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La persuasion est-elle ennemie de la raison ?

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« « La conviction tient plus à l'esprit, la persuasion au coeur; ainsi l'on dit : l'orateur doit non seulement convaincre, c'est-à-dire prouver ce qu'il avance, mais encore persuader, c'est-à-dire toucher et émouvoir.

La conviction suppose des preuves : je ne pouvais croire telle chose ; il m'en a donné tant de preuves qu'il m'a convaincu.

La persuasion n'en suppose pas toujours : la bonne opinion que j'ai de vous suffit pour me persuader que vous ne me trompez pas », écrit Jean le Rond d'Alembert.

Dans le langage courant, nous avons pour habitude de confondre persuader et convaincre.

Persuader consiste à porter une personne à croire.

Elle est donc une forme d'action sur autrui.

On parle d'un art de la persuasion lorsqu'il provoque une adhésion des foules.

Or, la persuasion parle au cœur, non à la raison.

À la différence de la conviction qui parle à la raison, non au cœur.

Persuader et convaincre sont faussement semblables si l'un mène aux passions et l'autre à la vérité. Problème : Par quel(s) moyen(s) la persuasion peut-elle nuire à la raison ? 1 – La persuasion est affaire de rhétorique, non de philosophie - Un point d'étymologie.

Il suffit parfois de remonter à la racine grecque ou latine d'un mot ou d'un concept pour en apprécier sa teneur philosophique.

Persuader vient du mot latin persuadere qui signifie « déterminer quelqu'un à faire quelque chose », ce qui revient à fixer le choix de son interlocuteur sans attendre son accord.

Persuader revient à amener quelqu'un à croire quelque chose.

Celui qui persuade régit le choix de son interlocuteur.

Semblable au séducteur, la persuasion enveloppe le sujet Étymologiquement, convaincre, du latin convincere, que l'on considère comme le synonyme de persuader, signifie « vaincre entièrement », « démontrer victorieusement ».

Autrement dit, amener quelqu'un, par des preuves ou par un raisonnement irréfutable, à admettre quelque chose comme vrai.

Une différence d'essence s'insinue entre persuader et convaincre. - Un point d'histoire.

Les premiers à faire de la persuasion un art sont les sophistes.

D'après les sophistes, toute réalité se borne au simple phénomène.

Tout point de vue est vrai.

Donc, des jugements contradictoires peuvent coexister.

Le seul point de référence est l'homme car comme l'énonce le sophiste Protagoras, l' hom m e est la mesure d e toutes choses.

Dans la conception du monde des sophistes, l'homme vit dans un total dénuement car il est non seulement abandonné à la fatalité mais séparé des dieux et exposé aux infortunes de la vie et à la finitude.

C'est pourquoi, par l'invention de techniques du langage, le sophiste contribue à pallier le dénuement de l'humanité.

Le sophiste use de la force et de la magie du langage comme d'une thérapeutique à sa condition humaine.

Le sophiste, tel que Gorgias de Léontium par exemple (mis en scène par Platon), aspire à un savoir total, à avoir réponse à tout. - La vraie nature de la persuasion exclut la vérité car elle consiste à appliquer une force sur autrui et à le faire plier.

L'éloquence, ou la magie du langage, est à la source d e la persuasion, qui est cette manière d e s'exprimer d e façon à émouvoir par le discours.

La persuasion s'adresse au cœur, non à la raison.

Il ne cherche donc aucune démonstration car ce que l'on sent n'a pas besoin de démonstration scientifique.

Or, la raison est cette instance qui est en quête de la vérité.

La raison ne peut donc admettre la persuasion comme l'un de ses piliers.

La sophistique consiste à appliquer la rhétorique à la philosophie.

Or la philosophie n'est pas subordonnée à la rhétorique, comme le pensent les sophistes. 2 – Le savoir est-il réside-t-il dans la persuasion ou dans la conviction ? - La croyance dans la théorie de la connaissance qu'édifie Platon constitue le degré le plus bas pour atteindre la vérité.

Car croire, c'est croire que les ombres de la caverne sont les rayons du soleil.

On peut en être persuadé.

Mais dès lors que l'on accède à la vérité, on ne peut en être convaincu.

La persuasion incarne la raison à l'état de sommeil.

Or, la philosophie telle que la dépeint Socrate ne commence qu'une fois que l'on est éveillé. - C'est pourquoi il faut bannir la persuasion de la connaissance.

Car on est toujours persuadé de quelque chose, ce qui ne signifie pas que cela est vrai.

Or Socrate esquisse la méthode qui fait accéder à la Vérité : seules les sciences dialectiques, l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie, permettent de remonter au Bien.

Vérité et science sont dans le système platonicien consubstantiel : c'est la conviction qui élève l'homme car elle repose sur la démonstration scientifique, les preuves, une argumentation précise et vérifiée. - Convaincre est bien l'arme du philosophe.

Cela dit, Socrate n'exclut pas l'usage d e la rhétorique d e la philosophie.

Il est lui-même passé maître dans la pratique des discours.

La maïeutique est elle-même le résultat d'un tour de force opéré par Socrate dans le discours. Il ne fait que mettre en garde contre les dérives de la rhétorique.

Quand la philosophie est subordonnée à la rhétorique, et donc à la persuasion, tout savoir est évanoui. 3 – Une confusion entre persuader et convaincre est-elle encore possible ? - Il y a donc une différence de nature entre persuader et convaincre : persuader relève de la rhétorique, et a pour seule fin le langage luim ê m e .

C a r la persuasion exclut par essence tout rapport à la vérité.

Ce qui l'intéresse, c'est trouver les éléments du discours afin de formuler des contradictions.

Quand la persuasion s'applique à quelqu'un, elle induit un rapport de pouvoir.

Celui qui a été persuadé est celui dont la raison est restée endormie et passive. - Il y a également une différence de degré : la persuasion exclut la recherche du savoir car elle réside dans l'ignorance.

Et au sein même de cette ignorance, elle se persuade de savoir.

La persuasion est donc l'ignorance de l'ignorance.

Celui qui persuade est un ignard, c'està-dire un ignorant de sa propre ignorance.

Elle incarne une conscience qui n'a pas opéré la ré-flexion, qui ne s'est pas interrogé sur sa propre ignorance, qui n'a pas appliqué les principes du cogito cartésien visant à les racines de ses connaissances. - Cela dit, Gaston Bachelard relève en science, chez d e grands scientifiques du XVIIIe siècle, ce qu'il nomme la « connaissance sauvage » : elle est ce résidu de croyance en l'homme.

« Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune.

Il est même très vieux, il a l'âge de ses préjugés » et de ses persuasions, pourrions-nous ajouter aux propos de Gaston Bachelard.

Mais pour l'homme animé par l'esprit scientifique, chaque savoir fait lui-même l'objet d'interrogations.

Pour le sophiste, le savoir est ce tour de force qui fait accéder au pouvoir et à la domination des esprits. Conclusion « On peut convaincre les autres par ses propres raisons, mais on ne les persuade que par les leurs », écrit le moraliste français du XVIIIe siècle Joseph Joubert.

Persuader et convaincre sont des frères ennemis qui ressemblent et que l'on peut confondre comme le loup avec le chien.

La persuasion est un leurre car non seulement elle n'offre aucun accès au savoir mais elle emprisonne dans une ignorance ignorante d'elle-même.

On ne peut être con-vaincu tant que l'on a pas vaincu la persuasion.. »

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