L'art est-il toujours transgressif ?
Extrait du document
«
A.
L'art est toujours transgressif
L'art est réel parce qu'il échappe tant à son auteur qu'à son public.
Toutefois, si l'art est bien un rapport à la réalité,
cela ne veut pas dire que son travail consiste à s'y conformer, à s'y ranger.
L'artiste ne se contente pas de suivre
son inspiration comme le chien suit son maître.
Il y a dans la création artistique quelque chose comme un acte
d'évasion, comme la transgression d'une frontière interdite.
S'il n'y avait en l'âme aucun désir réprimé, aucune
aspiration refoulée, si l'homme avait toujours pu aller jusqu'au bout de ses envies, il ne se serait jamais humanisé et
ne serait devenu cet être trouble que nous connaissons et qui ignore toujours, comme en témoigne l'expérience
passionnelle, le véritable objet de son désir.
Pourquoi le théâtre, la littérature, le cinéma représentent-ils autant de
situations qu'on n'oserait pas vivre soi-même si elles s'offraient à nous? Même si ces histoires nous font souvent
rêver, elles vireraient vite au cauchemar si elles devaient surgir dans notre réalité.
Pourquoi les arts plastiques, dans
notre culture judéo-chrétienne, ont-ils si longtemps représenté l'homme et la nature en général alors que l'image fait
l'objet d'un interdit fondamental dans l'Ancien Testament? C'est la moralité de l'homme qui est en cause dans
l'expérience artistique.
C'est à ce titre que Platon s'estimait en droit d'expulser les artistes de la cité idéale.
B.
L'art comme formation de compromis
Mais l'évasion que représente l'oeuvre d'art, pour l'artiste comme pour ceux auxquels elle s'adresse, n'est jamais qu'à
moitié réussie.
Ce qui fait la peine et les souffrances de l'artiste, ce n'est pas tant le fait que la matière lui résiste
que celui de ses propres résistances qui l'empêchent de prendre une conscience claire des désirs qui cherchent à
s'exprimer en son oeuvre.
La censure, qui est levée lors du rêve, opère durant le processus créateur.
L'inconscient
de l'artiste doit se donner une forme présentable pour éviter de choquer le sens moral et d'entraîner alors des
réactions de défense qui stériliseraient rapidement le génie du créateur.
Le réel qui s'impose à l'artiste est donc la
résultante d'un conflit intérieur.
Ainsi les désirs incestueux sont-ils réprouvés en tout homme, y compris par
Sophocle.
Quand celui-ci écrivit pourtant oedipe roi, il leur donna une expression littéraire qui les rendit audibles,
visibles et acceptables par la conscience morale de son public.
.../...
POINT DE CULTURE GENERALE : Œdipe, c'est le héros maudit par essence.
Promis à un destin fatal par l'oracle,
telle la Belle au bois dormant à qui une sorcière jette un mauvais sort, l'enfant est retiré à ses parents Laïos, roi de
Thèbes, et Jocaste, pour être élevé loin du foyer familial.
Bien sûr, en dépit de toutes les précautions, comme pour
la princesse du conte, la prédiction se réalise, et sans le savoir Œdipe tue réellement son père biologique et épouse
sa mère.
Comprenant sa méprise des années plus tard, alors que la peste dévaste son royaume, et horrifié de son
parricide et de son inceste, le roi se crève les yeux et se bannit du monde.
À ce malheur, s'en est ajouté un autre
beaucoup plus tard puisque le pauvre homme a vu la psychanalyse donner son nom à un complexe, dont l'humanité
entière souffrirait.
C'est dire à quel point la culpabilité doit peser sur ses épaules.
Mais n'est-ce pas un peu trop réducteur de ne penser à Œdipe qu'en termes freudiens ? C'est oublier en effet la
détermination de cet homme qui a voulu échapper à une mauvaise fortune édictée par des instances supérieures.
C'est oublier l'équité dont ce roi fait preuve dans sa vie et dans l'exercice de ses fonctions.
En effet, c'est au nom
de la justice qu'il cherche le meurtrier de Laïos, sans savoir encore que ce dernier est son vrai père.
Et c'est au
cours de cette enquête qu'il découvre donc toute la vérité à son sujet.
D'une certaine façon, Œdipe, c'est à la fois
le premier flic ou détective de l'histoire mais c'est aussi le premier héros à faire une introspection.
On en revient à
l'analyse, mais au sens littéraire, car c'est le propre de tout grand personnage : être à la fin du livre différent de
celui qu'on a connu au début.
Et c'est aussi la signature des mythes : donner naissance à un symbole, ici celui d'un homme qui a été trompé, qui
s'est trompé, mais qui reprend en main son destin (car s'il se punit, il ne se suicide pas) pour l'assumer avec
courage.
.../....
»
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