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La philosophie est-elle inactuelle ?

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« L'interrogation est en apparence très s imple et s e fonde en fait sur une série de reproches que l'on fait souvent à la philosophie : elle ne sert à rien, c'est un discours dépassé, qui n'est plus de notre temps , qui ne parle jamais vraiment de l'ac tualité.

Demandez-vous donc ce qui fonde ces reproches.

Il faut bien entendu analyser l'adjectif "inactuelle", celui-ci a en fait deux sens : il s'agit d'abord de dénonc er ce qui n'est pas contemporain, la philosophie serait donc un discours vieilli qui n'a plus les moyens de penser le monde actuel (mais s ongez aussi que l'on peut défendre la philosophie en remarquant comme le fait Nietzsche que si la philosophie paraît inactuelle, c'est qu'elle est en avance sur son temps).

C ependant inactuel peut aussi être entendu comme ce qui n'est d'aucun temps, ce qui n'est jamais lié à l'actualité, la philosophie serait alors un discours si intemporel que l'on ne pourrait l'attacher à aucune époque. 1) la démarche inaugurale et inactuelle de la philosophie. Socrate n'est pas un philosophe parmi les autres ; il est le totem de la philosophie occidentale.

En chaque pensée qui s'éveille et s'interroge, il revit ; en chaque pensée qu'on humilie ou qu'on étouffe, il meurt à neuf.

La place exceptionnelle qu'il tient dans notre culture es t celle du héros fondateur, du père originaire, qui s'enveloppe dans une obscurité s acrée, et que chacun porte en soi comme une présence familière.

Il appartient inséparablement à l'histoire et au mythe de l'esprit.

N o u s ne connaissons avec certitude presque aucune de ses pensées, et nous le reconnaîtrions dans la rue.

Lui qui n'écrivit rien, des monceaux de livres interrogent son énigme ; lui qui n'enseigna rien, des systèmes colossaux se réclament de son patronage.

Le vrai Socrate es t peutêtre à jamais enseveli sous sa légende, qui personnifie en lui la conscience philosophique, unité de la conscience intellectuelle et de la cons cience morale.

Socrate, c'est d'abord un geste, une interpellation enjouée, secrètement impérieuse.

Les hommes vont à leurs affaires, ils exercent ce qu'ils appellent leurs compétences.

Socrate lève son bâton, et dit : « A rrête-toi, mon ami, et causons un peu.

Non d'une vérité que je détiendrais, non de l'es s e n c e c a c h é e d u monde ; mais d e c e que tu allais faire quand je t'ai rencontré.

T u croyais cela juste, ou beau, ou bon, puisque tu allais le faire ; explique-moi donc ce que c'est que justice, beauté, bonté.

» A insi naît le dialogue, au ras de l'activité quotidienne, et la prenant à contre-pied, puisqu'il l'oblige à rendre ses comptes.

L'art socratique du dialogue, en qui se résume la manière socratique de philosopher, tient à peu près dans l'image de la « maïeutique », art d'accouc her les es prits, que Socrate disait tenir de sa mère ; encore faut-il ne pas oublier que l'accouc heuse, matrone qui a elle-même passé l'âge d'enfanter, a compétence aussi pour juger si l'enfant est viable ou non, et sait s e faire avorteuse au besoin.

L'enquête socratique, par l'un de ses aspects, est une recherche spéculative, guidée par l'exigence rationnelle de la cohérence et de la légitimation : aspect que retiendra A ristote, estimant que l'on doit deux choses à Socrate, l'idée de la définition universelle, qui couvre la totalité du défini parce qu'elle en atteint l'es sence, et la technique du raisonnement induc tif, qui dégage c e t t e e s s e n c e universelle par la confrontation des exemples particuliers.

M ais la réfutation socratique des formules suggérées par l'interlocuteur brise en même temps l'illusion par laquelle, croyant tenir le concept, il s e croit en droit de l'utiliser pour juger, et donc pour vivre ; aussi, quand il se trouve paralys é par le contact du « poiss on torpille » qu'est Soc rate, est-il atteint au plus vif ; c'est de mal vivre, en définitive, qu'il est convaincu.

A ussi, la philosophie est inactuelle dans la mesure où ses interrogations dépasse la simple actualité, l'objet de ses interrogations reste en dehors du temps dans la mesure où elle cherche le fondamentale derrière la contingence, l'ess ence derrière le phénomène, elle cherche à définir les grands conc epts de la pensée au-delà du temps.

La quête platonicienne des idées est la démarche inaugurale de la philosophie qui cherchera à connaître ce qu'est la vertu, la beauté, la justice, la mesure etc .

C 'est pour cela que les interrogations philosophiques ont encore une force de nos jours, car elles interrogent des thèmes qui ont encore une signification pour nous et peu importe les époques . 2)Le courage d'être inactuel. A ussi, être inactuel, c'est ne pas correspondre à son époque, aller contre les idées reçues, et provoquer des réactions parfois épidermiques de rejet.

Des philosophes comme Socrate, Spinoza, Nietzsche sont l'exemple de ces penseurs qui ont pris leur temps à contre-temps.

O n risquerait d'avoir quelque peu le vertige devant la fécondité la philosophie de Spinoza, et devant ce philosophe tant méc onnu et haï, tant suivi et défiguré que fut son auteur.

Mais l'on connaît l'ampleur de l'influence qu'ont eue Platon et M arx, la violence des luttes idéologiques que leurs doctrines ont entraînées, la présence universellement répandue de leur pensée dans la totalité d'une c ulture à un moment donné.

Il faut donc bien se résoudre à admettre le rôle de l'individualité philosophique en général et de l'individualité de Spinoza en particulier : mais il faut reconnaître aussi le sombre privilège du philosophe quant à l'intensité de haine qu'une pensée peut susciter avant d'être reconnue comme la condition première de toute vérité et de toute libération.

C 'es t que, si P laton a beaucoup fait réfléchir, il n'a jamais sérieusement mis personne en danger.

Spinoza, au contraire (et c'est un peu le sens fondamental de son œuvre), pousse toutes choses à l'extrême : philosophe, il l'est totalement (ce qu'on ne saurait dire de M arx), mais dangereux et subversif, tout autant (ce qu'on ne saurait dire de P laton).

Il parvient à la sérénité, mais il bouleverse les siècles, les institutions et les mœurs ; il est ignoré, barré, rayé, mais omniprésent ; il éc rit peu, et il provoque néanmoins des révolutions, non seulement dans l e s gouvernements, mais aussi dans les esprits.

E n un mot, il semble être, avec Socrate, comme l'incarnation même de la philosophie dans ce qu'elle a d'étranger et de fas cinant tout à la fois, dans c e qu'elle a de « révoltant » et de tranquille.

M ais Socrate est une inc arnation de la philosophie éternelle, ou, plutôt, de la nais sance éternelle de la philosophie.

Il semble bien que Spinoza, au-delà de tout paradoxe, soit l'incarnation de la philosophie moderne dans son plus authentique commencement. 3) Nietzsche , l'inactuel. P our Nietzsche, dans le Gai savoir, la mort de Dieu traduit la fin d'une époque dans l'histoire européenne dont P laton, pour Nietzsche, fut un des commencements, inaugurant l'ère de la métaphysique.

M ort du suprasensible, mort des idées et des idéaux sur lesquels vécut toute une civilisation, commenc ement du « nihilisme », telle se présente la « mort de Dieu ».

C e bouleversement total ne se limite évidemment pas à la foi en un Dieu particulier.

Plus fondamentalement, il marque la fin d'un monde et l e s difficiles prémices « d'un avenir encore inc ertain ».

Le nihilis me, ici, n'est pas simplement un phénomène de déc adence : il e s t l a loi intime qui prés ide à toute l'histoire.

Les valeurs ont leur temps ; vouloir les conserver n'est pas moins nihiliste que constater leur fin ou vouloir les transformer.

L'annonce d'un homme nouveau (le « surhomme »), capable de poser de nouvelles valeurs par-delà l'effondrement des anc iennes, es t inséparable de « la mort de Dieu ».

Homme non idolâtre, débarrassé des idéaux (V érité, Bien, Beau, Juste, V ertu, Être...) qui vampirisaient la conscience.

Homme de la « grande santé » (aphorisme 382), dit encore Nietzsche, chanteur et poète, joueur : « Tout scintille pour moi d'un nouvel éclat,/ M idi sommeille sur l'espace et le temps :/ Seul ton œil - monstrueusement/ Me fixe, ô infini ! » dit un poème des C hansons du Prince Hors-la-Loi.

La « transvaluation de toutes les valeurs » est guettée par la m e n a c e d e s « anciennes chaînes » toujours promptes à rappeler leurs souvenirs funestes.

L'inactualité de Nietzsche réside d'émettre une pensée et une méthode qui soit à l'opposé de son époque, de renverser les valeurs et d'en proposer d'autres pour l'avenir qui soient entièrement différente. Conclusion La philosophie est inactuelle dans la mesure où elle recherche une vérité au-delà des contingences du temps, elle cherche l'essence et non l'apparence, et de cette façon elle peut être à contre-courant de son époque et susciter un rejet.

Le philosophe ne contente pas de commenter l'actualité, il n'est pas journaliste, il donne d'autres perspectives plus profondes aux problèmes que rencontre l'homme.

Il se place en retrait de l'agitation pour mieux s aisir certaines vérités.. »

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