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Le progrès scientifique est-il lié a l'évolution des techniques ?

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« Dans les sciences expérimentales, l'expérimentation joue le rôle d'un intermédiaire entre une hypothèse théorique et le réel : en effet, confirmer ou invalider une hypothèse scientifique exige de mettre en place un protocole expérimental où les facteurs permettant d'appréhender la réalité sont contrôlés, et qui permet ainsi d'évaluer dans quelle mesure l'hypothèse théorique peut rendre compte des faits réels.

S'interroger sur le rapport entre le progrès scientifique et l'évolution technique amène ainsi à s'interroger sur la place de la technique dans l'expérimentation scientifique : le progrès des sciences est-il essentiellement dépendant des progrès dans la finesse et la précision des expérimentations, permis par les progrès techniques, qui seraient eux-mêmes le résultat du progrès scientifique ? Ou bien faut-il penser que progrès scientifique et progrès technique ne sont pas conjoints, et que le facteur déterminant du progrès scientifique ne réside pas dans la précision des mesures et des expérimentations, mais dans les révolutions de sa partie théorique, sans laquelle une expérimentation ne peut rien dire du réel ? Même si la théorie est déterminante dans le progrès scientifique, ne peut-on penser que les hypothèses théoriques elles-mêmes peuvent être influencées par l'évolution des techniques ? Après avoir montré que progrès scientifique et progrès technique vont de pair, on critiquera cette thèse par l'idée que la technique permet de transformer le réel, mais qu'une telle transformation n'accède au statut d'expérience faisant progresser la science que si elle est guidée par la théorie.

On pourra alors penser que l'évolution des techniques guide les hypothèses théoriques et joue ainsi un rôle dans l'évolution des grands paradigmes de l'évolution scientifique. 1° Le progrès scientifique s'appuie sur l'évolution des techniques Dans la perspective de Bachelard, le progrès scientifique exige une rupture avec la perception et la conception quotidiennes de la réalité, qui véhiculent des représentations mythiques et fantasmatiques constituant des obstacles à l'avènement de la vérité scientifique. Le progrès scientifique doit donc s'appuyer sur l'expérimentation, qui représente une rupture avec notre perception habituelle des choses. C'est l'instrument technique qui permet de reconstruire ainsi le réel, de l'épurer en quelque sorte, et l‘expérimentation consiste ainsi à mettre la technique au service de la théorie pour que les instruments donnent à voir un phénomène permettant de la confirmer ou de l'infirmer.

L'instrument technique est compris par Bachelard comme u n e théorie matérialisée, c'est-à-dire que l'expérimentation scientifique rend opérationnelle une hypothèse appartenant à la théorie.

On peut ainsi dire que dans cette perspective, le progrès scientifique et l'évolution des techniques sont liés, car c'est le progrès de la technique qui permet des expérimentations plus fines, plus précises grâce à des instruments d e mesure plus perfectionnés, qui permettent d e s'éloigner des représentations intuitives des phénomènes faisant obstacle à la vérité scientifique.

De plus, la technique est elle-même l'incarnation d'une théorie, l'évolution de la technique est donc également en ce sens le résultat du progrès scientifique.

Pour que le progrès scientifique ait lieu, la technique doit être liée à la théorie, mais sans l'évolution des techniques, le progrès scientifique ne serait pas envisageable. 2° Une technique nouvelle ne permet le progrès scientifique que si la conception scientifique du moment permet d'exploiter théoriquement ce qu'elle met en évidence Bachelard ne sous estime pas l'importance de la théorie dans le progrès scientifique, mais insiste sur la transformation du réel nécessaire à l'observation scientifique, rendue possible par l'évolution des techniques.

Le biologiste Jacob insiste, à l'inverse, sur le rôle de la théorie qui rend selon lui le progrès scientifique en grande partie indépendant d e la présence d'instruments nouveaux.

En effet, ce qui caractérise selon lui le progrès scientifique est l'accès à l'analyse d'objets nouveaux, comme le code génétique.

Or, ces objets nouveaux peuvent être mis en évidence par un instrument dû à une nouvelle technique qui accroît notre perception des phénomènes et repousse les limites de ce qui est perceptible, m a i s cette m i s e en évidence par la technique n'est rien et ne permet aucun progrès si l'esprit des scientifiques n'est pas prêt à regarder le phénomène de manière pertinente et à lui poser des questions permettant de formuler des hypothèses.

L‘instrument ne met en évidence que ce que les scientifiques cherchent ou sont prêts à voir, il faut donc déjà qu'une théorie soit prête à accueillir ce phénomène.

Ainsi, le progrès scientifique a besoin du progrès des techniques, m a i s ce progrès des techniques n'est pas suffisant pour le progrès scientifique, car il ne sert pas uniquement à tester des théories, mais à mettre en évidence de nouveaux phénomènes qui peuvent passer inaperçus si l'esprit scientifique du moment n'a pas les outils théoriques pour reconnaître leur importance. 3° L'évolution des techniques influe sur le progrès scientifique non pas seulement par les progrès de l'expérimentation, mais au niveau des conceptions théoriques elles-mêmes On peut penser que la question de savoir si le progrès scientifique est lié à l'évolution des techniques ne recoupe pas celle de savoir si c'est la théorie ou l'expérimentation qui est déterminante dans le progrès scientifique.

En effet, on peut penser que la technique, qui est elle-même le résultat des progrès scientifiques, influence non pas seulement nos moyens de mesurer les phénomènes et d'agir sur eux, mais aussi notre manière de concevoir le monde et donc les phénomènes étudiés par les sciences.

On peut ainsi penser qu'aux grandes inventions techniques qui caractérisent chaque époque ont correspondu une manière de se rapporter au monde et de concevoir l'homme lui-même : les grandes inventions mécaniques du 18 ème siècle ont ainsi conduit à des hypothèses scientifiques mécanistes sur les phénomènes de la nature.

A l'heure actuelle, l'invention technique représentée par l'ordinateur et les réseaux d'informations amène des hypothèses scientifiques guidées par l'analogie entre ces inventions et le fonctionnement du cerveau humain, comme celle que présente le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, dans L'homme neuronal : l'analogie entre une invention technique et un phénomène étudié par la science guide les hypothèses théoriques, comme celle d'un fonctionnement en réseau des neurones dans le cerveau.

Le progrès scientifique apparaît ainsi lié à l'évolution des techniques non pas seulement parce qu'elles permettraient d'observer plus précisément les phénomènes, mais parce qu'elle feraient évoluer notre regard sur ces phénomènes : une analogie perçue comme une simple analogie, c'est-à-dire possédant ses limites, peut ainsi se révéler heuristique, en amenant de nouvelles hypothèses théoriques. Conclusion On peut tout d'abord soutenir que le progrès scientifique va de pair avec l'évolution des techniques au sens où l'expérimentation scientifique permise par la technique permet une véritable rupture avec notre conception intuitive des phénomènes opposée à la démarche scientifique.

On peut cependant insister sur le fait que ce que la technique nous permet de voir ou de mesurer ne permet pas en soi un progrès scientifique, à moins q u e l'état théorique d e la science ne permette d e porter un regard adéquat sur ce nouveau phénomène.

Il apparaît alors que ce regard sur les phénomènes, qui semblait à première vue indépendant de l'évolution des techniques, peut en réalité être influencé par lui, dans la mesure où les inventions techniques marquent notre conception théorique des phénomènes, et permettent ainsi d'élaborer de nouvelles hypothèses qui peuvent permettre de nouvelles découvertes scientifiques.. »

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