La recherche du bonheur et les exigences morales sont-elles conciliables ?
Extrait du document
«
Les doctrines eudémonistes ont assigné la recherche du bonheur.
Mais celui-ci manières différentes.
Commençons donc par en préciser la notion.
I.
Qu'est-ce que le bonheur ?
On peut d'abord distinguer une conception métaphysique qui identifie le bonheur avec la béatitude, et une
conception empirique du bonheur.
A.
— LA BÉATITUDE.
» Le but que l'on se propose expressément dans toutes les écoles de philosophie
ancienne, aussi bien dans l'école stoïcienne que dans celle d'Épicure ou de Platon, c'est d'atteindre à la vie
heureuse...
Sans doute, les divers systèmes se distinguent par la façon de définir le souverain bien.
Tous le
cherchent : mais, nulle part, il ne vient à l'esprit de le séparer du bonheur » (BROCHARD, Études de philos.
ancienne et de philos.
moderne, p.
492493).
On peut dire en effet que tous les philosophes anciens identifient
le bonheur et la vertu et, tout au moins, les considèrent comme coïncidant nécessairement.
Le bonheur, dit
PLATON (Rép., I, 354 a), est la conséquence nécessaire de la vertu, parce que celle-ci est le bien naturel de
l'âme, et le juste peut être maltraité et même supplicié : il jouira du vrai bonheur (Ibid., 362 a).
ARISTOTE
désigne de même le bonheur comme la fin, le souverain bien de l'homme ; car l'être qui agit selon sa nature est
vertueux, la vertu consistant, pour chaque être, à accomplir l'oeuvre qui lui est propre, et, en même temps, il y
trouve la joie la plus élevée et la plus agréable (Eth.
Nic., 1106 a).
ÉPICURE lui-même fait consister le bonheur
dans l'absence de douleur et la tranquillité de l'âme : «ne pas souffrir dans son corps et ne pas être troublé
dans son âme », telle est selon lui la vraie félicité et, tout comme Platon, il déclare que, même soumis à la
torture, jusque dans le taureau de bronze où le tyran Phalaris le fait brûler à petit feu, le sage est encore
heureux.
Quant aux STOÏCIENS, on sait que c'était un axiome de leur morale que « le sage seul est heureux ».
La plupart des métaphysiciens modernes s'expriment de même.
« Les devoirs que chacun se doit à soi-même,
écrit MALEBRANCHE à la fin de son Traité de Morale (II, chap.
14), peuvent se réduire en général à travailler à
notre bonheur et à notre perfection », le bonheur consistant dans «la jouissance de plaisirs capables de
contenter un esprit fait pour posséder le souverain bien ».
LEIBNIZ (Noue.
Essais, liv.
I, chap.
II) déclare que
«la nature a mis dans tous les hommes l'envie d'être heureux » et que cette tendance innée coïncide avec
l'inclination vers le bien.
On connaît enfin la célèbre proposition de SPINOZA (Éthique, V, prop.
42) : « La
béatitude n'est pas la récompense de la vertu ; c'est la vertu elle-même » ; car la béatitude ne consiste en
rien d'autre qu'en l'amour intellectuel de Dieu (Ibid., prop.
36).
On le voit : cette conception du bonheur n'a rien d'empirique ; elle distingue nettement le bonheur du bien
sensible.
Il s'agit, en réalité, de la béatitude, c'est-à-dire de cet état idéal du sage qui a réalisé son essence
ou a atteint la fin à laquelle il est destiné.
Il y a, à la base de cette conception, toute une métaphysique sousjacente.
On comprend dès lors comment le bonheur ainsi défini peut être identifié avec le souverain et avec la
vertu ou la sagesse.
B.
— LE BONHEUR SENSIBLE.
De cette conception, il faut distinguer celle des empiristes modernes, pour
lesquels le bonheur est une somme de plaisirs.
Cette façon d'entendre le bonheur est beaucoup plus proche de
la conception vulgaire, qui admet difficilement qu'on puisse être heureux dan a souffrance.
Mais cette
conception empiriste se mêle parfois, comme chez Épicure, à la conception métaphysique, et, à l'intérieur
même de celle-là, bien des distinctions sont encore possibles.
1° Il y a lieu de distinguer d'abord les plaisirs physiques et les plaisirs de l'âme et de l'esprit.
En général, les
eudémonistes ont privilégié ces derniers.
Mais ils n'ont pas nécessairement exclu les premiers : « Je ne saurais,
dit ÉPICURE, quelle idée je pourrais me faire du Bien, si je supprimais les plaisirs du boire et du manger, de l'ouïe
et de la vue, et ceux d'Aphrodite », ce qui ne l'empêchait pas de soutenir que le sage peut être heureux avec
un peu de pain et un peu d'eau et de mener lui-même une vie très tempérante, presque austère.
2° Tandis que certains n'ont tenu compte, comme BENTHAM, que de la quantité des plaisirs, J.
STUART MILL a
défini le bonheur comme «une vie aussi riche que possible en plaisirs, au double point de vue de la quantité et
de la qualité».
Cette notion de la qualité des plaisirs étant posée, Mill en vient à dire que «le bonheur qui est le
critérium du bien n'est pas le bonheur même de l'agent, mais celui de tous les intéressés » et que, d'autre part,
comme l'expérience nous montre que le désintéressement et la vertu sont les meilleurs moyens d'obtenir le
bonheur, il peut se produire un transfert des sentiments qui fait que « ce qui était d'abord désiré comme
moyen, en vient à être désiré en soi », de telle sorte que la recherche du bonheur fait place à la recherche de
la vertu et que c'est là, en définitive, le meilleur moyen d'être heureux.
3° Il y a enfin une troisième distinction, qui est peut-être plus importante encore.
On peut se représenter le
bonheur d'une façon statique et presque négative.
C'était la conception d'Épicure : ne pas souffrir, tel était
son but, et il conseillait au sage, en conséquence, de vivre simplement au milieu d'un petit cercle d'amis, sans
se marier ni s'occuper des affaires publiques ni avoir aucune ambition.
Avouons que c'est là une conception du
bonheur, assez mesquine, mais assez courante chez «des gens découragés et las, qui n'ont plus de force et
d'espérance que ce qu'il en faut pour vivre au jour le jour ».
Mais il est une autre conception, positive et
dynamique, du bonheur.
C'est ce qu'a bien exprimé le moraliste BERSOT (18161880) : « Osons dire, écrit-il, la
vérité sur le bonheur.
On se le représente ordinairement comme un état fixe, comme un repos ; or l'homme est
un être vivant, son bonheur est donc de vivre, et la vie est un mouvement, par conséquent un effort, un
regret, une espérance et une crainte » (Un moraliste, p.
21), et Bersot, citant le mot de Pascal : « Nous ne
cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses », rappelle l'exemple de tous ces grands hommes
qui veulent toujours aller « plus loin » et qui ne trouvent leur bonheur que dans l'action..
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