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Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereuses que les mensonges

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« Lorsqu'on demande de commenter, il s'agit d'abord d'expliquer, puis, éventuellement, de critiquer.

On s'attachera ici à bien définir la spécificité des deux termes qui sont mis en opposition : la conviction et le mensonge, afin de pouvoir montrer en quoi l'une est une ennemie plus dangereuse de la vérité que l'autre. 1.

Deux ennemis de la vérités a) Le mensonge • Mentir, c'est le fait d'affirmer comme vrai ce Oie l'on sait être faux, ou comme faux ce que l'on sait être vrai.

Le mensonge est donc manifestement ennemi de la vérité, puisqu'il la nie.

Mais ce faisant, dans et par cette négation même, il l'affirme et la reconnaît : le menteur est l'ennemi pour ainsi dire apparent, extérieur, de la vérité, mais secrètement, intérieurement, il ne la nie pas : le menteur n'est ennemi de la vérité que dans son rapport à autrui ; dans son rapport à lui-même il ne l'est point. • Le mensonge n'est donc pas l'ennemi absolu de la vérité, mais un ennemi en quelque sorte relatif et dont l'existence même dépend d'elle, puisqu'il n'y a pas mensonge si le menteur ignore la vérité.

Le mensonge est le vassal félon de la vérité. b) La conviction • La conviction, c'est la certitude de posséder la vérité.

A première vue, donc, la conviction ne paraît pas pouvoir être ennemie de la vérité, puisqu'elle consiste précisément dans l'affirmation de la vérité.

Mais on aperçoit aussitôt que cette certitude peut aussi bien n'être qu'une illusion : le fait que je sois convaincu, que je sois certain de posséder la vérité n'implique évidemment pas que je la possède réellement.

Une conviction peut se révéler n'être au bout du compte qu'une erreur. • Dans ces conditions on voit qu'une conviction, dès lors qu'elle est fausse, est non seulement une ennemie de la vérité, mais une ennemie de la sorte la plus dangereuse, plus dangereuse en tout cas que ne l'est un mensonge, puisque avoir une conviction fausse c'est affirmer comme vrai ce qui est faux sans savoir que cela est faux, c'est-à-dire sans reconnaître ni poser en aucune manière la vérité elle-même : quand je suis à tort convaincu de quelque chose, je suis l'ennemi tant extérieurement qu'intérieurement de la vérité. 2.

Le doute, seul ami de la vérité Il apparaît donc que, plus que le mensonge, la conviction peut en effet être le pire ennemi de la vérité.

Mais, dira-t-on, il faut bien que l'ami de la vérité affirme cette dernière, et pour cela il lui faut être convaincu.

Comment donc échapper à cette difficulté ? A quelle condition la conviction dans son affirmation même de la vérité ne sera-t-elle pas son ennemie ? Descartes nous le rappelle : cette condition, c'est que la conviction soit fondée sur un doute préalable, ce doute «méthodique”' que doit prendre pour premier précepte tout ami de la vérité : «Le premier[précepte est] de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je la connusse évidemment être telle ; c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute..

(Discours de la méthode, II). 3.

Une méthode philosophique • Le doute devient alors méthode philosophique.

Il n'est pas ce qui menace la rationalité, mais ce qui permet d'accéder à elle.

Pour cela, il est nécessaire de douter de façon systématique, radicale, afin de se défaire de toutes les opinions reçues, celles du sens commun comme celles des savoirs qui se prétendent scientifiques, et de parvenir, si possible, à une vérité fondamentale. Un tel doute porte consciemment même sur ce dont «on ne peut pas raisonnablement douter”. (par exemple que nous avons un corps), même sur ce dont l'examen, selon les mots de Fénelon, «fait que malgré soi on rit au lieu d'examiner”..

Il s'agit en effet d'un doute rationnel et non raisonnable, c'est-à-dire non pas d'un doute ordinaire, adaptant notre être au monde ordinaire, mais d'une volonté de douter qui cherche si quelque chose peut échapper au doute.

D'où le caractère hyperbolique de ce doute (traiter comme absolument douteux ce qui n'est que partiellement douteux).

Je peux ainsi toujours suspendre mon jugement, jusqu'à ce point limite où l'acte de douter en quelque sorte s'inverse et se saisit avec évidence comme condition de possibilité du doute : je suis «être qui doute., je doute (je pense), je suis, c'est la première vérité radicalement et paradoxalement indubitable au sens strict. • Un doute toujours à reprendre On voit qu'une telle pratique philosophique du doute, une telle ascèse, rompt avec la démarche habituelle de l'esprit.

Elle met en causes toutes les valeurs, celles du sens commun comme celles qui sont issues de la raison (les vérités mathématiques ne font pas exception, et Descartes était mathématicien), mais cette mise en cause nous met en présence de l'essence de notre être (substance pensante) ; la raison, faculté de connaître cette essence, parvient dans le doute à sortir du doute.

Descartes peut alors définir la première règle de la méthode qui permettra de construire sur un fondement inébranlable l'édifice philosophique : "ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute".

(id., Il).

Le doute est toujours à reprendre, si l'on veut passer de l'incertitude à la conviction rationnelle.

De toute façon, il accompagne le cheminement ultérieur du philosophe. Conclusion Il apparaît qu'en effet les convictions, dès lors qu'elles ne sont pas fondées sur un doute philosophique préalable, peuvent être des ennemies de la vérité plus dangereuse que le mensonge.

Bien plus, ce n'est qu'à la condition que les convictions, une fois établies par l'exercice de ce doute, continuent paradoxalement d'être travaillées par lui, c'est-à-dire soient toujours prêtes à être remises en causes, qu'elles ne seront pas les ennemies de la vérité.. »

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