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La relation fondamentale a autrui est-elle l'imitation, la sympathie ou le conflit ?

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« MODALITÉS DE LA COMMUNICATION DES CONSCIENCES : LE CONFLIT Pour Hegel, le fait premier n'est pas la solitude du « Cogito » cartésien, mais le conflit des consciences.

De même que dans la logique dialectique la thèse implique immédiatement l'antithèse, de même la conscience de soi ne se pose qu'en supposant aux autres consciences.

Si j'étais tout seul, dire «je» n'aurait aucun sens.

Dire «je» c'est reconnaître la singularité des autres, reconnaître qu'il y a d'autres «je» que le mien mais en même temps me distinguer d'eux et entrer en conflit avec eux.

En effet, quand je dis «je», je désire être reconnu par les autres comme une personne autonome, comme une conscience.

Lorsque le guerrier vainqueur laisse la vie sauve à son adversaire, il en fait un esclave (« servus », celui qui a été conservé) qui le reconnaîtra pour maître (ainsi la conscience du vainqueur ne sera ce qu'elle est que parce qu'elle reconnaîtra son écho dans une autre conscience). Mais on voit ici que la communication échoue dans et par son effort même pour se réaliser puisque le moi ne reconnaît l'autre que pour l'asservir, pour le réduire au rôle de témoin et de miroir, ce qui aboutit à nier sa qualité de personne et de conscience. Cela apparaît très nettement dans l'analyse du regard proposée par Sartre dans une perspective très hégélienne. Pour Sartre, la communication par le regard est immédiatement une communication de consciences.

En effet, le regard d'autrui a d'emblée pour moi un sens humain.

Dès qu'autrui me regarde, je cesse de voir ses yeux comme des choses, comme de simples objets qu'on pourrait décrire.

«Si j'appréhende le regard, je cesse de percevoir les yeux... Ce n'est jamais quand des yeux vous regardent qu'on peut les trouver beaux ou laids, qu'on peut remarquer leur couleur1.» Seulement la communication par le regard serait d'emblée conflictuelle.

«Etre vu» c'est se sentir menacé par autrui, vulnérable.

Surpris par le regard d'autrui, je me sens gêné, «j'ai honte de ma liberté en tant qu'elle m'échappe pour devenir objet donné ».

A mon tour, « les gens que je vois...

je les fige en objets, je suis par rapport à eux comme autrui par rapport à moi.

En les regardant, je mesure ma puissance ». Ainsi l'expérience du conflit ne révèle autrui comme conscience que pour déterminer instantanément la destruction de cette conscience.

Faut-il admettre d'ailleurs que les rivalités, les conflits, l'expérience «sadique» de la domination comme l'épreuve « masochiste » de la soumission soient privilégiées du point de vue de la connaissance d'autrui ? Il semble à beaucoup que ces expériences pénibles ne permettent pas de communication profonde précisément parce que les consciences rivales cherchent plutôt à se dissimuler qu'à se livrer.

Nédoncelle écrit que « la connaissance curieuse ou maligne a pour corrélatif la stratégie défensive de l'opacité et de la dissimulation psychique». LA COMMUNICATION PAR LA SYMPATHIE Ne serait-ce pas plutôt l'expérience de l'amour, de l'amitié, de la sympathie qui serait susceptible de nous procurer une communication authentique avec d'autres consciences ? Déjà, Saint-Augustin notait qu'on ne «connaît personne sinon par l'amitié» et Max Scheler a développé la thèse selon laquelle la sympathie serait la forme privilégiée de la communication des consciences. Distinguons bien l'amitié de la camaraderie.

Sans doute, dans la camaraderie y a-t-il une communication, mais l'origine de la communication est extérieure aux personnes des camarades (c'est la participation à une même classe au lycée, ou à un même groupe de combat, ou à un même parti politique).

Comme dit très bien Jean Lacroix : « Les camarades s'oublient...

dans leur oeuvre...

Le but de la camaraderie c'est ce que l'on fait ensemble, non ceux qui le font ; on pourrait dire en un sens de l'univers de la camaraderie qu'il est purement public.

La vie privée n'y a aucune part»2.

Au contraire, l'amitié n'est plus participation à une oeuvre extérieure au moi, mais don véritable de personne à personne (ce qui n'exclut pas la recherche commune d'un dépassement de soi ; « ils s'aiment non pour ce qu'ils sont mais pour ce qu'ils espèrent devenir l'un par l'autre»). De la même façon, il convient de bien distinguer — à la suite de Max Scheler — la sympathie véritable de la simple contagion affective (Einfuhlung).

La contagion affective est une participation passive, inconsciente et involontaire aux sentiments d'autres personnes.

Par exemple, en entrant dans la brasserie, je sens ma tristesse disparaître, je me mets à rire, à parler fort, à chanter comme les autres et un sentiment d'euphorie m'envahit.

Cette contagion psychique n'est aucunement une « connaissance» de ce qui est éprouvé par autrui.

En fait, les attitudes prises, les gestes accomplis déterminent ici presque irrésistiblement des états de conscience que j'éprouve pour mon compte sans chercher à rejoindre la personne d'autrui.

Bien loin d'être un acte de la personne comme est la vraie sympathie, la contagion affective est en réalité une abdication de la personne, la démission d'un moi trop suggestible qui se laisse envahir sans contrôle par des automatismes liés à des états affectifs.

Ainsi, lorsque la panique s'empare d'une foule et que tout le monde s'enfuit, je puis me sentir irrésistiblement entraîné à imiter ces gestes de fuite et l'épouvante — liée à ce comportement — s'empare de moi.

Je partage la frayeur de cette foule, mais je ne puis dire que je suis réellement entré en communion avec mes voisins.

Si Nietzsche a sévèrement condamné la pitié, c'est précisément parce qu'il l'a confondue avec une contagion mentale de ce genre.

Dès lors, la pitié n'est plus que la transmission en chaîne de la souffrance, une contagion de malheur, une déperdition de vitalité qui multiplie la souffrance au lieu de la guérir. Max Scheler a bien montré que la vraie pitié, que la sympathie authentique est tout autre chose.

Si j'ai pitié de l'autre, c'est précisément parce que je ne suis pas malheureux moi-même, parce que je n'éprouve pas sa misère.

Si je souffrais comme lui, je serais moi-même objet de pitié et non conscience compatissante.

En réalité, la sympathie transcende l'affectivité.

Elle est un acte de la personne qui vise la souffrance ou la joie d'une autre personne, qui les reconnaît plus qu'elle ne les éprouve.

Gide, par exemple, déclare à propos de sa femme « Par sympathie, je parvenais à comprendre ses sentiments, je ne pouvais les partager» '.

Et Max Scheler assure que je puis «fort bien comprendre l'angoisse mortelle d'un homme qui se noie sans pour cela éprouver rien qui ressemble même de loin à. »

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