Le totalitarisme est-il une simple tyrannie ?
Extrait du document
«
« Totalitarisme » désigne en premier lieu la théorie de « l'État total » développée par le fascisme mussolinien d'abord, hitlérien ensuite,
selon laquelle l'État est un absolu devant lequel les individus ne sont que des « relatifs », et dans laquelle l'État est l'objet d'un véritable
culte.
Pris en ce sens, « totalitarisme » ne s'applique en toute rigueur qu'aux doctrines fascistes de l'État et à leur réalisation politique en
Italie et en Allemagne.
Par extension, des philosophes et sociologues comme Hannah Arendt ou Raymond Aron ont repris la catégorie de « totalitarisme » pour
penser de façon critique les invariants de certains régimes antidémocratiques contemporains : nazisme, mais aussi stalinisme,
maoïsme de la Révolution culturelle...
Les constantes mises au jour de tout État totalitaire sont : la mystique du chef, l'exercice d'un
monopole idéologique étendu dans le domaine privé (encadrement de la jeunesse, contrôle des relations familiales,
professionnelles,...), la militarisation de la vie politique, l'absence de séparation entre l'État et la société civile, la mise en place d'un
appareil de terreur visant à une domination totale des individus...
Dans Les Origines du totalitarisme (1951), Hannah Arendt insiste sur l'originalité de cette forme antidémocratique de régime politique,
qui ne doit pas être confondue avec les formes « classiques » de dictature ou de despotisme antérieures au XXe siècle.
Karl Popper (La Société ouverte et ses ennemis, 1945) fait du totalitarisme contemporain l'héritier d'un mode de « société close » qui
remonte, via Marx — le stalinisme serait ainsi une forme de totalitarisme plus exemplaire encore que le nazisme — à La République de
Platon et à ses « philosophes rois », gouvernant la cité et réglementant la vie et la pensée de ses membres au nom d'une vérité
absolue et « totale ».
Selon l'analyse poppérienne, le totalitarisme serait le fruit monstrueux d'un certain rationalisme politique propre
aux utopies : il réactiverait le vieux rêve d'une société politique intégralement gouvernée par la raison.
Mais cette façon de voir est très
discutable : Hannah Arendt montre au contraire que le totalitarisme est une forme politique profondément irrationnelle, qui résulte de la
transformation du peuple en masse, c'est-à-dire en individus atomisés, ayant perdu tout repère et prêts à croire n'importe quoi.
TOTALITARISME
Le terme «totalitaire» commença à être employé dès la fin des années trente pour désigner les régimes et mouvements autoritaires
nés au cours de la décennie précédente.
C'est en 1940 que Sigmund Neumann, dans son ouvrage Permanent Revolution , développe
de manière plus précise la notion de totalitarisme, en vue de définir les caractères communs des mouvements autoritaires et des
régimes dictatoriaux de l'entre-deux-guerres.
«Le premier but du totalitarisme, écrit-il, est de perpétuer et d'institutionnaliser la
révolution.» Son caractère principal est d'instituer une dynamique de perpétuation du système : l'État totalitaire ne peut être réformé ;
il ne peut qu'être détruit.
Depuis 1945, «totalitarisme» est devenu un terme courant, souvent synonyme d'autoritarisme, et appliqué aussi bien à des États qu'à
des partis et à des idéologies.
Ce concept a depuis lors fait l'objet de recherches multiples qui l'ont précisé ou en ont élargi le champ
d'application.
On s'est d'abord préoccupé d'approfondir ce concept dans ses liens avec les régimes particuliers (fasciste, nazi ou soviétique) qui
servirent de base à son élaboration.
Dans son étude «L'Évolution de la théorie et de la pratique des régimes totalitaires», troisième
partie de l'ouvrage collectif intitulé Totalitarianism in Perspective (1969), Carl J.
Friedrich définit ainsi «les traits qui distinguent [ces]
régimes d'autocraties différentes ou plus anciennes, aussi bien que des démocraties de type occidental : une idéologie globalisante ; un
parti unique prenant en charge cette idéologie et généralement dirigé par un homme, le dictateur ; une police secrète très développée ;
et trois sortes de monopoles ou, plus précisément, de contrôle monopolistique : ceux des communications de masse, des armes
opérationnelles, de toutes les organisations, y compris économiques».
Ce courant phénoménologique, représenté aussi par John
Kanstky, Raymond Aron, von Carl Deutsch, s'attache à définir un modèle totalitaire à partir d'une description des régimes existants et
par opposition à d'autres modèles, tels que, pour R.
Aron, les modèles pluralistes-constitutionnels (démocraties occidentales) et
autoritaires-conservateurs (Portugal).
Un deuxième courant, illustré par Hannah Arendt, J.
L.
Talmon et Karl Popper, met l'accent sur l'«exercice» du totalitarisme, son
contenu idéologique, ses méthodes.
Leur réflexion est plus abstraite et plus normative que descriptive.
À mi-chemin entre ces deux
tendances, Zbigniew Brzezinski a développé, notamment dans son livre Ideology and Power in Soviet Politics , une définition
phénoménologique du totalitarisme qui reste fidèle à une perspective essentialiste.
Pour lui, le totalitarisme est «une nouvelle forme de
gouvernement tombant dans la classification générale de la dictature [...], un système dans lequel des mécanismes technologiquement
développés du pouvoir politique sont maniés par la direction centralisée d'un mouvement élitiste, dans le dessein de réaliser totalement
une révolution sociale, comportant le conditionnement de l'homme sur la base de certains postulats idéologiques proclamés par les
dirigeants, dans une atmosphère d'unanimité de toute la population».
Sous l'impulsion du courant essentialiste, le concept de totalitarisme est entré, en fait, dans le domaine de la philosophie politique.
Le
problème de ses origines historiques précises a été repris par de nombreux auteurs qui utilisent a posteriori ce concept pour tenter de
caractériser des régimes, tels que les communautés primitives ou l'Empire chinois.
Cette floraison d'emplois abusifs a renforcé la tendance à la critique du concept lui-même.
Dans sa contribution à Totalitarism in
Perspective , Benjamin Barber nie sa spécificité, la légitimité de son application à d'autres régimes que ceux en regard desquels il a été
développé et donc sa scientificité.
Une telle critique vient en renforcer d'autres, qui portent sur le caractère fondamentalement
normatif du concept de totalitarisme, fondé souvent, en effet, sur une référence à certaines valeurs sociales et idéologiques..
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