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La subjectivité de l'historien fait-elle obstacle ou aide-t-elle à la compréhension du passé?

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« Introduction L'écriture de l'histoire semble répondre à une nécessité rationnelle et psychologique : celle de parvenir à une intelligibilité relative de notre situation dans le monde.

Aussi l'historien, ou qui fait œuvre d'historiographe, a-t-il pour mission de consigner de façon réfléchie ce dont le devenir humain est constitué : les événements, les passions, les grandes mutations, les biographies des grands hommes.

Mais comment le fait-il ? Après tout, il est homme, et comme tel il appartient à l'histoire en même temps qu'il la fait.

Comment, dès lors qu'il est pris dans ce devenir et qu'il s'en forme une représentation elle-même tributaire de l'histoire, peut-il le comprendre et en faire le récit de façon objective ? Sa subjectivité ne fait-elle pas obstacle à la compréhension du passé humain ? Ou encore, à supposer que l'objectivité soit impossible, sa subjectivité y aide-t-elle ? I.

Une certaine qualité subjectivité a.

La question centrale pour l'historien réfléchissant sur son activité et faisant œuvre ainsi d'épistémologue est en effet celle de l'objectivité de la connaissance qu'il donne du passé : il faut entendre par là non seulement l'impartialité du récit historique, mais sa conformité aux événements eux-mêmes.

Mais l'histoire a affaire à des hommes et donc à des comportements porteurs de sens, d'intentions souvent obscures et cachées qu'il convient de déchiffrer.

Aussi son objectivité ne doit-elle pas, contrairement à ce que l'on pensait au XIXe siècle, avoir pour modèle celle des sciences physiques, mais elle inclut au contraire aujourd'hui la subjectivité de l'historien comme méthode d'approche de son objet.

Il ne s'agit pas de n'importe quelle subjectivité, mais de celle qui est oubli volontaire de soi et ouverture à l'autre : la sympathie, cette « affinité prévenante pour l'autre », selon la définition de Max Scheler (Nature et formes de la sympathie). b.

On attend donc une objectivité de l'histoire.

Mais cette objectivité doit être considérée dans son sens épistémologique.

Ainsi P. Ricœur dira qu' « est objectif ce que la pensée méthodique a élaboré, mis en ordre, compris et ce qu'elle peut ainsi faire comprendre » (Histoire et vérité).

Ricœur annonce l'idée d'une objectivité méthodologique dans la compréhension de l'histoire.

Mais une autre attente est requise selon l'auteur, à savoir une « subjectivité impliquée » : « nous attendons de l'historien une certaine qualité de subjectivité, non pas une subjectivité quelconque, mais une subjectivité qui soit précisément appropriée à l'objectivité qui convient à l'histoire ».

Dès lors, on comprend qu'une qualité de subjectivité œuvre à la constitution objective de la science historique.

Par ailleurs, le travail de l'historien doit permettre d'établir cette distinction entre une bonne et une mauvaise objectivité.

Et une fois la forme de subjectivité bien entendue dans le discours historique, il revient aussi au lecteur qui se penche sur l'histoire des hommes de se doter d'une certaine qualité subjective : c'est ce que Ricœur, dans le même texte, appelle la « subjectivité de la réflexion ».

Dès lors, on passe de la méthodologie de l'historien, intégrant une part féconde de subjectivité, à une réflexion proprement philosophique, à une subjectivité philosophique, capable de faire sienne la tâche qui incombe à tous, savoir, celle de la quête du sens. II.

Comprendre l'histoire a.

On ne peut pas penser que même le bon historien soit étranger aux passions.

Il est lui-même une part de cette multiplicité qui élabore la pensée historique.

L'histoire est, comme le dit M.

Bloch, « une vaste expérience des variétés humaines, une longue rencontre des hommes » ( Apologie pour l'histoire ou métier d'historien).

Comprendre n'a rien d'une attitude de passivité : « pour faire une science, il faudra toujours deux choses : une matière, mais aussi un homme ».

L'historien est obligé de penser l'histoire a travers le prisme de la pluralité événementielle, à travers une source de documents divers qui doivent tendre à rendre compte du sens de l'unité de l'histoire.

Et pour ce faire, il a à classer, à trier, à choisir tel ou tel éléments qui lui permettra de mener à bien son investigation, son enquête (« historia » signifie mener une enquête) : « Comme tout savant, comme tout cerveau qui simplement perçoit, l'historien choisit et trie.

En un mot, il analyse ». b.

Un historien et philosophe français, H.-I.

Marrou, montrera que la sympathie est la source et condition de la compréhension.

Il faut selon lui réfléchir aux conditions subjectives qui rendent possibles la compréhension : « L'historien nous est apparu comme l'homme qui par l'épochè (suspension du jugement ; il s'agit aussi dans la phénoménologie de Husserl d'une mise entre parenthèse du monde et de la science, permettant au sujet méditant de se saisir comme moi pur, sujet connaissant) sait sortir de soi pour s'avancer à la rencontre d'autrui.

On peut donner un nom à cette vertu : elle s'appelle la sympathie » (De la connaissance historique, 1954).

Une amitié doit se nouer entre l'historien et son objet.

Car pour comprendre, cela est nécessaire, comme l'indiquait d'ailleurs St Augustin : « on ne peut connaître personne sinon par l'amitié ».

La conquête de la connaissance historique authentique doit survenir de cette attitude fondamentalement humaine : « Je veux connaître, je veux comprendre le passé, et d'abord ses documents, dans leur être réel » ; l'historien doit prendre en considération l'existence de l'autre, et non le concevoir, ou le réduire à une entité abstraite susceptible de remplir une page supplémentaire de suppositions formelles.

Et cette sympathie, ce devoir de communication, n'est pas pour autant dénuée d'esprit critique.

En effet, Marrou souligne que « ces deux vertus » que sont la sympathie et l'esprit critique, sont conciliables, et que de surcroît elles doivent l'être pour une compréhension des faits historiques.

On peut rapprocher cette attitude aux théories sociologiques qui exigent une action participative dans leur étude.

La participation indique une implication au sein même de ce qu'on étudie.

Elle est légitime pour le procès du savoir, certes, même si elle peut se tromper, même si elle peut en venir à fournir de mauvais renseignements.

Car il y a toujours l'esprit critique qui est capable de repérer les erreurs, et d'équilibrer une forme humaine d'objectivité : « il semble bien que ce soit toujours la sympathie, source et condition de la compréhension, qui représente la phase constructive : la critique démolit l'édifice provisoire d'une connaissance imparfaite, pose des exigences utiles à la reconstruction ultérieure, mais, par elle-même, apporte peu » (Marrou). Conclusion Ecrire l'histoire, c'est assurément concourir à l'histoire présente ; dans le croisement instable du passé et du présent, l'historien s'emploie à déceler les choix fondamentaux, les orientations et les valeurs de son présent ; il s'agit proprement pour lui de « faire de l'histoire ».

Plus qu'une interrogation angoissée sur le temps qui passe et la multiplication des tragédies, l'histoire constitue donc « une riposte à notre décourageante historicité » (Ricœur) ; elle est, comme le suggérait le terme grec d'historia (« recherche »), recherche d'authenticité et de vérité ; elle est le mouvement par lequel l'homme prend conscience de lui-même.

C'est au cœur de cet entrelacement qui intègre le vécu historique, le fait historique retransmis sous une forme type par l'historien, et l'homme qui redécouvre par là le passé et y réfléchit, que la subjectivité opère sa métamorphose vers une modalité proprement réflexive, partant vers une compréhension objective.. »

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