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L'égalité des droits suffit-elle à fonder une société juste ?

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« L'égalité, sur le plan moral et politique, est un principe en vertu duquel des êtres possédant un même attribut doivent être traités identiquement pour tout ce qui regarde l'exercice de cet attribut.

En ce sens, l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen fixe les modalités d'application de ce principe sous la forme de l'égalité juridique – c'est l'égalité de tous les citoyens devant les prescriptions de la loi ; celle-ci « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » – et de l'égalité politique, c'est le droit de tous à participer à la formation de la loi et à l'exercice des fonctions publiques. De ce point de vue, l'égalité des droits semble pouvoir fonder une société juste, c'est-à-dire égalitaire sur le plan moral et politique.

T outefois, la justice n'est pas que morale ou politique, mais également sociale.

En ce sens, quelle justice l'égalité de droit des citoyens permet-elle de fonder ? Dès lors l'égalité des droits pourrait bien permettre de fonder une société juste, mais, à elle seule, ne suffirait pas.

P our comprendre cela, nous devrons distinguer ce qui est nécessaire et suffisant, de ce qui est nécessaire, mais non suffisant. I – L'égalité des droits L'idée d'une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est soumise à une tension interne, du fait de la présence de deux notions antagonistes : l'homme et le citoyen.

En effet, l'égalité entre les hommes est indissociable de l'idée d'universalité ; à l'inverse, l'égalité entre citoyens renvoie à une égalité historiquement ou géographiquement déterminée, au fait, par exemple, d'être né dans tel ou tel État démocratique.

Tel est le cas de la citoyenneté grecque, qui fait de l'égalité une qualité discriminante, propre aux cercles des citoyens.

Rappelons que dans la Grèce antique ne sont pas citoyens les étrangers, les esclaves, les femmes, les travailleurs, etc.

C ette scission se trouve résumée dans la théorie des deux égalités que P laton propose au livre V I des Lois. Il y a, d'une part, l'égalité arithmétique (mauvaise égalité), qui détermine l'égal selon la mesure du poids et du nombre (la majorité démocratique, par exemple).

D'autre part, Platon évoque la véritable égalité, l'égalité géométrique, qui repose sur la proportion.

On donne alors à chacun selon la mesure de sa nature, plus au supérieur et moins à l'inférieur.

P our Platon, la société n'est donc juste que pour autant qu'elle se fonde sur ce type d'égalité.

T outefois, cette vision de l'égalité repose sur une conception du monde elle-même hiérarchisée ; or, la physique moderne (avec Galilée) va montrer dans quelle mesure l'univers est infini et ne connaît ni de haut ni de bas.

De là, l'idée va naître que l'inégalité n'est plus de nature, mais de convention. Pascal, dans ses Trois discours sur la condition des grands, ne pense plus, comme P laton, qu'il existe une différence, des degrés entre les êtres, l'égalité étant réservée aux meilleurs (les citoyens).

Au contraire, il montre comment les privilèges de la société (être un prince, par exemple) masquent l'égalité naturelle des hommes.

Dès lors, l'égalité entre les hommes que pose la Déclaration prolonge l'égalité naturelle des hommes entre eux et tend, par l'égalité des droits entre citoyens, à inhiber l'instauration de privilèges accordés à quelques hommes seulement.

De ce point de vue, l'égalité permet de fonder un ordre juste entre les hommes, sans disparité aucune et sans « traitement de faveur », en accord avec l'article V I cité en introduction. II – Marx et la critique des droits de l'homme C ependant, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen va être vigoureusement critiquée, notamment par Marx dans La question juive.

En quoi consiste cette critique ? P our Marx, les droits accordés aux citoyens selon un strict principe d'égalité oeuvrent bien faveur de l'égalité des hommes, mais de manière strictement formelle.

En d'autres termes, le citoyen n'a rien à voir avec les hommes concrets, qui vivent dans la société, et qui se trouvent de fait soumis à des inégalités essentiellement d'ordre socio-économiques.

En ce sens, la déclaration des droits de l'homme est un discours idéologique.

Qu'est-ce que cela signifie ? L'idéologie se définit comme un discours qui a pour but de masquer la réalité économique et la misère effective ; en langage marxiste, l'idéologie est une superstructure qui masque l'infrastructure de la société.

En effet, l'infrastructure désigne tout ce qui a un rapport concret à l'économie : les moyens de production (outil, machine), les conditions de production (climat, ressources naturelles), les rapports de productions (aliénation, domination) ; en somme, elle désigne les conditions matérielles de l'existence.

La superstructure, quant à elle, désigne toutes les réalités spirituelles (discours moral, religieux, idéologique, etc.) issus de l'infrastructure et qui ont pour but de la garantir.

L'idéologie correspond donc au discours de la classe dominante (la bourgeoisie, pour M arx) et qui cherche à entretenir un état de choses qui lui est favorable.

En d'autres termes, mettre l'égalité des droits au fondement de la société permet de ne pas résoudre le problème des inégalités économiques et, pire, de les tenir pour inessentielles. C 'est en ce sens que nous pouvons penser avec Marx que l'égalité des droits ne garantit pas à elle seule une société juste, c'est-à-dire où règne une justice morale et politique, mais aussi sociale.

C 'est c e problème que va reprendre à son compte John Rawls dans sa Théorie de la justice. III – Rawls et la théorie de la justice Dans son ouvrage Théorie de la justice , Rawls développe une idée de la justice comme équité.

C ela signifie très précisément que la société, en sa fondation, doit reposer sur des principes qui permettent une égalité de droit et de liberté pour les citoyens, mais également qui réduisent, à défaut de les supprimer, les inégalités socio-économiques et leur impact.

En ce sens, pour Rawls, l'égalité des droits est nécessaire pour fonder une société juste, mais elle ne suffit pas.

Les conditions nécessaires et suffisantes se résument alors en deux principes distincts. Le premier pose l'égalité dans l'attribution des droits et des devoirs de base au citoyen.

En cela, il correspond à ce que nous avons évoqué avec la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Le second principe est appelé principe de différence.

Il ne vise pas expressément à supprimer les inégalités socio-économiques, mais il les considère comme justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun, et en particulier pour les membres les plus défavorisés de la société.

Rawls dit ainsi que « les inégalités sociales et économiques sont autorisées à condition : a) qu'elles soient au plus grand avantage du plus mal loti ; b) qu'elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous, dans des conditions d'égalité équitable des chances.

» De ce point de vue, la justice inhérente à la société ne se définit plus uniquement de manière formelle, sous la forme d'un impératif kantien qui reconnaît à chaque homme une égale dignité et des droits égaux, mais elle se prolonge dans un principe qui s'applique à la répartition des revenus et des richesses.

Précisons bien que cette répartition n'a pas besoin d'être égalitaire (comme dans un strict régime communiste), mais qu'elle doit être à l'avantage de chacun et, notamment des plus démunis. Conclusion : A insi, nous avons vu comment l'idée d'égalité, fondée par la modernité sur l'absence de hiérarchie entre les hommes, permet de se poser comme l'un des fondement d'une société juste, c'est-à-dire moralement et politiquement égalitaire.

C ependant, l'universalité même de la notion d'égalité à conduit à sa critique (par Marx) au nom des inégalités régnant de fait dans la société.

C 'est ce sentiment d'un écart entre le citoyen – idée abstraite – et l'homme concret qui a poussé à remettre en cause l'égalité des droits comme unique fondement.

Dès lors, nous pouvons, avec Rawls, recourir à un second principe, dit de différence, qui nous engage à penser à la fois une égalité de droits, mais aussi une mise à profit des inégalités de richesses au profit de l'ensemble de la société.

Sur ce point, le système des retraites français, fondé sur la solidarité nationale, est un bon exemple.. »

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