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Le souvenir n'est-il qu'une reviviscence du passé ?

Extrait du document

« CONSEILS La lecture du cours ou du manuel, comme des ouvrages classiques sur la mémoire, ne sera pas inutile.

Mais on aura surtout intérêt à consulter son bon sens et à analyser son expérience personnelle.

Évoquer un épisode de son passé, est-ce substituer ce fragment du passé à son présent ? Se rappeler, est-ce (comme le donne à entendre le mot reviviscence) percevoir une deuxième fois ? Introduction Le souvenir n'est utile et ne mérite son nom que par ce qu'il sauve du passé ; nous devons, pour agir, nous régler sur des situations révolues, comme s'il nous était encore donné de les percevoir ; la fidélité de la mémoire assure notre adaptation pratique.

— Pourtant, si le souvenir n'était qu'une ancienne expérience revécue, il ne serait qu'un faux présent, inséré dans le présent réel ; dangereusement confondu avec la perception, il empêcherait toute appréciation correcte de la situation actuelle, et, loin de servir l'action, la troublerait à tout moment.

Il est donc de la fonction du souvenir de représenter l'événement que nous avons perçu, sans pourtant restaurer l'attitude intellectuelle qui a caractérisé la perception.

Comment définir cet écart entre le souvenir authentique et une simple reviviscence-? I.

— Remaniement de la structure. La structure du souvenir n'est pas celle de la perception correspondante. A) CONSTRUCTION DE NOUVEAUX RAPPORTS D'ESPACE. Tout souvenir comporte de nouveaux rapports d'espace entre le moi et l'objet représenté.

— Ce dernier, en effet, peut, dans l'évocation, m'apparaître en son lieu réel (si ce lieu est proche, dans une direction et à une distance connues).

Alors l'apparence de l'objet est déterminée par la position actuelle de mon corps.

Le point de vue du souvenir n'étant plus celui de la perception originelle, l'esprit doit construire une nouvelle perspective de l'objet.

— Nous pouvons, il est vrai, imaginer que notre corps s'est déplacé vers l'objet, et nous situer idéalement au point de vue rapproché d'où l'objet a été perçu.

Même en ce cas, mon expérience actuelle ne réédite pas une perception antérieure.

Que j'imagine, en effet, l'objet au loin et dans son lieu réel (1er cas), ou que j'imagine mon corps éloigné de sa position actuelle et rapproché de l'objet (2e cas), la situation spatiale a été remaniée dans son fond de la perception au souvenir. B) CONSTRUCTION D'UN NOUVEAU RAPPORT DE TEMPS. Tout souvenir comporte un nouveau rapport de temps entre le moi présent et l'événement objectif représenté.

— Je tiens l'événement perçu pour actuel, c'est-à-dire contemporain de l'acte qui consiste à le percevoir.

Dans le souvenir, le fait évoqué m'apparaît séparé par une certaine épaisseur de durée du moment actuel où je l'évoque.

On n'expliquera pas cette différence dans la situation temporelle en disant que l'évocation consiste à contempler une perception vieillie.

D'abord la simple dégradation de l'image ne rendrait pas compte de son attribution positive au passé.

Surtout, percevoir, se souvenir, n'est pas saisir une image interposée entre l'esprit et la chose, et qui resterait essentiellement identique de la perception au souvenir.

La représentation même tient tout entière dans le rapport direct du sujet à l'objet. Or cette relation, constitutive de la perception et du souvenir, diffère radicalement, considérée du point de vue du temps, du premier cas au second. II.

— Élaboration du contenu. Le souvenir a sa première raison d'être dans un récit qu'on doit faire aux autres ; il est, finalement, un récit qu'on se fait à soi-même.

Or la situation évoquée ne se prêterait pas au discours cohérent si elle était le pur reflet de celle qu'on a vécue.

Les signes sociaux ne peuvent traduire ce qu'a d'inédit l'événement actuel, et surtout les nuances affectives qui l'individualisent.

D'ailleurs la situation perçue est à la fois touffue et lacunaire ; l'expression verbale en serait confuse et décousue.

Dans l'évocation, l'événement se dépouille dans de la singularité qui rend inexprimable le pur présent, et s'ordonne et s'organise par les additions et omissions qui en permettent une exposition intelligible. Le souvenir, d'ailleurs, ne sert l'action que s'il éclaire certains aspects du passé, laissant dans l'ombre les autres. Mon récit d'une promenade en barque aura une physionomie différente suivant que par lui je veux intéresser un peintre de marines, un amateur d'aviron, un pêcheur à la ligne.

Le souvenir n'est pas un fragment du passé qui adhérerait sans s'altérer à nos présents successifs ; il entre dans leur structure, et, suivant les exigences changeantes de la situation actuelle, il exhibe telle ou telle face de la situation ancienne.. »

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