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Les mathématiques sont-elles un langage, un modèle ou un instrument pour les autres sciences ?

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« A - Forme de l'énoncé. 1.

Cet énoncé apparaît comme un énoncé « composé » posant trois questions.

On pourrait en effet concevoir des sujets de dissertation posés par exemple ainsi : « Les mathématiques sont-elles le modèle des autres sciences ? » ou « Les mathématiques ont-elles pour rôle d'être l'instrument des autres sciences ? Nous aurions alors affaire chaque fois à un énoncé posant une question orientée; il faudrait y répondre par oui ou non. 2.

Mais il y a plus : notre énoncé ne se borne pas à poser successivement trois questions; il propose une alternative (si tant est qu'on ait le droit d'employer le mot alternative quand il s'agit de choisir non entre deux mais entre trois réponses possibles) : il faut que ce soit l'une ou l'autre de ces trois réponses possibles.

C'est donc un libellé quelque peu tendancieux; en tout cas, nous nous réservons le droit de répondre, le cas échéant, soit que les mathématiques ne sont aucune de ces trois choses, et qu'elles sont autre chose, que nous exposerons en détail; soit qu'elles sont à la fois telle chose et telle autre, et même les trois à la fois. Une remarque encore : le membre de phrase « pour les autres sciences » semble se rapporter aux trois termes, langage, modèle, instrument; on pourrait néanmoins interpréter autrement et à la rigueur considérer qu'il se rapporte seulement au dernier: « instrument pour les autres sciences ».

La question n'a du reste pas grande importance. B - Discussion. Nous allons nous poser successivement les trois questions que contient l'énoncé. 1.

Les mathématiques sont-elles un langage pour les autres sciences ? Les mathématiques sont une science, donc une production de la pensée humaine, qui n'a de réalité qu'autant qu'elle s'exprime au moyen du langage, donc dans une certaine langue (dans n'importe quelle langue d'ailleurs). On objectera que les mathématiques usent d'un système de signes ou de symboles » qui leur est propre, et même qui peut être lu par n'importe quel mathématicien quelle que soit sa langue maternelle.

Mais ces signes constituent-ils un langage, même au sens large du mot ? Ces signes, ce sont, par exemple, +, —, X, log, sin, tg, √, nous pouvons même y comprendre les lettres dont se servent l'arithmétique et l'algèbre (a, b, c, x, y, z), et même les chiffres.

Mais, si nous y regardons de près, ces signes ne sont que des abrégés de mots de la langue commune : plus, multiplié par, égale, sinus, tangente, infini, ou encore : un, deux trois, quatre.

La langue des mathématiques, c'est la langue de tout le monde, mais elle s'écrit généralement au moyen d'une sorte de sténographie. On objectera alors que ces signes permettent des opérations, en particulier des calculs.

Mais du fait que ces signes permettent de réaliser commodément certaines opérations, il ne s'ensuit pas qu'ils sont la condition qui permet de penser ces opérations.

Le système de numération décimale, et la disposition en colonnes des nombres à additionner rendent facile une addition; mais je fais déjà une addition dès que je me sers de jetons ou de bouliers.

Ce qui rend possible ces opérations, c'est la notion de nombre; plus profondément, c'est la notion de quantité. Les mathématiques existent parce que l'esprit humain est ainsi fait qu'il dispose du concept, ou mieux, de la catégorie de quantité.

Mais il ne faut pas dire que ce sont les mathématiques qui ont créé la notion de quantité. Disons, si l'on veut, que toutes les fois que nous faisons une opération nous sommes mathématiciens; nous dirons en ce cas que l'astronome est mathématicien lorsqu'il calcule la date d'une éclipse, l'économiste, lorsqu'il établit des statistiques et calcule des probabilités; mais ne disons pas que les mathématiques sont un langage pour les autres sciences; ne disons même pas qu'elles sont un langage, ni qu'elles ont un langage propre. 2.

Les mathématiques sont-elles un modèle pour les autres sciences ? C'est là une idée qui peut séduire, d'autant que l'humanité a vu, au cours de l'histoire, toutes les sciences — astronomie, physique, chimie, biologie, psychologie, sociologie, linguistique, économie, géographie, ethnologie, — imiter une à une les procédés des mathématiques, concevoir leurs objets propres comme des quantités, énoncer leurs lois sous forme de fonctions, et finalement construire des systèmes hypothético-déductifs sur le modèle des systèmes mathématiques. Il est vrai que l'atome de Bohr que nous citions plus haut est une conception théorique fournie aux sciences physico-chimiques par la mécanique céleste.

Mais fournir un modèle à une science n'est pas être un modèle pour cette science.

La physique utilise une construction mécanique.

c'est-à-dire mathématique; il ne s'ensuit pas qu'elle se construit elle-même comme la science mathématique.

Il restera toujours entre l'une et l'autre cette différence, qui est capitale : c'est que la physique est une science expérimentale, dont les théories sont toujours soumises au contrôle des faits, tandis que les mathématiques sont des sciences fondées sur des axiomatiques. Allons plus loin; cette différence entre un système hypothétique et un système « catégorique » une fois mise à part, pouvons-nous dire que les autres sciences adoptent toutes et entièrement la structure mathématique ? Autrement dit, tout dans une science est-il quantité, ou quantifiable ? Quand on mesure, en psychologie, le quotient intellectuel d'un enfant, on obtient un nombre, mais ce nombre exprime-t-il tout ce que nous pensons communément quand nous disons qu'un enfant est intelligent ? Et quand nous disposons d'un ensemble même impressionnant de statistiques, de diagrammes et de courbes, possédons-nous toute la structure de la sociologie ?. »

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