La rationalité scientifique est-elle nécessairement raisonnable ?
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«
Songeons au célèbre roman de Mary Shelley, Frankenstein, où l'être auquel le professeur Frankenstein donne la vie devient un véritable criminel.
Les plus
hautes manifestations de la rationalité scientifique ne s'avèrent-elles pas parfois bien déraisonnables ?
1.
La raison, source de connaissance et de moralité.
A .
L'humanité se distingue de l'animalité par la possession de la raison.
C ette faculté lui donne accès à la connaissance du monde qui l'entoure.
C ultiver la
science, c'est devenir pleinement homme.
B.
L'ignorance des découvertes scientifiques, en renforçant l'obscurantisme, peut avoir des conséquences nocives sur la société des hommes.
Par
l'éducation, à l'inverse, l'homme élargit l'horizon de son esprit, il renonce peu à peu à ses préjugés.
Il s'avère tout à la fois un « animal rationnel » et un «
animal raisonnable » parce qu'il est capable d'exercer sa liberté critique.
C .
Par le développement de la rationalité, notre esprit passe en quelque sorte de l'enfance à l'âge adulte.
C'est la thèse que soutient Kant dans Qu'est-ce
que les Lumières ? À ses yeux, le développement de nos facultés cognitives favorise l'accession à une plus grande maturité.
Dès que l'esprit humain refuse
de déléguer son exercice, il parvient à l'autonomie morale et à des connaissances assurées.
Les lumières de la raison sont bénéfiques aussi bien du point
de vue de la gnoséologie que de celui de l'éthique.
[1] "Les Lumières sont la sortie de l'homme de la minorité où il est par sa propre faute.
La minorité est l'incapacité de se
servir de son entendement sans la direction d'autrui.
Cette minorité, nous la devons à notre propre faute lorsqu'elle n'a
pas pour cause un manque d'entendement, mais un manque de décision et de courage pour se servir de son entendement
sans la direction d'autrui.
Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est donc la devise
des Lumières."
D É F I N I T ION DES LUMIÈRES
Kant définit les " Lumières" comme un processus par lequel l'homme, progressivement, s'arrache de la "minorité".
L'état
de "minorité" est un état de dépendance, d'hétéronomie (1).
Dans un tel état l'homme n'obéit point à la loi qu'il s'est luimême prescrite mais au contraire vit sous la tutelle d'autrui.
Altérité aliénante empêchant l'individu de se servir de son
propre entendement.
A utrement dit, le principe d'action subjectif de l'individu n'est plus sa propriété, son œuvre propre
mais l'œuvre d'un autre.
Que l'on songe ici aux implications politiques d'un tel renoncement à la pensée et à l'action.
Tous les despotismes n'ont-ils pas pour soubassement l'abdication des sujets soumis? Et à Kant d'imputer la "faute"
(morale) et non l'erreur (épistémologique) que constitue l'état de minorité non point aux oppresseurs (de quelque nature
fussent-ils) mais à ceux qui consentent à leur autorité, à ceux qui par lâcheté, par "manque de décision et de courage "
laissent leur entendement sous la direction de maîtres, de tuteurs.
Ici, Kant rejoint Rousseau et sa scandaleuse
affirmation au chapitre 2 du " Contrat social": "A ristote avait raison, mais il prenait l'effet pour la cause.
Tout homme né
dans l'esclavage naît pour l'esclavage, rien n'est plus certain.
Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désir
d'en sortir; ils aiment leur servitude comme les compagnons d'Ulysse aimaient leur abrutissement.
S'il y a donc des
esclaves par nature, c'est parce qu'il y a eu des esclaves contre nature.
La force a fait les premiers esclaves, leur
lâcheté les a perpétués." Mais ne nous y trompons point, il ne s'agit , ni pour Rousseau, ni pour Kant, de légitimer le fait
de l' " esclavage" ou de la "minorité", mais, de reveiller les consciences de leur somnambulisme du renoncement, de leur léthargie de l'acceptation de
l'inacceptable.
On l'aura compris la maxime (2) des Lumières est de susciter cette reprise en mains de soi par soi, et ce, en accomplissant cet acte de courage de penser
par soi-même en toutes les circonstances de l'existence: "Sapere aude !", "Ose te servir de ton entendement ! ".
En effet, qu'est-ce que l'entendement sinon cette faculté de connaissance, capable de juger le vrai du faux, le bien du mal et de se positionner par rapport à
eux.
L'entendement, capable d'activité, de délibération fonde au plus haut point notre humanité et indissociablement notre dignité (3): " Or je dis : l'homme,
et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré ; dans
toutes ces actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que dans celles qui concernent d'autres êtres raisonnables, il doit toujours être
considéré en même temps comme un fin.
Tous les objets des inclinations n'ont qu'une valeur conditionnelle ; car, si les inclinations et les besoins qui en
dérivent n'existaient pas, leur objet serait sans valeur.
Mais les inclinations mêmes, comme sources du besoin, ont si peu une valeur absolue qui leur donne
le droit d'être désirées pour elles-mêmes, que, bien plutôt, en être pleinement affranchi doit être le souhait universel de tout être raisonnable.
Ainsi la valeur
de tous les objets à acquérir par notre action est toujours conditionnelle.
Les êtres dont l'existence dépend, à vrai dire, non pas de notre volonté, mais de la
nature, n'ont cependant, quand ce sont des êtres dépourvus de raison, qu'une valeur relative, celle de moyens, et voilà pourquoi on les nomme des choses ;
au contraire, les êtres raisonnables sont appelés des personnes, parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c'est-à-dire comme quelque
chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, quelque chose qui par suite limite d'autant toute faculté d'agir comme bon nous semble (et
qui est un objet de respect) ".
(" Fondements de la métaphysique des mœurs ").
En sommant l'homme de sortir des nimbes d'un sommeil que l'on pourrait qualifier de dogmatique, les "Lumières" affirme le primat de la détermination
pratique (5) sur le savoir théorique (5) .
Passage de la contemplation à la responsabilisation.
2.
Le combat de l'éthique et de la rationalité.
A .
Pourtant, bien souvent, l'essor des sciences néglige toute réflexion sur ses propres conséquences.
C ette scission est mise en évidence par la célèbre
phrase de Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.
»
B.
Il faut donc opérer une nette opposition conceptuelle entre le rationnel et le raisonnable.
Est rationnel ce qui, dans le domaine de la connaissance, se
conforme à la raison.
Le raisonnable fait appel, quant à lui, au sens moral.
Une action ou une opinion est qualifiée de « raisonnable » lorsqu'elle n'a pas de
conséquences condamnables.
Et est déraisonnable ce qui ruine le bonheur ou la justice.
C .
Forts de cette distinction, on peut, à la façon de Rousseau, dans le Discours sur les sciences et les arts, dénoncer l'illusion selon laquelle science et
progrès éthique sont solidaires.
Cette thèse est en effet scientiste : elle confie à la science le soin de trancher des débats non scientifiques.
Or, la science
peut-elle décider de quoi que ce soit? Ne doit-elle pas se contenter d'offrir une plus grande connaissance du monde? Son objectivité ne dépend-elle pas
d'un renoncement aux jugements de valeur?.
»
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