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Un langage de l'art est-il inconcevable ?

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« L'activité artistique est l'une des toutes premières manifestations de la culture humaine - grottes de Lascaux, par exemple. - L'artiste véritable, même s'il a appris l'histoire de l'art et toutes les techniques nécessaires à son art, même si au début il imite d'autres artistes, c'est-à-dire qu'il leur emprunte leur langage, doit inventer son style, ce qui fera de lui un génie. " Il est facile maintenant de comprendre ce qui suit : 1 ° Le génie est le talent d e produire ce dont on ne peut donner d e règle déterminée, et non pas l'habileté qu'on peut montrer en faisant ce qu'on peut apprendre suivant une règle ; par conséquent, l'originalité est sa première qualité. 2 ° Comme il peut y avoir des extravagances originales, ses productions doivent être des modèles, elles doivent être exemplaires et, par conséquent, originales elles-mêmes ; elles doivent pouvoir être proposées à l'imitation, c'est-à-dire servir de mesure ou de règle d'appréciation. 3 ° I1 ne peut lui-même décrire ou montrer scientifiquement comment il accomplit ses productions, mais il donne la règle par une inspiration de la nature et ainsi l'auteur d'une production, en étant redevable à son génie, ne sait pas lui-même comment les idées s'en trouvent en lui ; il n'est pas en son pouvoir d'en former de semblables à son gré et méthodiquement, et de communiquer aux autres des préceptes qui les mettent en état d'accomplir de semblables productions.

" Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger (1790), trad.

A.

Philonenko, Vrin Le latin genius désignait, dans l'Antiquité, la divinité qui présidait à la naissance, l'esprit particulier qui avait été d o n n é à un h o m m e , pour le protéger, le guider et lui inspirer des idées originales.

La conception développée par Kant, dans ce texte, va se révéler en accord avec cette étymologie et ce, à l'intérieur d'une théorie philosophique sur l'origine de la création artistique. Qu'est-ce qui caractérise un génie artistique ? Comment distinguer un tel artiste d e l'artisan le plus habile ? Kant répond à cette question en définissant cette qualité si particulière que l'on appelle le génie c o m m e « le talent d e produire ce dont on ne peut donner d e règle déterminée ».

C e talent ne s e manifeste pas à travers l'application d'une méthode (ou règle) à exécuter, qui aurait été apprise auparavant. C'est ce qui le différencie d e l'habileté qui désigne au contraire l'adresse avec laquelle un artisan suit des règles très précises pour produire un objet.

Le terme « habileté » convient donc seulement à l'artisan qui a appris des « recettes » ou techniques bien déterminées pour fabriquer des poteries ou des meubles, par exemple.

Le génie, au contraire, est cette faculté de produire ce pour quoi aucune règle, aucune méthode, aucune recette ne lui a été transmise. À partir de quoi l'artiste va-t-il alors créer ses oeuvres ? Précisément, à partir de rien qui soit clairement et a priori formulable, nous dit Kant, puisqu'il va inventer, en même temps qu'il produit son oeuvre, la règle nouvelle qui en organise la progression.

Cette création fait donc apparaître une règle paradoxale, qui ne va servir que pour l'oeuvre elle-même, et dans laquelle elle sera « prise »Al y a donc de la nouveauté dans ce q u e pro-duit le génie, puisque son oeuvre est « origine première ».

C'est pourquoi s a qualité principale est « l'originalité ». L'originalité suffit-elle pourtant à définir totalement le génie artistique ? On pourrait, en effet, objecter que la conduite du fou est parfois si inattendue, si « extravagante », qu'elle se présente aussi comme originale, puisqu'elle ne s'est rencontrée nulle part ailleurs. C'est pour répondre à cette objection que Kant nous précise alors qu'étant donné qu'il peut effectivement se trouver des « extravagances originales », les productions du génie doivent se reconnaître à un second critère : « elles doivent être d e s m o d è l e s , elles doivent être exemplaires », c'est-à-dire servir d'exemples pour l'imitation. Cela sous-entend que le génie se distingue de la folie en ceci que sa production est consciente et volontaire, alors que le fou commet ses extravagances sans savoir ce qu'il fait, et ne peut pour cela servir de modèle. Le génie, au contraire, produit des oeuvres qui peuvent être proposées à l'imitation.

Ainsi, dans les écoles d'art, les élèves tentent d'imiter le style du maître lorsqu'ils apprennent les techniques de base de la peinture ou de la sculpture. Le génie se distingue donc du technicien en ce que, contrairement à ce dernier, il ne peut décrire ou montrer quelle méthode il utilise pour accomplir ses productions, car il ne la possède pas sous la forme d'une recette formulée comme une règle qui constituerait un savoir (« une science ») qu'il pourrait, de ce fait, montrer « scientifiquement »Al invente la règle en m ê m e temps qu'il crée et, en ce sens, la découvre en la réalisant, « par une inspiration de la nature ». Cela signifie qu'il y a dans le génie un élément naturel que nous appelons un « don » : l'artiste élabore son oeuvre spontanément, sans avoir conscience d'inventer les règles qui ordonnent sa construction.

Cette nouvelle définition proposée par Kant institue, entre l'artiste et l'artisan, une distinction que les penseurs de l'Antiquité ignorèrent.

Pour Platon, par exemple, seule existait la technè, dénomination qui recouvrait aussi bien le savoir-faire du potier celui de l'artiste. L'art n'était alors considéré que comme une technè parmi d'autres, et c'est pourquoi Platon peut qualifier le peintre d'« illusionniste » et lui reprocher de n e rien connaître de ce qu'il représente, par rapport à un artisan qui connaît les propriétés des objets qu'il fabrique.

Les arguments avancés par Platon dans sa critique méconnaissent la distinction que nous faisons aujourd'hui entre une activité de fabrication matérielle (l'artisanat) et une oeuvre de création intellectuelle (l'art). Pour Kant, en revanche, il n'y a pas à savoir comment se fabrique un lit pour le représenter artistiquement.

Ce qui commande l'oeuvre d'art, le génie, est sans rapport avec ce qui guide la main de l'artisan, l'application d'un savoir-faire clairement formulable. - Cependant, pour le spectateur que je suis, il existe bien un langage de l'art.

Sinon, comment pourrais-je apprécier l'art et le comprendre ? D'où la difficulté de tout art d'avant-garde qu'on ne peut pas comprendre, faute de grille de lecture, de points de repères. Il y a toujours un passé à connaître : il peut éclairer le présent (cf.

L'Histoire de l'art de E.H.

Gombrich, Gallimard).

Cependant, il n'y a pas de « progrès » en art. - Un langage de l'art n'est pas inconcevable : l'art est le signe d'un homme à d'autres hommes.

Il faut donc qu'on puisse déchiffrer ce signe.

Ce qui arrive souvent, c'est une compréhension plus ou moins tardive.

Gauguin, Van Gogh moururent seuls, pauvres.

Le véritable artiste doit supporter cette solitude, non qu'elle soit nécessaire à la création – ne tombons pas dans la vision des artistes maudits par définition –, mais parce que la puissance créatrice de l'artiste bien souvent effraie et nous le fait tenir à distance.. »

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