Le travail est-il le lien le plus étroit entre l'homme et la réalité ?
Extrait du document
«
[Le travail plonge l'individu dans le monde réel.
Par le travail, l'homme transforme la réalité et acquiert sa
liberté]
Travail, réalité et nature On peut d'abord comprendre le travail comme un certain débat avec la nature : si nous devons travailler c'est
que la nature ne produit pas par elle seule et spontanément de quoi répondre à l'ensemble de nos besoins : le
travail doit de ce point de vue être compris au sein de la sphère des besoins, ou ce que Hegel appelait, dans
les « Principes de la philosophie du droit », le « système des besoins ».
Le travail consiste toujours en effet de près ou de loin dans une transformation ou une assimilation de la
nature ; On en veut pour preuve la façon dont on a pris l'habitude de classer les différents types de travaux
dans une économie donnée : le secteur de travail sera « primaire », « secondaire » ou « tertiaire » selon le
caractère graduellement indirect du débat avec la nature.
Certes la simple cueillette représente un débat plus
direct, plus immédiat et moins riche avec la nature que celui qui est en jeu dans une raffinerie de pétrole, mais
il n'y a entre ces deux activités qu'une différence de degré ; à chaque fois, le travail peut être défini comme
une médiation avec la nature, médiation dont la cueillette nous donne un quasi degré zéro, et dont la
raffinerie de pétrole représente un degré beaucoup plus élevé.
C'est d'ailleurs bien comme une médiation que
Hegel comprend et définit le travail : « la médiation qui prépare et obtient pour le besoin particularisé un
moyen également particularisé, c'est le travail .
» ($196).
Comment comprendre cette médiation ? Ce terme se comprend d'abord comme le contraire de l'immédiateté.
Le travail est une relation à la nature qui n'a jamais rien d'immédiat, parce qu'elle est consciente de la
nécessité qui l'oriente, cad du besoin à satisfaire.
C'est sans doute ce qui nous torture dans le travail : le
travail est pénible parce qu'il n'est pas nimbé dans l'inconscience aveugle, spontanée et heureuse de l'instinct,
parce que finalement il n'est jamais assez immédiat.
Mais la portée de cette médiation est bien supérieure,
spécialement dans le contexte de la pensée hégélienne.
Dans ce dialogue avec la nature, dialogue d'autant plus difficile que la nature est perçue comme avare et peu
prodigue, l'homme n'est pas voué à avoir indéfiniment le dessous Le travail traduit certes dans un premier
temps une certaine soumission du sujet à la puissance de la nature supérieure.
Mais ce statut ne dure pas :
en se soumettant à la nature, l'homme trouve le moyen, en en comprenant les lois, de faire travailler la nature
pour lui : c'est le stade de la ruse.
« Là, l'instinct se retire tout entier du travail.
Il laisse la nature s'échiner à
sa place, regarde tranquillement et ne dirige le tout qu'avec un effort minime : c'est la ruse.
», explique Hegel.
C grâce à quoi l'homme prend le dessus, c'est l'outil.
Si le travail est une médiation, c'est bien parce qu'il
admet un intermédiaire (l'outil), et que cet intermédiaire résout la tension du dialogue avec la nature en la
soumettant, en inversant la relation.
Cette médiation signifie donc aussi qu'il existe entre les notions de travail
et de technique un lien décisif.
Elle signifie surtout que quelque chose dans cette relation à la nature qui cause le travail, doit aussi pouvoir
être l'occasion pour l'homme de se constituer une certaine indépendance vis-à-vis d'elle.
Aussi, si le travail
humain naît d'une relation à la nature, il ne reste pas soumis à cette dimension.
Par la ruse technique la
conscience échappe à la réification qui la guettait, et conquiert par là sa liberté.
Le travail apparaît bien ici
comme conquête de l'autonomie par la médiation de la technique et de l'outil : il est le lieu d'une médiation par
laquelle l'homme se soumet pour être libre.
Le travail ne se contente donc pas de satisfaire mon besoin, il me
libère du domaine du besoin.
C'est ce qui fait qu'on peut dire que le travail ne s'entend pas seulement du
travailleur sur la nature, mais aussi du travailleur sur le travailleur : en d'autres termes, il y a un « choc en
retour » du travail sur le travailleur.
Si le travail constitue une relation médiate et d'enjeu éminemment
culturel, c'est grâce à la médiation de la technique.
Ceci n'est pas sans conséquences : en effet, le travail est véritablement le lieu d'une dialectique qui est
constitutive de l'homme lui-même en tant que tel : dans le travail, l'homme conquiert son humanité et sa
liberté.
On objectera pourtant qu'il est bien paradoxal de se libérer en se soumettant, et que les inconvénients
qui résultent de l'état social de l'homme surpassent en aliénation ce qu'ils apportent en autonomie.
Rousseau
avait protesté contre la malignité de l'intervention culturelle humaine, et voulait invoquer le bonheur de
l'équilibre entre des besoins strictement naturels et la présence, dans la nature, des moyens de les satisfaire.
Visant directement Rousseau, Hegel répondra qu'il n'existe rien de tel que des besoins strictement naturels : «
C'est une opinion fausse de penser que l'homme vivrait libre par rapport au besoin dans l'état de nature où il
n'éprouverait que des besoins naturels soi-disant simples et où il n'utiliserait pour les satisfaire que les moyens
qu'une nature contingente lui procure.
» ($194).
L'allusion à l'état de nature vise évidemment Rousseau ; et
ce débat entre les deux penseurs porte sur les deux socles de la notion de travail.
¨ Premier socle : la détermination du besoin.
Là où Rousseau voulait limiter le besoin au besoin naturel, Hegel
met en cause la simplicité de ces besoins naturels, et recentre la notion de travail sur un autre besoin, le.
»
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