Le droit est-il réductible aux faits ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION : LE FAIT ET LE DROIT.
Il y a des faits ; des faits naturels, par exemple la production d'une éclipse ; des faits historiques ou sociaux, par
exemple le sacre de Napoléon.
Parmi les faits sociaux figurent notamment de nombreux cas de violence : telle
personne a été agressée par telle autre.
On peut considérer qu'un tel fait n'est pas « normal », cad ne devrait pas avoir lieu.
Une norme, c'est un idéal
porteur de l'exigence que les faits s'y conforment.
Par exemple, il y a des normes de sécurité en matière
d'installation électrique : il est exigé de la mise en place des fils qu'elle se conforme à un certain type de disposition
antérieurement défini.
Le droit se présente comme une série d'énoncés normatifs : précisément parce qu'un certain nombre de
comportements observés ou possibles dans le cadre d'une société donnée ne sont pas acceptables, on a imaginé de
normer les comportements par des règles de droit, ou règles juridiques (du latin « jus », le droit), qui instituent des
devoirs en prononçant l'interdiction de certains comportements, ou l'obligation d'en adopter d'autres ; dans certains
cas, on peut juger utile de préciser que certains comportements sont permis, mais il est moins indispensable de le
faire, car il suffirait de poser en principe que tout ce qui n'est pas interdit est permis.
Ainsi les systèmes juridiques
se construisent sur la base d'un refus du fait brut, et notamment de la violence entre les particuliers, ou entre les
groupes.
Le droit positif énonce ce qui est légal et ce qui est illégal.
Son objectif est de contenir la liberté sauvage des
hommes.
Mais les lois positives, variables d'une époque à l'autre, d'un pays à l'autre, ne sont pas toujours justes.
C'est la raison pour laquelle le droit est aussi un idéal qui exprime ce qui doit ou devrait être.
Mais le droit comme
idéal est-il réalisable pratiquement ?
Le droit ne doit pas donc être confondu avec les faits : ce n'est pas parce que les conducteurs de voiture roulent
souvent avec de l'alcool dans le sang que cela est conforme au droit.
Au contraire, le droit semble déterminer ce
qu'il est légal voire légitime de faire et ce qu'il est interdit de faire, indépendamment de ce que font effectivement
les hommes, c'est-à-dire contre des faits constatés.
Autrement dit, le droit et les faits semblent distincts, presque
hétérogènes l'un à l'autre.
Pourtant, l'opposition est-elle si tranchée? En particulier, les droits positifs, c'est-à-dire
les droits qui existent dans des États concrets, par exemple le droit français contemporain, sont également des
faits.
En outre, les faits semblent contraindre le droit à évoluer : quand le droit ne correspond plus aux faits, il est
modifié.
Que l'on songe ici à la jurisprudence.
Quelle est, dès lors, la signification de cette distinction ? Ne serait-elle
pas seulement apparente? Dans cette perspective, nous examinerons d'abord ces deux notions.
Ensuite, nous
examinerons l'hypothèse selon laquelle le droit se ramènerait au fait, pour finalement établir l'irréductibilité du fait du
droit.
Qu'est-ce qu'un fait? Un fait est un certain état du monde, qui correspond à un énoncé vrai.
Dire que l'énoncé «
Nicolas Sarkozy est président de la République » est vrai, c'est dire qu'il y a un certain état du monde rendant vrai
cet énoncé : cet état est un fait particulier, dans ce cas-là, le fait que Jacques Chirac soit le président de la
République.
Inversement, dire que l'énoncé « Lionel Jospin est président » est faux, c'est dire qu'il n'y a aucun état
du monde rendant vrai cet énoncé.
Autrement dit, ce n'est pas un fait que Lionel Jospin est président.
Parler des
faits, c'est donc désigner des états du monde dont dépend la vérité des énoncés.
Mais cette caractérisation de la
notion de fait n'implique ni la légitimité ni l'illégitimité des faits.
Leur définition semble indépendante de la sphère du
droit.
Le droit, en revanche, ne peut être défini indépendamment du fait.
En effet, le droit doit être caractérisé comme
une norme rendant légitimes ou illégitimes certains faits.
Le droit est donc ce qui donne aux faits la forme du
légitime ou de l'illégitime.
Par exemple, la possession est un fait : c'est un état du monde qui rend vrai l'énoncé «
certains hommes possèdent des choses ».
En outre, le fait de la possession est rendu légitime par un certain droit,
le droit de propriété.
Inversement, le vol est aussi un fait, mais le droit de propriété rend ce fait illégitime.
Dire qu'un
fait est légitime ou illégitime, c'est dire qu'il possède pour les hommes, universellement ou au sein d'une communauté
politique déterminée, une signification particulière : un fait illégitime est un fait dont les hommes reconnaissent qu'il
ne devrait pas exister.
Il existe, en outre, différentes formes de droit : on distingue le droit positif, qui vaut dans
des communautés politiques historiques, le droit naturel, qui vaut universellement pour tout homme en raison de leur
nature, et le droit rationnel, qui vaut pour tout être rationnel (et qui peut être identique au précédent).
Autrement
dit, il existe différentes façons, pas nécessairement cohérentes, d'affirmer la légitimité des faits.
Le droit est donc une norme qui s'applique aux faits en leur donnant une forme particulière, celle de la légitimité ou
de l'illégitimité.
Dire d'une chose qu'elle est légitime, c'est dire qu'elle est voulue : le droit fait donc passer le fait de
l'ordre de ce qui a simplement lieu vers l'ordre de ce qui est voulu.
Mais ce qui est légitime n'est pas simplement ce
que je veux ou ce que les individus séparément veulent.
C'est ce que ma volonté et celle d'autrui s'accordent pour
considérer comme devant être voulu.
Le droit donne donc au fait une forme qui l'arrache à la simple contingence :
ce qui est de droit est voulu par autrui et par moi.
Pourtant, n'est-ce pas oublier que le droit est souvent lui-même un fait ?.
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