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L'idée de nature

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« Introduction.

Le mot nature peut désigner, soit ce qui constitue l'essence d'un être particulier, soit l'ensemble des êtres et des choses. C'est dans ce second sens que nous le prendrons ici.

Même ainsi limitée, l'idée de Nature est encore très complexe ; on peut même dire qu'elle a toute une histoire, au cours de laquelle elle a été définie successivement par tel ou tel caractère.

Essayons de déterminer quels sont ces caractères. I.

Nature et finalité. Chez ARISTOTE, la Nature est définie comme un ordre, un ensemble de phénomènes manifestant une certaine constance : « Ce qui se fait par nature se fait toujours, ou du moins le plus souvent, de la même façon » (De generatione, 33 b).

Mais cet ordre est dominé, selon Aristote, par une loi de finalité : « La nature ne fait rien en vain » (De anima, 434 a), c'est-à-dire sans but.

C'est une force active immanente à l'univers, qui a en soi son principe de mouvement (ou de repos) et qui réalise toujours, au sein de la matière et dans la mesure où la résistance de celle-ci le permet, la meilleure des formes.

— La nature s'oppose ainsi au hasard, à ce qui arrive sans avoir été fait en vue d'une fin, même si le résultat est tel qu'on aurait pu le souhaiter; chance. Cette conception d'une finalité immanente devient, avec la notion chrétienne de la nature créée par Dieu, une finalité transcendante.

« Sous le nom de nature, dira BOSSUET (Connaiss.

de Dieu, IV, 1), nous entendons une sagesse profonde qui développe avec ordre et selon de justes règles tous les mouvements que nous voyons.

» Le déisme du XVIIIe siècle ne retiendra de cette conception que celle d'une nature essentiellement bonne (Rousseau), féconde en harmonies (Bernardin de Saint-Pierre) et dont tout le bonheur de l'homme consiste à suivre les enseignements.

— Le mot nature prend ici un sens optimiste et laudatif, qui se retrouve, même de nos jours, dans maints jugements de valeur où ce qui est « conforme à la nature » est considéré comme bon, voire comme moral, tandis que ce qui est « contre nature » est, par le fait même, regardé comme condamnable. Souvent la Nature, ainsi conçue, est personnifiée.

MALEBRANCHE critiquait déjà ces philosophes païens, plus ou moins suivis par les scolastiques, qui en viennent presque à faire de la Nature « une divinité douée de puissance effective ».

Plus tard, CONDORCET remarque que « ceux qui parlent de médecine font souvent de la nature un être moral qui a des volontés ».

De nos jours, on pourrait relever dans les oeuvres de BERGSON d'innombrables passages où il est parlé de la nature comme si elle avait des désirs et des volontés. II.

Nature et déterminisme. Le progrès des sciences a peu à peu substitué à cette conception finaliste et quelque peu anthropomorphique une conception déterministe, selon laquelle la Nature est essentiellement un ordre soumis à des lois. DESCARTES (Médit., VI) déclare que la nature, en général, est « l'ordre et la disposition que Dieu a établis dans les choses créées ».

MALEBRANCHE, en opposition à la conception aristotélicienne et scolastique, affirme qu'« à proprement parler, ce qu'on appelle nature n'est rien autre chose que les lois générales que Dieu a établies pour construire ou conserver son ouvrage par des lois très simples, par une action toujours uniforme, constante, parfaitement digne d'une sagesse infinie et d'une cause universelle » (Tr.

de la Nature et de la Grâce).

Ainsi s'annonce la conception moderne de la nature comme totalité des phénomènes déterminés par des lois.

« Les lois, écrira MONTESQUIEU, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses.

» L'ensemble des phénomènes, dira KANT (Crit.

de la R.

pure), est appelé monde lorsqu'il est posé comme un tout mathématique, une grandeur, un assemblage dans l'espace ou dans le temps ; mais on le nomme nature lorsqu'on le considère comme un tout dynamique et qu'on a égard à l'unité dans l'existence (Dasein) des phénomènes : « La condition de ce qui arrive, s'appelle alors cause, et la causalité conditionnée de la cause s'appelle, au sens étroit, causalité naturelle », tandis que la causalité inconditionnée reçoit le nom de liberté.

Dans les Prolégomènes (§ 14), il précisera que la nature n'est pas l'existence des choses en soi, mais « l'existence des choses en tant que déterminée suivant des lois universelles ».

La nature, ainsi comprise, devient essentiellement l'objet de la science et, tout spécialement, des sciences physiques.

Dans la Science et l'Hypothèse, Henri POINCARE intitule « la Nature » la quatrième partie du livre, consacrée à ces sciences, et il précise que les généralisations auxquelles elles se livrent, supposent toutes «la croyance à l'unité de la nature» (p.

172).

Il montre que la nature résiste aux préconceptions des savants qui « veulent plier la nature à une certaine forme en dehors de laquelle leur esprit ne saurait être satisfait».

Mais, interroge-t-il (p.

197), «la nature sera-t-elle assez flexible pour cela ? » Ainsi s'est établie l'idée d'une nature régie par ses propres lois et indifférente, sinon hostile, aux aspirations humaines.

PASCAL (Pensées) avait déjà écrit : « La nature ne m'offre rien qui ne soit matière de doute et d'inquiétude.

» On sait comment ce thème de la nature étrangère aux sentiments humains sera exploité par les romantiques.

C'est la nature, toujours la même, de Lamartine, quels que soient nos deuils et nos regrets ; « l'impassible nature », la « nature au front serein », oublieuse des jours enfuis, de Victor Hugo ; la nature dédaigneuse de Vigny, qui ...

roule avec dédain, sans voir et sans entendre, A côté des fourmis les populations. Les parnassiens reprendront le même thème, et Leconte de Lisle dira lui aussi : La nature mûrit ses blés, fleurit ses rosés, Et dédaigne nos voeux, nos regrets, nos efforts. Nous voici loin de la nature humanisée de la conception finaliste.. »

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