Le progrès technique a-t-il un sens?
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«
Introduction
Le progrès technique est l'évolution des manières ou des méthodes permettant d'améliorer les moyens de
parvenir à une fin.
La technique, à la différence de l'art, vise l'utilité qu'elle ne peut obtenir qu'au moyen d'une
économie de moyens et d'un maximum d'efficacité.
La réussite de la technique se mesure au degré d'efficacité des
moyens mis en œuvre pour accroître les capacités d'une machine, améliorer la gestion d'une entreprise, ou faciliter
la maîtrise de l'homme sur la nature.
Même si l'on pense qu'il n'y a pas de différence essentielle entre un radiateur
électrique et un feu de cheminée, puisque leur fonction est la même, il n'en reste pas moins que l'homme tend à
s'affranchir de la nature, et ce en concevant des moyens plus efficaces selon lui.
Mais le progrès technique ne
représente-t-il pas un danger, soit par rapport aux relations humaines, soit en fonction de la difficulté de contrôler
les conséquences de ses produits ?
I.
l'homme est un animal technique.
a.
L'homme est « nu » au départ, et, selon le mythe du Protagoras, il dut s'emparer du feu et des « sciences
propres à conserver sa vie » (Platon, Protagoras).
C'est de là que provient la technique : elle fournit à l'homme les
moyens d'adaptation à un environnement qui peut lui être hostile (la nature).
Le terme « technique » vient du grec
« technè » qui se définit comme un savoir-faire dont le but est un comportement efficace et approprié aux
circonstances.
L'homme est ainsi défini comme étant un « homo faber » (l'homme fabricateur d'outils).
Et le fait de
fabriquer souligne pour Bergson l'intelligence humaine (L'évolution créatrice).
Aristote déjà montrait que la
« technè » est une « disposition tournée vers la création », et « accompagné de raison », ce qui l'oppose aux
animaux (cf.
Ethique à Nicomaque, VI, 4).
b.
L'outil sera ainsi la traduction matérielle de l'intelligence de l'homme : « Ce n'est pas parce qu'il a des mains
que l'homme est le plus intelligent des êtres, mais c'est parce qu'il est le plus intelligent qu'il a des mains » (Aristote,
Les parties des animaux).
L'outil, ou l'objet conçu et fabriqué par l'homme pour exécuter son travail, est considéré
comme un prolongement naturel de la main.
Mais la véritable innovation est la machine, puisqu'elle a un
fonctionnement autonome, et peut ainsi remplacer l'homme sur de nombreuses tâches à accomplir.
Mais la machine,
aussi « intelligente » soit-elle, reste dépendante de l'homme : elle ne se fabrique ni ne se répare elle-même.
Alors la
capacité de fabriquer des outils ou des machines apparaît, au même titre que le langage, comme indissociable de
l'humanité : « le progrès technique est lié au progrès des symboles techniques du langage » (Leroi-Gourhan, Le
geste et la parole).
On sait que les grands singes utilisent ce qui semble avoir une fonction comparable à l'outil dans leur activité de
chasse ou de protection contre les prédateurs.
Par exemple, un chimpanzé est capable de se servir d'une branche
d'arbre qu'il aura pris soin d'effeuiller préalablement pour recueillir des termites ou des fourmis au fond de leur trou.
De la même manière, un castor est capable de fabriquer ce qui ressemble à nos barrages sur les rivières...
Pour
Leroi-Gourhan, il y a une différence de nature et pas seulement de degré entre la capacité humaine à inventer des
outils et ce qui s'apparente plutôt chez l'animal à un simple détournement d'objet: " La fabrication et l'usage du
biface relèvent d'un mécanisme très différent, puisque les opérations de fabrication préexistent à l'occasion d'usage
et puisque l'outil persiste en vue d'actions ultérieures.
" Le biface, c'est la pierre taillée la plus primitive que l'on
connaisse en paléontologie.
Mais il révèle déjà une pensée et pas seulement un instinct.
Les opérations de
fabrication préexistent à l'usage de l'objet : autrement dit, l'homme fabrique d'abord le biface dans sa tête avant de
passer à l'acte avec le silex.
Par ailleurs, il y a conservation de cet outil, ce qui signifie que l'homme sait qu'il va
pouvoir s'en servir ultérieurement.
II.
Le progrès technique en question
a.
La technique s'emploie le plus souvent à transformer la nature.
Et il y a là forcément de la part de l'homme un
affront vis-à-vis des dispositions naturelles.
Ainsi les anciens Grecs étaient attentifs à ne pas violenter la nature
pour ne pas s'attirer la colère des dieux.
Et Prométhée dut supporter le châtiment divin pour avoir dérobé le feu aux
dieux et l'avoir transmis aux hommes.
Aujourd'hui persiste cette crainte de voir la technique détruire notre
environnement, corrompre nos âmes et même menacer nos vies.
La science-fiction caractérise bien ce désir infini de
puissance et la peur de s'y perdre.
Selon Rousseau, le progrès technique n'engendre pas un progrès dans les
relations humaines (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes).
L'homme moderne vit
au milieu des techniques, avec des objets qui structurent son environnement.
Le contact direct avec la nature se
perd, ainsi qu'avec la société.
Le contact est donc toujours indirect, médiatisé par la présence obsédante des
objets.
b.
La présence physique d'autrui disparaît au profit de la voix impersonnelle du téléphone, de même que c'est
moins notre œil que notre caméra qui nous renseigne sur les évènements du monde.
Ainsi de plus en plus l'homme
communicatif s'efface devant les techniques de communication.
Et la technique, censée rapprocher les hommes,
pourrait bien au contraire les isoler.
De plus, considérant l'évolution croissante du progrès technique, l'homme est
condamné à s'adapter.
Heidegger dira alors que l'essence même de la technique est une véritable « provocation »,
et qu'elle est une menace pour l'être de l'homme.
L'essence de la technique est la rationalisation par l'homme de la
nature, et constitue un danger suprême pour l'homme qui, à vouloir tout calculer, s'oublie fondamentalement (cf.
Heidegger, « L'essence de la technique », Essais et conférence)..
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