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La succession des théories scientifiques contredit-elle l'idée d'un ordre permanent de la nature ?

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« Discussion : L'objection commune faite aux sciences consiste à mettre en doute leur fiabilité dans la mesure où de siècle en siècle des erreurs ont été révélées qui battent en brèche les certitudes acquises.

La nature ne change pas si le point d e vue que les h o m m e s o n t sur elle, lui, change.

En revanche, qu'est-ce qui est sous-entendu par l'idée d'un « ordre » de la nature ? Le mot lui-même ne serait-il pas conditionné dans son emploi par la référence à un certain stade de la théorie ? Suggestion de plan : Première partie : Théories (au pluriel) Si le savoir scientifique progresse, est-ce q u e cela ne vient p a s d e l'application continue d'une certaine logique d e la découverte théorique ? « L'observation scientifique est toujours une observation polémique, elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation ; elle montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l'immédiat ; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit s e s schémas.

Naturellement, d è s qu'on p a s s e d e l'observation à l'expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore.

Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments.

Or les instruments ne sont q u e d e s théories matérialisées.

Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.

» Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique.

Ce qui signifie que dans les sciences, ce qui prime, c'est 1) l'examen interne de la cohérence de la théorie, 2) la manière dont la théorie se trouve confrontée aux faits et 3) la relation que les théories entretiennent entre elles.

Gordon Kane, physicien contemporain écrit à ce sujet : « Pour toute théorie effective, on trouve de nouvelles règles, et de nouvelles propriétés surgissent qui n'étaient pas prédictibles, en pratique.

On les appelle souvent ‘propriétés émergentes' » Supersymétrie, et encore : « Toutes les théories effectives s'appuient sur d'autres : la succession des théories effectives, jusqu'à la théorie ultime ».

La succession et le mouvement sont donc parties intégrantes du processus explicatif et logique.

Le passage d'une théorie à l'autre est un progrès.

Mais ce progrès a un prix assez lourd : il oblige à reconnaître qu'une théorie scientifique est provisoire.

Une théorie scientifique ne vaut que tant que l'on n'a pas pu en trouver de meilleure.

Une théorie est provisoire parce qu'elle est scientifique. Deuxième partie : Ordre et permanence Le mot nature est ambigu.

Spinoza distingue la nature naturante, c'est-à-dire la substance infinie et la nature naturée, les divers modes par lesquels s'exprime cette substance.

Son épistémologie réduit la nature à u n mécanisme (des faits soumis à des lois nécessaires) indifférent aux valeurs humaines.

Fontenelle fonde l'idée de progrès sur la différence de la nature et de la raison.

Ce qui caractérise la nature, c'est la permanence, la répétition cyclique : « L'ordre général de la nature a l'air bien constant », écrit-il dans le Dialogue des morts. Cette permanence de la nature rend possible le progrès, puisqu'elle permet la transmission et l'augmentation des connaissances : alors q u e la nature se répète, la raison accumule.

Condorcet manifeste u n e m ê m e conception rationaliste d u progrès, déterminé comme passage de l'obscurantisme à l'âge de la science.

Mais cette logique est une dialectique polémique qui ne semble pas avoir de trêve, un combat qui semble sans fin, vers un idéal de savoir total que l'on ne parvient jamais à atteindre et qui recule au fur et à mesure où l'on avance. NATURE NATURANTE ET NATURE NATURÉE.

La distinction entre nature naturante et nature naturée était classique dans la théologie scolastique depuis le XIIIe siècle.

On la trouve chez saint Bonaventure, Guillaume d'Occam, etc.

Spinoza reprend cette distinction dans le Court Traité sur Dieu, l'homme et son état bienheureux, et dans l'Éthique.

Dans le Court Traité, on lit : « Par natura naturans (nature naturante) nous entendons un être que nous concevons clairement et distinctement par lui-même, sans avoir besoin d'aucune autre chose que lui-même.

(...) Un tel être est Dieu.

C'est également ainsi que les thomistes ont compris Dieu ; cependant, leur natura naturans était un être (comme ils l'appelaient) extérieur à toutes les substances.

Quant à la natura naturata (nature naturée) nous la diviserons en universelle et particulière.

L'universelle est constituée par tous les modes qui dépendent immédiatement de Dieu.

(...) La particulière se compose de toutes les choses particulières qui sont causées par les modes universels.

».

Et, dans l'Éthique, I, p.

29, scolie : « Par Nature Naturante, il faut entendre ce qui est en soi et est conçu par soi, autrement dit les attributs de la substance qui expriment une essence éternelle et infinie, c'est-à-dire Dieu, en tant qu'il est considéré comme cause libre.

Par Nature Naturée j'entends tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu, autrement dit de la nécessité de chacun des attributs de Dieu en tant qu'ils sont considérés comme des choses qui sont en Dieu et qui ne peuvent être ni être conçues sans Dieu.

» Troisième partie : Une opposition réductrice La différence de la raison et de la nature ne définit pas un antagonisme, qui se résoudrait par un triomphe de la raison sur la nature : la volonté des hommes est intervenue plus souvent pour entraver ou arrêter cette tendance que pour l'accélérer.

La raison ne se définit pas n o n plus contre la nature puisque c'est elle seule qui est le moteur du m é c a n i s m e du progrès.

« Pour être digne d e ce nom, l'expérimentateur doit être à la fois théoricien et praticien.

[...] Une main habile sans la tête qui la dirige est un instrument aveugle; la tête sans la main qui réalise reste impuissante.

» Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. En outre, vouloir tenir la nature à un « ordre » serait nier qu'elle est mouvement, et que, même si l'atome ou la cellule étaient vrais il y a des milliards d'années alors qu'aucun esprit humain n'était là pour tenter de les mettre en évidence, il n'empêche que le big-bang oblige à considérer des révolutions des éclatements des explosions qui ne laisseront pas les explications s'enchaîner les unes aux autres en une constante ascension. Conclusion : La succession des théories n'invalide rien du tout : elle ne fait que mettre en évidence l'extrême complexité du monde physique et donc tient constamment suspendue la possibilité d ' u n e p e n s é e d e la totalité.

Le sujet pourrait être envisagé sous cet angle : qu'il est dans l'ordre de la nature de ne pas se laisser enfermer dans un ordre.

L'infinité des théories est la métaphore de l'infini lui-même, or, cet infini s'accorde mal avec l'image un peu routinière et confortable d'une permanence.. »

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