L'art doit-il faire plaisir ?
Extrait du document
«
Une ouvre d'art est souvent évaluée en fonction de l'effet qu'elle fait sur un spectateur ou un auditeur.
En même temps, nous admettons que la réaction du
récepteur est variable, individuelle : « C 'est une question de goût.» N'est-il pas dès lors étrange de faire de cette réaction subjective le but de l'oeuvre? Et
si l'art doit apporter quelque chose de grand ou de nouveau, ne doit-il pas plutôt déplaire?
1.
Agrément et plaisir esthétique
• La création pure et simple d'un objet ne suffit pas pour déterminer la tâche de l'artiste.
Du moins, écrit Kant, si l'art «se contente d'entreprendre ce qu'il
faut afin de réaliser l'objet, c'est un art mécanique», tandis que «s'il vise immédiatement au sentiment de plaisir, c'est un art esthétique» (C ritique du
jugement, 43).
Kant distingue alors entre l'art d'agrément, lorsque la sensation de plaisir ou jouissance est le seul but recherché, et les beaux-arts, lorsque
le plaisir s'accompagne d'une connaissance.
KANT: Lorsqu'il s'agit de c e q u i e s t agréable, chacun consent à c e que son jugement, qu'il fonde sur un sentiment
personnel et en fonction duquel il affirme d'un objet qu'il lui plaît, soit restreint à sa seule personne.
A ussi bien, disant : «
Le vin des C anaries est agréable il admettra volontiers qu'un autre corrige l'expression et lui rappelle qu'il doit dire : cela
m'est agréable.
Il en est ainsi non seulement pour le goût de la langue, du palais et du gosier, mais aussi pour tout ce qui
peut être agréable aux yeux et aux oreilles de chacun.
La couleur violette sera douce et aimable pour celui-ci, morte et
éteinte pour celui-là.
C elui-ci aime le son des instruments à vent, celui-là aime les instruments à corde.
C e serait folie
que de discuter à ce propos, afin de réputer erroné le jugement d'autrui, qui diffère du nôtre, comme s'il lui était
logiquement opposé ; le principe : « A chacun son goût (s'agissant des sens) est un principe valable pour ce qui est
agréable.
Il en va tout autrement du beau.
Il serait (tout juste à l'inverse) ridicule que quelqu'un, s'imaginant avoir du goût, songe
en faire la preuve en déclarant : cet objet (l'édifice que nous voyons, le vêtement que porte celui-ci, le concert que nous
entendons, le poème que l'on soumet à notre appréciation) est beau pour moi.
C ar il ne doit pas appeler beau, ce qui ne
plaît qu'à lui.
Beaucoup de choses peuvent avoir pour lui du charme et de l'agrément ; personne ne s'en soucie ; toutefois
lorsqu'il dit qu'une chose est belle, il attribue aux autres la même satisfaction ; il ne juge pas seulement pour lui, mais
pour autrui et parle alors de la beauté comme si elle était une propriété des choses.
C 'est pourquoi il dit : la chose est
belle et dans son jugement exprimant sa satisfaction, il exige l'adhésion des autres, loin de compter sur leur adhésion,
parce qu'il a constaté maintes fois que leur jugement s'accordait avec le sien.
Il les blâme s'ils jugent autrement et leur
dénie un goût, qu'ils devraient cependant posséder d'après ses exigences ; et ainsi on ne peut dire : « A chacun son goût
C ela reviendrait à dire : le goût n'existe pas, il n'existe pas de jugement esthétique qui pourrait légitimement prétendre à
l'assentiment de tous.
Avez-vous compris l'essentiel ?
1 La beauté est-elle une propriété des choses ?
2 Le principe du « A chacun son goût est-il acceptable lorsqu'il s'agit de l'agréable ?
3 Les objets beaux font-ils l'unanimité ?
Réponses:
1 - Non : la beauté n'est pas dans les choses, mais dans le jugement sur ces choses.
C ependant ce jugement est tel que tout se passe comme si la beauté
était une propriété de l'objet.
2 - O ui, parce qu'il n'y a aucune contradiction logique dans le fait que ce qui est agréable pour quelqu'un ne le soit pas pour quelqu'un d'autre.
3 - Non : lorsque l'on interroge plusieurs personnes sur une oeuvre d'art, on ne constatera rien de tel.
L'universalité est ici une exigence du jugement
esthétique, nullement la constatation sociologique d'une unanimité.
• N o u s trouvons là, dans cette dernière définition, c e qui fait de l'art la plus haute tâche : celle de réconcilier l'homme avec lui-même, d'allier son
entendement à sa sensibilité.
L'art est ainsi la base de la culture, nous élevant des sensations animales à la délicatesse du goût.
O n peut parler de plaisir
esthétique, si l'on distingue son objet, le beau, de celui de la jouissance, dans la mesure où l'on ne réduit pas l'art à un divertissement ou à un délassement
physiologique.
11.
Une satisfaction désintéressée
• Selon la C ritique du jugement, le beau est l'objet d'une satisfaction désintéressée et libre.
L'animal gouverné p a r s e s s e n s n'accède qu'à l'agréable
sensible.
Le beau intéresse l'animal raisonnable, l'homme.
Du fait que ma contemplation esthétique est indifférente à l'existence empirique de l'objet, il ne
s'agit pas d'une consommation.
Dans le même temps, ce plaisir m'élève au-dessus de l'intérêt égoïste de ma jouissance et me rapproche d'autrui.
D'où le
désir, corrélatif de cet étrange sentiment qui se manifeste dans la contemplation esthétique, de le partager avec quelqu'un.
Une universalité du sentiment
prend naissance, qui ne se prouve pas (elle est «sans concept», dit Kant) mais s'éprouve.
·
Deuxième définition du beau chez KANT : « Est beau ce qui plaît universellement sans concept ».
Ø
« C e qui plait universellement »: Le fait que cette satisfaction soit universelle, valable pour tous découle de la première définition.
En effet nous
avons vu qu'être sensible à la beauté relève d'une sensibilité purifiée de la convoitise, de la crainte, du désir, du confort ...
bref de tous les intérêts
particuliers.
C e plaisir éprouvé n'est donc pas celui d'un sujet enfermé dans sa particularité et ce dernier peut à juste titre dire: « c'est beau », comme si
la beauté était dans l'objet.
Il peut légitimement s'attendre à ce que tout autre éprouve la même satisfaction.
Ø
« sans concept »: « L'assentiment universel est seulement une Idée ».
Il n'y a pas de preuve pratique ou conceptuelle de la beauté.
O n juge et on
sent que cette musique ou cette montagne sont belles mais on ne peut le prouver.
Il n'y a pas de règles a priori du beau.
En langage kantien, le sujet
esthétique n'est pas législateur.
En science le sujet légifère, retrouve dans la nature les règles nécessaires, universelles qu'il y a mises pour connaître
quelque chose.
En art le sujet ne peut légiférer car le jugement porte sur un objet singulier, telle fleur, telle oeuvre musicale.
S' il veut trouver quelque
chose d'universel dans cette rose-ci, il faudra qu'il l'envisage sous l'aspect du règne végétal ou de la fleur en général; s'il veut trouver quelque chose
d'universel dans une musique, il faudra qu'il l'envisage sous l'angle des règles de composition.
Il aura des concepts mais point de beauté: « quand on
juge des objets simplement par concepts toute représentation de la beauté se perd ».
C 'est ce qui peut arriver quand un traque d'art explique un poème...
C omme la beauté est toujours saisie sur un objet concret, matériel, singulier, il n'y a pas de règles universelles du beau.
Le jugement de goût n'est pas
un jugement de connaissance.
• Si la jouissance nous attache au monde, l'art permet la distanciation, dans une libre satisfaction.
Hume avait noté, avant Kant, ce rôle de l'imagination
comme détachement : la contemplation esthétique fait abstraction de la situation concrète, comme lorsque nous pouvons trouver beau quelque chose qui
va pourtant contre notre intérêt (le militaire qui admire les fortifications ennemies) alors que nous ne trouvons agréable que ce qui a un rapport étroit
avec nous-même.
Le beau serait donc à la fois subjectif et communicable..
»
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