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L'ART NOUS DÉTOURNE-T-IL DU RÉEL ?

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« INTRODUCTION Se détourner, c'est ne plus regarder ce que nous regardions auparavant.

C 'est regarder ailleurs, autrement.

L'art a-t-il pour fonction de nous éloigner du réel, de nous y soustraire ? Mais à quelle fin ? Serait-ce pour y mieux goûter, y découvrir l'essence cachée des choses ? L'art est-il un révélateur ? I.

L'art ne nous détourne pas du réel : il en est une imitation • Platon voit dans l'art une copie de copie puisque l'art imite la nature, le sensible, copie du monde intelligible, du monde des Idées (= Formes = Modèles) où se trouve la réalité.

C ela suppose un monde-vérité (le monde intelligible) et un monde-apparence (le monde sensible). • Platon suppose donc la supériorité du modèle (une supériorité ontologique) sur la copie, donc la supériorité du monde intelligible sur le monde sensible, le nôtre.

La conséquence en est qu'il faut exclure de la cité les artistes, principalement les poètes, qui, par leurs discours, ravissent les hommes et les empêchent d'élever leur âme.

Pour Platon, art = simulacre. • Platon est ainsi à l'origine de la longue tradition de l'art figuratif qui a pour finalité autre chose que lui-même.

P our A ristote, par exemple, il a une fonction purificatrice : offrir à l'homme une représentation de ses passions, par l'intermédiaire de la tragédie, afin de mieux les maîtriser. II.

L'art comme imitation de la nature est un principe inacceptable • Si l'on s'en tient au principe platonicien de l'art comme reproduction fidèle de la réalité sensible, « on peut dire d'une façon générale qu'en voulant rivaliser avec la nature par l'imitation, l'art restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour égaler un éléphant » (Hegel).

Hegel réfute ainsi la conception grecque.

A u contraire, l'art est un moment de la prise de conscience de soi et nous permet d'accéder à l'Esprit. • L'art n'est pas une forme vide.

Il ne se réduit pas au savoir-faire.

« L'art a pour destination de saisir et de représenter le réel comme vrai, c'est-à-dire dans sa conformité avec l'idée, conforme elle-même à sa véritable nature ou parvenue à l'existence réfléchie.

» (Hegel). III.

L'art nous détourne du réel mais pour mieux y revenir • L'art est une manière de regarder autrement le monde.

Bergson disait que l'art a pour fonction de dévoiler et de découvrir de nouveaux rapports dans la réalité.

II faut se soustraire au monde, ne serait-ce qu'un moment, pour y revenir sans le regard de l'habitude. • L'art permet ainsi d'explorer notre monde, car il n'y a que cette réalité.

Il n'y a que du, il y a, disait déjà A.

Rimbaud : « A u bois, il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.

Il y a une horloge qui ne sonne pas. Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches. Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte. Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée. Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois. Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.

» • L'art est ainsi révélateur, dévoilement.

T ant que le réel a quelque chose à dévoiler, l'art nous révèle ce quelque chose de réel.

Le peintre Paul Klee affirmait que l'oeuvre ne reproduit pas le visible, elle rend visible. L'artiste n'est pas une sorte de copiste du réel, se contentant de représenter le monde.

De ce point de vue, nous pouvons jouer sur le verbe " représenter " qui signifie littéralement " présenter deux fois ".

Il ne s'agit pas en effet de se limiter à une imitation du monde.

Si l'art n'était qu'imitation de la nature, il serait alors une activité oiseuse et superflue comme le dit Hegel dans l'Esthétique (il ajoute d'ailleurs que l'imitation parfaite de la nature est impossible ; l'artiste étant alors semblable à un " ver faisant des efforts pour égaler un éléphant ").

Quelle est alors la valeur du travail de l'artiste ? C 'est une sorte de révélation de ce que nos yeux ne voient pas, ne veulent pas voir ou ne voient plus.

C 'est un rapport au réel différent mais peut-être plus authentique et plus parlant.

C 'est ce que veut dire " rendre visible " ou " créer le visible ".

A insi, l'art fait que nous ne sommes plus dans un rapport utilitaire au monde et aux choses.

Un rapport utilitaire aux choses qui nous entourent nous conduit à ne saisir le monde que sous un certain aspect.

L'art nous révèle le monde autrement, nous le dévoile autrement.

C 'est dans une telle perspective que Heidegger, philosophe allemand du XXème siècle, assimilera l'art à la vérité.

Il ne faut pas alors entendre la notion de vérité dans son sens logico-mathématique, le terme de vérité renvoie à son sens premier de dévoilement, alèthéia en grec.

Ce n'est donc pas ainsi à partir de la question du beau que le problème de l'art peut être saisi : une œuvre d'art n'est pas nécessairement belle ; ce n'est pas non plus sa fidélité à ce qu'elle représente ou sa perfection dans la représentation qui fait une œuvre d'art.

L'œuvre d'art serait ce qui dévoile, ce qui convertit et transforme notre regard sur le monde en nous le donnant à voir autrement que dans notre rapport quotidien.

Qui prendrait le temps de regarder un fruit par exemple ? Notre préoccupation est de le manger et, comme tel, il est littéralement invisible, il se dérobe à toute valeur esthétique.

Or, dans la nature morte, nous prenons le temps de contempler ces mêmes choses qui nous laissent indifférents hors de l'œuvre et l'invisible se fait visible, il donne à voir ce que nos préoccupations immédiatement pratiques nous masquent. L'art nous réapprend à voir (Merleau-Ponty) En nous plaçant au coeur de l'énigme de la vision, la peinture moderne rompt avec la pensée classique.

Elle nous permet d'approfondir notre rapport au monde et à nous-mêmes, en nous réapprenant ce que signifie « voir » : non pas survoler le monde par l'esprit pour le dominer, mais s'ouvrir à lui, le rejoindre, le prolonger, en l'explorant par notre corps.

La peinture ne peut être pensée sur le modèle de l'imitation, car le tableau n'est pas la représentation d'un dehors, la copie du monde extérieur : ce qu'il nous montre, c'est la vision du peintre se rendant visible et, en elle et par elle, le surgissement de l'Être.

Le peintre nous dévoile ce que la vision ordinaire ne voit pas : la « doublure d'invisible » du visible.

Contrairement à la science, qui prétend rendre le monde transparent à la pensée, il questionne et célèbre le mystère de sa présence. CONCLUSION L'art nous détourne de la réalité pour mieux lui donner sens.

Mais si la réalité est vide, si le monde n'a plus de sens, alors il ne sert à rien de s'en détourner pour y découvrir une nouvelle expérience.

D'où sans doute, la crise actuelle, la surproduction, la surconsommation de l'oeuvre comme marchandise, émancipée du sacré, éphémère.

L'art nous enseigne à voir la réalité dans son ingénuité, dépouillée de son caractère utilitaire, des mots et des concepts qui la défigurent et la voilent.

De cette contemplation peut naître l'harmonie, la sérénité, mais aussi la révolte et l'insurrection (cf.

Guernica de Picasso).. »

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