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La subjectivité du goût rendre-t-elle impossible toute discussion ?

Extrait du document

« [1.

Le goût est subjectif.] Le mot « goût » est ambigu.

Il désigne à la fois : • au sens propre, le goût des aliments ; • au sens figuré, le jugement de goût par lequel nous nous prononçons sur la beauté d'une chose. Ce rapprochement opéré par le langage semble indiquer que tout ce que l'on aime, en particulier ce que l'on trouve beau, est à penser sur le modèle du plaisir gastronomique.

Ce dernier étant subjectif (il dépend de nos organes, de nos traditions culinaires, etc.), on en conclut que le jugement de goût l'est aussi.

On peut donc informer quelqu'un de ce que l'on aime, mais on ne peut en discuter : ce n'est pas un jugement que l'on soumet à l'approbation ou à la réfutation.

Pour établir la possibilité d'une discussion, il faudrait à l'inverse montrer quel type d'objectivité ou d'universalité est supposé par le jugement de goût.

Il faut préciser le sens du mot « subjectif », car si, par exemple, la saveur est « subjective » en ce qu'elle dépend autant de nos organes que de l'aliment lui-même, elle peut être dite « objective » en ce sens qu'elle est rapportée à l'objet.

Si nous disons : « la pomme est sucrée », nous attribuons le caractère « sucré » à la pomme elle-même.

À l'inverse, la même sensation subjective sera dite subjective en un sens second, si nous nous référons au plaisir qu'elle nous procure : si nous disons « j'aime cette pomme », nous ne rapportons la sensation qu'à nous-même, à notre plaisir.

Il faut donc distinguer le goût de l'aliment et nos goûts, c'est-à-dire nos préférences.

Appliquons cette distinction aux jugements de goût. Si nous disons : « ceci est beau », nous n'exprimons pas une qualité de l'objet, mais nous indiquons simplement le plaisir que nous ressentons. [2.

Il ne peut donc y avoir de discussion.] Si le sentiment du beau, quoique variant suivant les individus, était rapporté à l'objet beau lui-même, il indiquerait une objectivité sur laquelle se fonder.

Si le beau appartient à l'objet, s'il en est une propriété au même titre que sa taille ou son poids, alors il y aurait sens à discuter de lui puisque nous serions en présence d'un même objet.

La subjectivité du sentiment indiquerait son propre dépassement dans un savoir objectif, tout comme la sensation subjective de sucré trouve un fondement objectif dans une connaissance scientifique de la texture chimique des corps.

Mais si le goût n'exprime que mon plaisir, comment peut-il prétendre à la discussion ? Pourtant le jugement de goût appelle la parole.

Les hommes aiment à se communiquer leurs goûts.

S'agitil d'une simple information? N'y a-t-il pas là l'amorce d'une discussion, comme lorsque deux dégustateurs échangent leurs impressions sur un vin ? La parole ne sert pas ici à prouver, mais elle est au service de la sensation ou du sentiment.

Elle a une fonction clarificatrice.

Si quelqu'un dit que tel vin a goût de fraise des bois, parce que le mot juste a été dit je serai plus à même de démêler ma propre sensation et d'y repérer ce goût.

De la même manière, en exprimant le plaisir singulier ressenti devant telle beauté, la discussion aiderait à débrouiller mon sentiment.

La discussion a pour fonction de favoriser ma propre épreuve du plaisir.

Cette fonction du langage suppose cependant davantage.

Pour que le sentiment individuel puisse être éclairé par la parole d'autrui, il faut une relative similitude des manières de sentir individuelles.

Le sentiment n'étant pas identique en droit chez chacun, il ne reste plus qu'à admettre que de fait les hommes éprouvent les mêmes choses devant les mêmes objets.

On pourra justifier cette homogénéité par l'existence de modèles culturels qui façonnent les goûts.

La discussion est possible car le goût est conventionnel.

Il est socialement et historiquement conditionné : les canons de la beauté changent selon les époques, les pays... [3.

Pourtant le goût appelle la discussion.] Cette interprétation qui propose de relativiser les goûts n'est pas satisfaisante car elle minimise la fonction de la parole.

Le jugement de goût appelle une véritable discussion.

Nous ne nous contentons pas d'éprouver un sentiment, mais nous cherchons à en rendre compte dans un discours et à le partager, c'est-à-dire à le faire approuver.

Nous pensons que la beauté doit être éprouvée par tous, même si de fait tous ne l'éprouvent pas.

Cela est montré par notre prétention à distinguer un bon goût d'un mauvais goût.

L'existence d'une telle norme suppose un principe qui garantisse l'objectivité de notre sentiment.

La référence même au goût alimentaire, qui paraissait condamner le goût à la subjectivité, peut être réinterprétée dans ce sens-là : tout comme il n'est pas donné à tout le monde de sentir les subtilités d'un vin, de même seul l'homme de goût peut discerner la beauté.

Par ailleurs, cette prétention à l'objectivité fonde la distinction entre jugement de goût et plaisir gustatif.

Le plaisir de la sensation (l'agréable) est abandonné à sa subjectivité.

C'est seulement à propos du goût qui juge la beauté qu'il peut être question de discussion.. »

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