L'homme doit-il oublier qu'il a été enfant ?
Extrait du document
«
[Les impératifs de l'existence adulte exigent que l'homme oublie les rêves de l'enfant.
L'homme, pour
vivre, pour survivre, doit travailler et viser l'efficacité.
Pour cela, il doit oublier l'enfant qu'il a été car les
nécessités de l'action sont incompatibles avec le jeu et le rêve.
]
Le monde réel n'est pas fait pour les enfants
Comme le fait très bien remarquer Sigmund Freud, l'enfant a le désir d'être protégé et aimé.
Ce désir, l'homme
doit l'oublier, car il lui faut travailler à prendre conscience de la réalité, aussi dure soit elle, afin de l'affronter
lucidement, en adulte, sans le secours des illusions infantiles.
Freud assimile cet infantilisme à celui du croyant.
« Ainsi je suis en contradiction avec vous lorsque, poursuivant
vos déductions, vous dites que l'homme ne saurait absolument
pas se passer de la consolation que lui apporte l'illusion
religieuse, que, sans elle, il ne supporterait pas le poids de la vie,
la réalité cruelle.
Oui, cela est vrai de l'homme à qui vous avez
instillé dès l'enfance le doux -ou le doux et amer- poison.
Mais de
l'autre, qui a été élevé dans la sobriété? Peut-être celui qui ne
souffre d'aucune névrose n'a-t-il pas besoin d'ivresse pour
étourdir celle-ci.
Sans aucun doute l'homme alors se trouvera
dans une situation difficile; il sera contraint de s'avouer toute sa
détresse, sa petitesse dans l'ensemble de l'univers; il ne sera
plus le centre de la création, l'objet des tendres soins d'une
providence bénévole.
Il se trouvera dans la même situation qu'un
enfant qui a quitté la maison paternelle, où il se sentait si bien et
où il avait chaud.
Mais le stade de l'infantilisme n'est-il pas
destiné à être dépassé? L'homme ne peut pas éternellement
demeurer un enfant, il lui faut enfin s'aventurer dans l'univers
hostile.
On peut appeler cela « l'éducation en vue de la réalité »;
ai-je besoin de vous dire que mon unique dessein, en écrivant
cette étude, est d'attirer l'attention sur la nécessité qui s'impose
de réaliser ce progrès? » pp.
69-70.
FREUD.
D'origine juive, mais formé à l'école de la philosophie des Lumières, du darwinisme et de l'hellénisme, Freud
s'est très vite démarqué de la religiosité de sa famille.
C'est, de son propre aveu, ses réflexions sur l'origine de
la culture qui l'ont amené à rencontrer le phénomène religieux .
« Totem & Tabou » (1913), « Malaise dans la
civilisation » (1930), « Moise & le Monothéisme » (1934), « L'avenir d'une illusion » (1927)., autant d'oeuvres
qui témoignent de l'intérêt de Freud pour la religion.
Dans cet ouvrage, Freud affirme que ce serait l'angoisse de l'homme devant la nature toute-puissante,
angoisse analogue à celle de l'enfant, qui aurait engendré, en quelque sorte, le comportement religieux.
En
personnifiant les forces naturelles sous formes d'êtres supérieurs, parfois terrifiants, mais pourvus d'une
volonté semblable à celle des hommes, en attribuant aux dieux les caractères que l'enfant attribue au père,
les hommes auraient cherché à exorciser l'angoisse due à la cruauté de la nature.
La première fonction de la religion serait donc d'humaniser la nature, de protéger l'homme contre celle-ci.
Mais, humaniser la nature, c'est aussi la tâche de la civilisation.
Or, si celle-ci rend la nature plus supportable,
elle impose néanmoins à l'homme des privations et des souffrances qui, à leur tour, suscitent l'anxiété et le
besoin d'un dédommagement ou d'une consolation.
La religion aurait donc aussi pour objectif de protéger
l'homme contre « les dommages causés par la société humaine ».
Ainsi la religion serait une satisfaction de
notre désir archaïque d'être protégé et aimé.
Mais la religion apporte-t-elle vraiment une réponse à l'angoisse de l'humanité ? D'où les idées religieuses, qui
ne reposent ni sur l'expérience ni sur la raison, tirent-elles leur force, sinon de nos désirs d'un univers ordonné
dans lequel l'angoisse peut être rendue supportable ? La religion n'est-elle donc pas une croyance conforme à
nos désirs, cad une illusion ? Ne nous enferme-t-elle pas dans l'infantilisme ? Ne serait-il pas préférable que les
hommes affrontent la réalité sans le secours de la religion ? Ne faut-il pas, en particulier, désacraliser les
interdits sociaux de manière à ce que les hommes, comprenant les nécessités de la vie sociale, supportent
mieux « la pression qu'exerce sur eux la civilisation » ? L'essai d'une éducation non religieuse ne vaut-il pas la
peine d'être tenté ?
Telles sont les questions que Freud examine à partir du chapitre IV de « L'avenir d'une illusion », au cours d'un.
»
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