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Le désir suppose-t-il la connaissance préalable de son objet ?

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« Vocabulaire: OBJET (n.

m., étym.

: latin ob-jectum : c e qui est placé devant ; chose).

1.

— T out ce qui est présenté par la perception, avec un caractère stable et indépendant du sujet (objet externe) ; pour la phénoménologie, l'objet est déterminé par la visée de la conscience (cf.

sens 3).

2.

— T out ce qui se présente à un sujet, s'offre à la pensée, et qui est distinc t de l'acte de représentation ou du sentiment (donc du s ujet), c.-à-d.

aussi bien le percept, l'image, l'idée, que l'objet externe ou la pers onne aimée.

3.

— Le but qu'on se propose d'atteindre (cf.

un objectif). DÉSIR : Tension vers un objet que l'on s e représente comme source pos sible de satisfaction ou de plaisir.

C omme objet, c'es t ce à quoi nous aspirons; comme ac te, c'est c ette aspiration même. Le désir se dis tingue de la volonté, qui n'est pas un s imple mouvement mais une organisation réfléchie de moyens en vue d'une fin.

Le désir peut aller sans ou contre la volonté (un désir, par exemple, que je sais interdit et que je ne veux pas réaliser); la volonté peut aller sans le désir (la volonté d'ingurgiter un médic ament quand, pourtant, je ne le désire pas). Finalement, on peut dire que vouloir, c'est désirer au point d'agir effectivement pour atteindre ce qu'on désire.

C e qu'on veut, c'es t toujours ce qu'on fait, de même que ce qu'on fait, c'est toujours ce qu'on veut.

On peut finalement considérer la volonté comme une espèce de dés ir, c'est-à-dire comme le désir dont la satisfaction dépend de nous. CONNAÎTRE / CONNAISSANCE: 1.

— Être familier de quelqu'un ou quelque chose.

2.

— D iscerner, distinguer quelque chos e : « Le premier et le moindre degré de connaissance, c'est d'apercevoir » (C O N D I L L A C ) 3.

— P osséder une représ entation de quelque chose, en part.

une représentation exacte.

4.

— C onnaissance: a) A cte par lequel un sujet s'efforce de saisir de sais ir et de s e représenter les objets qui s e présentent à lui.

b) Résultat de cet acte. La formulation très conc ise de la ques tion peut se traduire de façon plus « aérée » ainsi : L'objet du désir doit-il être connu avant d'être désiré ? O u encore : P our que je puisse désirer, avoir le sentiment du désir, faut-il d'abord que je s ache ce que je désire ? C es deux « traductions » ne s ont pas exactement équivalentes .

Dans la première, l'acc ent est mis, comme dans la formulation originale, sur le mot « objet » et sur le lien entre le désir et son objet.

La question paraît alors un peu étrange : le mot « objet » évoque le « complément d'objet », l'idée d'une chose qui vient remplir une attente créée par le verbe qui précède : « Q ue désirez-vous ? », demande par exemple le boucher, auquel le client répond normalement : « Je désire cette viande-ci ou cette viande-là.

» Sa vis ite chez le boucher indique déjà par elle-même qu'il a une connaissanc e – plus ou moins déterminée, mais connaissance tout de même – de ce qu'il désire.

A lors, à quoi bon demander si l'objet du désir doit être connu avant d'être désiré ? T outefois la deuxième façon de poser la question, en insis tant d'abord sur le s entiment du désir, sans préjuger de l'objet qui lui correspond, suggère d'autres situations que celle que nous venons de décrire.

P ar exemple, imaginons cette fois un magasin de jouets, de toutes sortes de jouets , et l'enfant que nous avons été, et que nous s ommes peut-être encore, invité à chois ir un cadeau entre tous ces cadeaux possibles.

L'objet, ici, n'a pas d'autre détermination que d'être « quelque chose qui fas se plaisir ».

Ne peut-on même dire que l'objet est le plais ir lui-même, « le meilleur des plaisirs possibles », pour lequel il s'agit maintenant de trouver une chose qui lui corresponde, une chos e pour ainsi dire porteuse de ce plaisir désiré ? C ertes, il est possible que le choix de l'enfant se dirige immédiatement sur l'objet « dont il a toujours rêvé », mais il est au moins auss i fréquent, surtout s'il n'est pas préparé à cette visite chez le marchand de jouets, de le voir hésiter, procéder plutôt par élimination (pas ça, ni ça...), au point d'impatienter l'adulte qui l'accompagne : « T u ne sais pas ce que tu veux », proc he de «Tu ne connais pas l'objet de ton désir », où paraît jus tement aller de soi que l'enfant devrait connaître l'objet de son désir.

C e rappel à l'ordre peut même aller plus loin, jusqu'à désapprouver le choix final : « Tu n'as pas besoin de ça » ou « Q u'est-c e que tu vas faire avec ça ? » L'objet du choix es t alors jugé s elon des critères d'utilité qui définiss ent sa place parmi d'autres objets c onnus avec lesquels il doit raisonnablement s'accorder sous peine d'être éliminé comme superflu.

Un objet défini de cette manière paraît correspondre au besoin plutôt qu'au désir. Ici pourrait s'ouvrir une recherche portant sur c e qui fait la différence entre un besoin et un désir, mais ce s erait au risque de perdre de vue la question posée par le sujet qui vise précis ément le rapport du dés ir à l'objet du désir, et en particulier, nous le voyons mieux maintenant, cette étrange possibilité d'un objet désiré sans être connu. C 'est à présent sur ce mot « objet » qu'il convient de revenir. Reprenons l'exemple de l'enfant auquel un cadeau est promis et qui est dans « l'embarras du choix », et cette fois, s upposons -le non plus dans un magasin de jouets, où des objets déjà tout prêts s'offrent à son désir, mais seul et songeant à l'objet merveilleux qui pourrait le satisfaire.

Si le choix a pu se faire dans le premier cas par éliminations succes sives, il s e pourrait cette fois qu'il se fasse au contraire par une accumulation de détails qui construisent à mesure l'idée d'un objet qui n'exis te pas enc ore et n'existera probablement jamais, parce que ces détails s ont trop nombreux, trop divers, pour être tous réunis dans un objet réel.

P eut-être un dessin en donnera-t-il l'idée, mais un autre dess in pourra fort bien proposer une autre image de cet objet toujours à venir et qu'on ne peut pas même dire achevé lors que la fatigue ou tout autre motif d'abandon met fin à sa c onstruction. L'expérience du rêve, qui concerne les adultes tout autant que les enfants, montre de grandes analogies avec le processus que nous venons de décrire.

Il n'est pas tout de suite évident qu'un rêve poursuit toujours un désir, bien que l'emploi de l'expression « je rêve de...

» au sens de « je désire » paraisse bien l'indiquer.

M ais cette forme du rêve à demi éveillé qu'on appelle la rêverie est, elle, tout à fait propre à nous montrer à l 'oeuvre le désir quand il c rée, quand il invente des s ituations imaginaires, qui toutes ensemble constituent ce qu'on peut bien appeler son objet, comme on dit « l'objet de mes pensées » ou « l'objet de mes préoc cupations ». Q ue nous apprennent ces remarques s ur les différents sens possibles du mot « objet » et, parallèlement, s ur le rapport qu'entretient le désir avec la connaissance ? Dans objet nous avons, c omme l'étymologie nous l'indique, l'idée de quelque chose qui-se-tient-là-devant, qui retient mon attention, qui demande que je m'en occupe, ne serait-c e que pour l'éc arter, comme lorsque cet objet est un obstacle ou une objection, ou bien au c ontraire pour l'atteindre, lui et non pas un autre, c omme lorsque nous visons un objectif.

Un tel objet est supposé déjà pris dans le regard d'un sujet qui l'observe ou qui l'a du moins « repéré », situé, ce qui es t déjà une façon d'en avoir connaissance.

A insi, dans notre tout premier exemple, le regard du client a déjà situé l'objet qu'il « désire » acheter.

Q uant à cette formule « je dés ire un bifteck », elle est toute proc he de « je veux un bifteck », simplement plus polie, réservant la possibilité (peu probable) d'un refus du boucher.

Nous sommes donc ici dans le registre de la volonté qui s'est fixée un but en connaissance de cause.

A lors, si le désir n'est pas un mot inutile, il doit avoir un autre sens et à cet autre sens est lié un autre sens du mot objet. C 'est ce que nous avons vu dans d'autres exemples de situations de dés ir, radicalement différentes en effet.

L'enfant qui « ne sait pas ce qu'il veut » n'en désire pas moins quelque chose, quelque chose qui n'est pas un objet présent mais un objet...

à venir ; on dirait peut-être un projet, mais ce mot projet est lui-même trop marqué par l'idée de but, alors qu'il faudrait plutôt parler ici d'un idéal, pour exprimer la nature inachevée, encore irréelle et peut-être irréalisable, de l'objet du désir.

Es t-ce à dire que cet objet est absolument inconnu ? Non, car, si c'était le cas, il ne serait pas du tout reconnu comme préférable à mille autres objets possibles. Il est du reste souvent amorcé, mis en route, par la rencontre d'un objet réel : c'es t cette affiche remarquée dans une agence de voyage qui éveille ou réveille tout à c oup un désir de vacanc es, qui n'attendait, semble-t-il, que cette occasion pour se déployer.

Le désir ne peut donc être non plus le dés ir de n'importe quoi.

Si le désir est fort, il es t au contraire le dés ir de quelque c hose qui importe plus que tout le reste.

Quelle est donc c ette forme de connaissance qui distingue la chose que nous désirons entre toutes les autres (« pas ç a, ni ça ») sans pour autant la définir (« ce n'est pas seulement ça ») ? La bonne voie pour répondre à cette question paraît bien donnée dans les remarques précédentes portant sur l'aspect créateur, inventif, prospec tif, du sentiment qu'on appelle le désir, sans le confondre ni avec le besoin, ni avec la volonté.

C et aspect positif du désir s 'acc ompagne toutefois d'une contrepartie qu'on pourrait dire négative : la nature irréelle, ins table, provisoire, incomplète de l'objet créé par le désir autant que c elui-ci dure.

M ais c et aspec t n'est négatif que si l'on considère que l'objet du désir manque de réalité.

O n peut aus si bien dire que la rêverie, et le monde imaginaire qu'elle nous ouvre, ne manque de rien quand elle est tout entière occupée à créer l'objet qu'elle ne connaît pas encore et que cette création, à son tour, par le plaisir qu'elle procure, satisfait le rêveur. La connaissanc e imparfaite, inachevée, à venir (et non préalable) de son objet serait donc pour le dés ir bien plutôt une condition nécessaire qu'un obs tacle.. »

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