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La raison vient-elle uniquement de l'expérience ?

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« Il est un fait indéniable pour quiconque essaye d'analyser ces exigences fondamentales sous-tendant tout acte de connaissance et désignées sous le nom de Raison, c'est que non seulement il est impossible de les dégager de l'Expérience où elles sont amenées à prendre corps, mais que, de cette matière où elle vient s'incarner jusqu'à former avec elle un ensemble indissoluble, la Raison tire le principal secret de sa valeur. D'où la tendance à enrichir sans cesse la liste des cadres rationnels et à les présenter sous une forme toujours plus concrète, ce qui conduit toujours davantage à les tenir pour issus de Inexpérience. Seulement il est un fait non moins évident, c'est que l'accumulation de ces cadres lourds de l'apport expérimental, loin d'exprimer la nature fondamentale de la Raison, ne parvient qu'à en dissimuler l'Essence. Rien dans une telle construction ne semble en effet manquer à l'Entendement sinon, pour reprendre une formule célèbre « l'Entendement lui-même », comme si la Raison échappait d'autant plus invinciblement qu'on cherche à l'enserrer dans un réseau de relations plus complexe.

D'où la tendance à la définir sous une forme toujours plus pauvre, toujours plus dépouillée.

Ce qui revient aisément à en nier l'origine expérimentale. Car il est assez facile de découvrir la source de ces constatations contradictoires. Si en effet l'examen de la « Fonction constructrice » inhérente à l'Entendement tend à accroître toujours davantage te contenu rationnel, la considération des « caractères » présidant à l'exercice de cette fonction même tend à restreindre progressivement la richesse d'un tel contenu jusqu'à l'abolir par la réduction de la Raison à la nudité d'une forme abstraite. Ce sont ces deux points que nous allons successivement examiner. Et d'abord il est à noter que le texte dont l'examen nous est proposé constate implicitement une certaine intervention de l'Expérience dans la genèse de la Raison.

Refuser d'admettre que la Raison vienne « uniquement » de l'Expérience, n'est-ce pas reconnaître qu'elle en est dans une certaine mesure issue ? Et à l'analyse du reste on ne voit guère comment il pourrait en être autrement. De deux choses l'une en effet : Ou l'on tient la Raison donnée a priori pour une collection de vérités ou on la considère comme un moule à fabriquer des vérités.

On connaît bien la première de ces attitudes, elle a été adoptée par la Philosophie platonicienne qui attribue à la « Réminiscence » la faculté de retrouver de telles « Idées fondamentales » par l'analyse de l'esprit le plus inculte, elle a été reprise dans une certaine mesure par Descartes qui tend à réduire l'Entendement à une série de vérités ou pour employer les termes cartésiens, de « natures simples » innées qu'il s'agira de découvrir par analyse et que de nouvelles « natures simples » permettront de réunir. Or, une telle position est bien difficile à conserver.

Il est d'abord classique et somme toute justifié d'objecter à une telle manière de voir qu'on ne comprend guère comment de semblables vérités pourraient être contenues dans l'esprit sans être connues et l'échappatoire cartésienne consistant à supposer que les idées innées constituant la Raison n'existent chez l'enfant que sous une forme enveloppée, ne saurait nous satisfaire, car des notions telles que des propositions mathématiques par exemple ou l'Idée d'unité sont par définition choses déterminées et on ne voit guère ce que l'on peut entendre par de telles vérités « existant à l'état de dispositions ».

Une vérité existe sous sa forme achevée, c'est-à-dire consciente, ou elle n'existe pas. D'autre part, il est non moins classique et peut-être plus justifié encore de faire observer qu'une Raison constituée par de telles idées innées, dont la possession par conséquent ne devrait rien à l'Expérience, ne saurait sans un véritable miracle permettre de prévoir et de maîtriser une expérience avec laquelle, de par son origine, elle resterait sans rapports. Il reste donc à adopter l'attitude inverse : à définir la Raison non plus par des « vérités à l'état de dispositions », mais par une « Disposition à trouver des vérités », autrement dit à la considérer comme une forme générale susceptible d'organiser n'importe quel contenu. Mais justement, en raison de celle capacité même d'organiser n'importe quel contenu, la Raison devra se définir par un nombre de caractères toujours plus restreint; toute détermination des cadres constitutifs de l'Entendement risquant de lui retirer avec sa souplesse, la possibilité de modeler tel ou tel contenu particulier.

La liaison tend ainsi, à la limite, à se présenter comme une fonction susceptible de relier le divers sans aucune spécification de la manière dont celle diversité est liée. Or, un tel appauvrissement n'est pas sans fâcheuses conséquences.

En vertu de leur souplesse même, les cadres rationnels susceptibles de s'adapter à tout ne s'adapteront spécialement à rien.

De la sorte ils resteront sans prise sur cette matière intuitive qu'ils prétendent organiser et seront dès lors condamnés, pour reprendre les termes de la critique bergsonienne, à flotter à la surface du Donné sans jamais pouvoir en pénétrer l'Essence. Et d'autre part, en vertu de sa réduction à une forme abstraite, la liai son arrivera à prendre un caractère négatif, à ne plus constituer qu'une série de barrières, aussi souples sans doute que l'on voudra mais, en tout cas, incapables de rendre compte de cette progressivité, de celle fécondité inhérentes à la fonction constructrice de la Raison.

On ne construit pas avec rien et encore moins avec des obstacles. D'ailleurs si nous nous attachons non plus à la considération des fins poursuivies par la Raison, mais à l'analyse de son fonctionnement même, nous constaterons par ce nouveau biais qu'on ne saurait dépouiller l'Entendement de toute détermination sans risquer d'en laisser disparaître l'essence. Supposons en effet que l'on définisse cet Entendement sous la forme la plus pauvre, la plus générale possible, comme une activité d'unification encore faudra-t-il réaliser une condition fondamentale pour que l'exercice de cette activité d'unification soit possible.

Il faudra des objets q unifier.

On n'organise pas une poussière perpétuellement changeante d'impressions qui équivaudrait en somme à un pur néant.

L'établissement de relations ne saurait s'établir qu'entre des « données ».

Ces données, il est possible que la Raison même y parvienne par un premier travail d'unification et nous aurons à revenir sur ce point.

Mais pour l'instant, peu importe, qu'elles soient un point de départ ou un premier résultat, que la Raison les trouve ou les obtienne, l'essentiel c'est que cette Raison « les exige. »

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