en elle-même sous-tendue par le progrès, dans la mesure où il s'agit plutôt de s'interroger sur la valeur de cette idée en tant qu'elle guide l'interprétation.

Est-il alors légitime d'interpréter les événements comme porteurs d'un progrès, ou bien est-on plutôt amener à penser qu'une telle idée fausse la compréhension de l'histoire, voire qu'elle serait nuisible à l'histoire elle-même ? Assigner une direction à l'histoire permet-elle d'en révéler le sens caché, ou bien relève-t-elle d'une illusion ou d'un danger ? Nous verrons dans un premier temps que l'idée de progrès peut s'avérer légitime et nécessaire pour interpréter l'histoire, avant de considérer le caractère appauvrissant d'une telle idée, qui enferme les événements dans un sens unique.

On pourra alors s'interroger sur la légitimité même de l'idée de progrès au vu du caractère injustifiable de certains événements historiques. 1° Il est légitime d'interpréter l'histoire à partir de l'idée de progrès Dans la perspective de Kant, il est légitime de penser le cours de l'histoire à partir d'un progrès : un fil directeur peut être trouvé dans l'histoire événementielle à partir de l'idée d'un plan caché de la nature.

Les conflits et les passions qui font l'histoire seraient selon cette idée utilisés par la nature pour réaliser son dessein, qui consiste dans un progrès de la réalisation de l'humanité, par un progrès vers la moralité et l'avènement politique d'un Etat de droit.

Les actions égoïstes, caractérisées par ce que Kant nomme l'insociable sociabilité, c'est-à-dire le conflit, chez l'homme, entre son besoin de vivre en société et son désir de réaliser ses passions, consistent dans une ruse de la nature pour parvenir à sa fin.

On peut donc interpréter le cours de l'histoire à partir de cette idée de progrès se réalisant au fil des générations : c'est dans cette perspective que Kant analyse la Révolution française, qui, malgré la violence de ses actions, est la marque de l'évolution vers une plus grande liberté politique.

L'idée de progrès est donc utile non seulement à l'interprétation de l'histoire, en donnant un sens à des événements qui paraissent à première vue chaotiques, mais aussi à l'histoire elle-même, car la prise de conscience par l'humanité de ce progrès doit l'amener à se rapprocher volontairement du but de l'histoire. 2° Interpréter l'histoire à partir de l'idée de progrès appauvrit la compréhension des événements, porteurs d'une infinité de sens Le courant de la Nouvelle histoire, ou Histoire des Annales, représentée notamment par Bloch, Febvre et Ferro, critique l'interprétation de l'histoire à partir d'un sens globalisant : l'historien étant lui-même pris dans l'histoire, il ne peut prétendre à un tel point de vue surplombant, mais seulement à une conception partielle de la réalité historique.

De plus, postuler un sens unique à l'histoire revient à interpréter chaque événement selon cette idée, de manière illégitime et appauvrissante. La Nouvelle histoire veut ainsi donner la parole à l'analyse de la vie quotidienne, souvent négligée par l'analyse des grands événements historiques : c'est une histoire du particulier, et non d'un sens général.

Une histoire de la famille, de l'alimentation ou de la mort est ainsi une histoire des mentalités qui est porteuse d'une infinité de sens : l'historien laisse ainsi davantage parler les événements, au lieu de les mettre au service d'un progrès vers un idéal.

Selon la perspective que privilégie l'historien, il y a donc autant d'interprétations de l'histoire, autant de directions, que d'études à son sujet. 3° Penser l'histoire en termes de progrès peut s'avérer porteur d'un danger extrême pour le cours de l'histoire En dehors du fait que l'idée de progrès peut amener à un appauvrissement de la richesse des événements historiques, ne peut-on pas penser que la barbarie de certains événements historiques rend difficilement justifiable d'interpréter l'histoire à partir de l'idée de progrès ? Ne peut-on même penser que ces barbaries ont pu être commises en se justifiant elles-mêmes par cette idée de progrès, révélant ainsi le caractère dangereux que peut prendre cette idée dans certaines circonstances ? Hannah Arendt, dans l'Origine du totalitarisme, pense les systèmes totalitaires comme des systèmes qui se fondent sur une conception volontariste de l'histoire, et sur la volonté d'amener au plus vite l'histoire au but qu'ils lui assignent.

Le nazisme comme le stalinisme partagent cette caractéristique : la volonté d'un progrès accéléré de l'histoire est utilisée pour justifier la négation totale d'une autre conception de l'idéal de l'histoire et de la liberté des actions individuelles.

Si l'idée de progrès n'amène bien entendu pas nécessairement de tels systèmes, il n'en reste pas moins qu'ils sont révélateurs des dangers que recèle l'idée d'acheminer de force l'histoire vers un but, en niant la spontanéité de l'action humaine. Conclusion Interpréter l'histoire à partir de l'idée de progrès peut être perçu comme légitime et utile si l'on pense que cette perspective donne une direction et une signification à des événements qui ne semblent pas en posséder à première vue, et permet de donner aux hommes une visée qui guide leurs actions vers davantage de moralité et de liberté.

Cependant, une telle idée peut sembler appauvrissante dans la mesure où elle témoigne d'une vision surplombante de l'histoire, qui peut amener à déformer les événements pour les faire entrer dans ce schéma, au détriment de la richesse des détails de l'histoire et de l'histoire des mentalités, tenues à l'écart des analyses politiques.

On peut alors s'interroger sur la légitimité de l'idée de progrès comme fil directeur de l'histoire, au vu du caractère injustifiable des actions des systèmes totalitaires du XXème siècle, qui, en justifiant leurs actions par l'atteinte prochaine d'un progrès, ont inspiré aux historiens une méfiance vis-à-vis d'une telle vision de l'histoire.. »

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