L'art rend-il meilleur ?
Extrait du document
«
[Introduction]
Les oeuvres d'art rendent-elles l'homme meilleur ? Autrement dit, lui permettent-elles de s'améliorer moralement,
puisque «meilleur» renvoie à un vocabulaire d'ordre moral ? Cette question porte sur la capacité qu'a l'art de nous
renseigner sur le réel et d'apporter une connaissance liée au bien.
[I.
L'art élève l'âme]
La pensée antique grecque associe le beau et le bien.
Platon explique comment l'art musical, correctement pratiqué,
prépare l'âme à la raison.
L'art musical prépare l'enfant à la beauté et lui apprend à raisonner avec mesure et
harmonie, dans la justesse de la pensée.
Devenu adulte, il rejettera la démesure et le désordre, tout comme il a
appris à s'éloigner de la dysharmonie musicale et de la mollesse.
A partir de cette expérience sensible bien
pratiquée, il pourra atteindre une beauté supérieure, celle du monde intelligible.
Celui qui a appris l'exigence
musicale, devient lui-même exigeant et ne supporte pas le désordre, signe de laideur dans la vision platonicienne,
laideur à la fois physique et morale.
Tout ce qui permet à l'homme de se détacher du monde sensible pour s'élever vers le monde intelligible, élève son
âme qui alors connaît le vrai, le bien, le beau.
Il ne peut devenir que meilleur.
« Nul n'est méchant volontairement »,
pense Socrate.
La méchanceté est signe de l'ignorance.
C'est dans le « Gorgias » de Platon que l'on trouve exposé le paradoxe socratique : « Nul n'est méchant
volontairement ».
Cette thèse surprenante de prime abord doit être reliée aux deux autres : « Commettre l'injustice
est pire que la subir » ; « Quand on est coupable il est pire de n'être pas puni que de l'être ».
L'injustice est un
vice, une maladie de l'âme, c'est pourquoi, nul ne peut vraiment la vouloir (on ne peut vouloir être malade), et la
punition, qui est comparable à la médecine, est bénéfique à celui qui la subit.
L'attitude commune face à la justice est résumée par Polos dans « Gorgias » et Glaucon au livre 2 de la
« République ».
Les hommes souhaiteraient être tout-puissants et pouvoir commettre n'importe quelle injustice
pour satisfaire leurs désirs.
Il vaut donc mieux, selon eux, commettre l'injustice que la subir.
Cependant, comme
subir l'injustice cause plus de dommage que la commettre de bien, les hommes se sont mis d'accord pour faire des
lois en vue de leur commune conservation.
Nous ne sommes donc justes, en vérité, que par peur du châtiment.
Si
nous pouvions être injustes en toute impunité, comme Gygès qui possède un anneau le rendant invisible, nous
agirions comme lui : nous ne reculerions devant aucune infamie pour nous emparer du pouvoir, devenir tyran.
Bref,
nous serions injustes pour satisfaire nos désirs.
Platon réfute inlassablement cette thèse, cette hypocrisie qui consiste à ne vouloir que l'apparence de la justice,
l'impunité, pour pouvoir accomplir n'importe quelle injustice.
Le nerf de l'argument consiste à montrer que, en réalité, « Commettre l'injustice est pire que la subir ».
C'est par
une ignorance du bien réel que les hommes souhaitent pouvoir être injustes.
Parce que nous confondons le bien
apparent (le plaisir, la satisfaction immédiate des désirs les plus déréglés) avec le bien réel, la santé de l'âme.
Nous
croyons vouloir commettre l'injustice, alors que c'est impossible, que « nul n'est méchant volontairement », parce
que nous voulons.
Etre injuste est faire son malheur en croyant se faire plaisir.
L'antagonisme entre le point de vue habituel et la position de Socrate est magnifiquement exposé par le débat entre
Calliclès et Socrate, dans le « Gorgias ».
Calliclès prétend : « Voici, si l'on veut vivre comme il faut, on doit
laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer .
» Socrate pense, lui, que l'accès
au bonheur, au Bien, « cela veut dire être raisonnable, se dominer, commander aux plaisirs et aux passions qui
résident en soi-même ».
Pour tenter de réfuter Calliclès, Socrate lui montrera que son idéal de mode de vie ressemble bien à une
« passoire ».
L'intempérance consiste à accumuler des plaisirs qui n'ont aucune consistance, à ne pas savoir se
mesurer, se satisfaire, mais au contraire à être habité par des désirs tels que pour les combler il faut « s'infliger les
plus dures peines ».
L'erreur fondamentale de Calliclès est de confondre l'agréable et le bon, de confondre la
démesure des désirs déréglés et irrationnels avec l'équilibre de la satisfaction véritable.
C'est que l'injustice est une maladie de l'âme, et plus précisément encore la subversion d'un ordre.
Le magnifique
mythe de l'attelage ailé dans le « Phèdre » décrit d'une façon imagée ce qu'est l'âme.
Elle est comparée à un
attelage composé d'un cocher et de deux chevaux.
L'un est blanc, docile, l'autre est noir, à les oreilles poilues et se
montre sourd aux injonctions du cocher ; il menace ainsi l'équilibre de l'attelage.
Il y a donnc trois instance dans
l'âme.
Le cocher figure la raison, qui a pour tâche de diriger.
Le « cheval blanc » représente le siège de l'honneur, de
la colère.
Le « cheval noir » symbolise l'âme concupiscible, siège des désirs, et plus précisément des désirs liés au
corps.
Or ces désirs ont pour caractéristiques d'être multiples, tyranniques, de ne rien respecter (Platon anticipe
dans certaines descriptions sur tous les cas cliniques décrits par Freud).
Or, la justice consiste d'abord dans le respect de la hiérarchie naturelle des trois instances, qui doivent s'ordonner
sous la conduite de la raison.
Se dominer, être maître de soi, tenir en bride le « cheval noir », c'est faire régner.
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