La loi morale et la loi physique ?

« La loi morale et la loi physique sont opposées traditionnellement pour exprimer la différence entre l'obligation et la nécessité.

La nécessité exclut la liberté, l'obligation la requiert.

Nous avons eu ci-dessus l'occasion de comparer obligation et nécessité en comparant les sociétés humaines aux sociétés animales.

Dans celles-ci règne la nécessité de la loi biologique, dans la mesure où l'on peut considérer la société animale comme un organisme dont les individus sont les fonctions.

De ce point de vue, la guêpe, l'abeille, la fourmi ou le termite, dans le cadre de leur rôle « social », sont soumis à la même nécessité que par exemple le foie ou le rein comme fonctions de l'organisme animal et humain.

L'obligation, au contraire, se propose sans nécessité. La comparaison sera encore plus claire par référence à la loi physique.

La réunion des conditions d'une expérience en physique permet d'attendre certains effets par la mise en jeu de la loi, c'est-à-dire d'un rapport nécessaire et objectif entre ces conditions et ces effets, permettant la prévision certaine.

Un soldat, devant un ennemi qui vient de se rendre et qui lève les bras, peut tirer au revolver et l'abattre.

Il met en jeu des lois nécessaires, chimiques (chimie de la poudre), physiques (mécanisme des leviers et des ressorts dans le revolver), balistiques (trajectoire du projectile), physiologiques et biologiques (effets de la balle dans le corps de l'autre).

Mais si, au moment où il va appuyer sur la détente, il se demande s'il a le droit de tirer sur cet homme et s'il n'est pas « moralement obligé » de le faire prisonnier au lieu de l'abattre, il y a émergence, dans la situation, d'une alternative, il y a un choix qui se propose à la liberté de l'agent moral.

L'obligation morale est la force de contrainte purement intime et nonnécessitante qui accompagne l'idée d'un acte en donnant à cet acte une valeur où se reflète la valeur personnelle de l'agent moral.

L'agent moral se trouve devant l'idée d'un acte qui, pour ainsi dire, lui réfléchit sa propre image et il prend conscience de sa personne : « Toi, tu vas faire ça ? » La condition sine qua non du sentiment de l'obligation est précisément cet intervalle, cette décompression, introduits dans le déroulement automatique et nécessaire d'un acte.

L'obligation morale s'oppose aussi à la contrainte physique (on peut vous faire écrire une lettre malgré vous, sous la menace), elle est définissable par son caractère éminemment personnel et intime ; elle est l'expression de la conscience morale.. »