L'art est-il un langage ?
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Si le langage est la faculté humaine de parler, ce terme renvoie aussi, par extension, à tout système de signes ou symboles plus ou
moins codé.
Ces systèmes de signes peuvent-ils être créés par l'art ? L'art signifie-t-il nécessairement quelque chose, nous parle-t-il ? Le
signe désigne tout ce qui indique ou représente autre chose que lui-même : l'art serait donc de l'ordre du renvoi, il renverrait à autre
chose que ce qu'il donne à voir, à entendre, etc.
Il signifierait au sens fort et supposerait de notre part interprétation.
Un langage est un
moyen d'expression ; il donne une forme et une existence extérieure à nos pensées, d'où la corrélation étroite, voire indivisible, entre
langage et pensée.
Mais il me semble que l'on ne peut se contenter de le définir ainsi : le langage n'est pas qu'un moyen d'expression, il
renvoie aussi à l'idée de communication.
Par le langage, nous communiquons, c'est-à-dire que nous entrons en relation avec les autres
hommes, nous partageons, nous échangeons, etc.
Peut-être est-ce lié à l'origine des langues qui, selon Bergson par exemple, sont
apparues quand l'homme a éprouvé le besoin de dire pour survivre.
Le langage serait alors pauvre puisqu'il ne serait lié qu'à l'utilité, au
besoin, à tous les registres d e la vie pratique.
Selon Bergson, le langage, par son origine, ne dit pas la singularité des émotions, la
particularité d e m e s sentiments, il ne peut dire mon individualité : il a une structure qui généralise.
Or précisément l'art est bien
l'expression de la particularité, ce serait donc un langage à part.
Et l'art n'est-il qu'un langage ? Ne recèle-t-il pas une part d'inexplicable,
de non communicable, qui serait lié à la sensation (dans l'expérience esthétique) ? Si, pour Kant, le jugement de goût est universel, peutil participer à un langage (voir la Critique de la faculté de juger) ?
Introduction
Il n'y a pas de symptôme plus évident d'inintelligence esthétique que la
oeuvre picturale, poétique ou musicale : « qu'est-ce que ça signifie ? »
contenu qui importe plus que la forme, qu'elle est à « comprendre »,
linguistique.
Pourtant l'expression « comme un langage » implique qu'il
entre deux formes de communication qui sont irréductibles l'une à l'autre.
question que l'on entend quelquefois posée en présence d'une
Cette question de béotien présuppose que l'oeuvre d'art a u n
qu'elle a donc la structure d e renvoi qui caractérise le signe
y a ici analogie, c'est-à-dire une forme transgénérique d'unité
I - Les beaux-arts sont un langage.
a) Une sculpture de Picasso peut ressembler à une statue africaine mais c'est au prix d'une totale méprise.
L'histoire de l'art aussi bien
que la classification des beaux-arts ne sauraient donc être fondées sur des considérations uniquement formelles : elles doivent être
rattachées, pour devenir intelligibles, à l'histoire des civilisations dont elles sont la manifestation sensible.
Ces formes d'expression
trouveront leur vérité dans la langue explicite du concept qui est celle de l'esthétique.
b) Parce que les beaux-arts ont été généralement pensés en référence au modèle de la peinture-fenêtre (figurative ou représentative),
cette esthétique du contenu a été entièrement ordonnée à la transcendance du signifié et a provoqué une occultation de la matérialité du
signifiant.
c) Il est donc possible, dans ces conditions, de faire parler les images, de dégager le logos de l'icône.
C'est ce qu'a fait l'iconologie de
Panofsky en rapportant les motifs à la mentalité de base d'une société et d'une époque.
Il n'y a pas en effet d'oeil sauvage, voir c'est
toujours savoir et dans l'image tout est déjà histoire et tradition.
Mais tous ces discours qui prolifèrent autour des oeuvres pour leur faire rendre sens transforment l'art en un chapitre de l'histoire des
idées.
II - Question dégoût.
a) Le sujet d'une oeuvre d'art offre peu d'intérêt pour l'homme de goût.
Il faut « se rappeler qu'un tableau, - avant d'être un cheval de
bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote - est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre
assemblées » (M.
Denis).
b) La recherche du sens est ce qui nous sépare de la vie et nous tient en esclavage.
Quand Proust (La Recherche..., Pléiade, III, 873,
895) parle de cette « minute affranchie de l'ordre du temps » et de la « vraie vie » que la littérature dévoile, il nous fait comprendre qu'il
n'y a rien d'autre à « chercher » que ce qui nous est déjà donné ici et maintenant et que l'art seul manifeste : la vie sans promesse ni
sens qui est la vie éternelle.
c) Mais pourquoi un tableau ne pourrait-il être à la fois un objet de connaissance et de délectation, se donner à lire et à voir ?
III - L'analogie.
Les voix du silence.
a) La forme n'est pas indifférente au contenu, le signifiant au signifié, on peut donc, en un sens, parler de langage à propos de l'oeuvre
d'art et m ê m e d'un langage universel qui aurait échappé au châtiment d e Babel : ainsi, Chaplin, le mime, avait une audience
internationale.
Un intérêt de l'analogie art/langage est de nous obliger à repenser la vieille analogie art/nature.
On dit que l'oeuvre d'art est comme un
langage pour signifier qu'elle ne vient pas doubler la réalité mais qu'elle est une fiction qui suppose un code, des modes de narration, des
effets de style ou de montage...
L'artiste ne reproduit pas son modèle, il le signifie ; l'art peut ainsi apparaître comme un système de
signes.
b) Mais il est clair que le « comme un langage » implique analogie puisque, dans les arts plastiques, la relation entre signifiant et signifié
n'étant pas arbitraire, ne peut être analysée.
L'oeuvre d'art serait plutôt analogue à un symbole, qui ne renvoie pas à un sens absent
mais qui « donne » ou exhibe de façon sensible un sens qui demeure ouvert à l'interprétation : le génie, faculté des « idées esthétiques »
produit des représentations de l'imagination qu'aucun concept ne peut épuiser.
c) L'analogie art/langage permet de trouver aussi un fil conducteur pour rendre compte de l'extraordinaire diversité de l'art et notamment
de l'art contemporain oscillant entre les deux pôles du sens et du sensible.
Le langage est mot mais aussi geste, mimique et ton ; il y a
donc les arts de la parole, les arts de la figure ou arts figuratifs et les arts de la sensation, ceux du langage des affects qui font venir la
matière inhumaine du monde dans le son et la couleur (Critique de la faculté de juger, §51).
Conclusion
Mais si l'art est comme un langage n'est-ce pas parce que le langage est l'art fondamental, non pas une partie de l'art mais le tout de
l'art puisque tout art a une dimension poétique ? Sur le modèle du poème, l'oeuvre d'art « fait signe » et son mode de signifier ne peut
s'accomplir qu'en créant cette espèce de silence auquel le Beau a toujours répondu..
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