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La communication des consciences

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« Introduction.

- Contrairement aux paradoxales assertions de l'idéalisme, la conscience humaine n'est pas enfermée en elle-même, sans ouverture sur le dehors. Elle n'est pas non plus isolée du monde de consciences dans lequel elle vit nous communiquons avec les autres, échangeant nos pensées, nous faisant part de nos sentiments ou les laissant deviner sans le vouloir : je vois la colère de celui avec qui je discute tout comme je vois l'ébullition de l'eau Mais si le fait de la communication des consciences ne peut être mis en doute, on peut se demander en quoi elle consiste, comment elle s'effectue. Avant de proposer une réponse à cette question, nous commencerons, pour bien voir de quoi il s'agit, par esquisser la phénoménologie de la communication des consciences, c'est-à-dire par la décrire. I.

— PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA COMMUNICATION DES CONSCIENCES La vie en société nous fournit des occasions constantes d'entrer en rapport avec les autres, mais les rapports avec autrui n'entraînent que rarement une véritable communication de consciences. A.

Travaux d'approche.

— Pour situer la communication des consciences dans la hiérarchie des relations que nous pouvons avoir avec les autres, prenons un cas concret de l'expérience la plus commune : je vais à un guichet pour un renseignement ou une formalité quelconque et je fais la queue en attendant mon tour ; examinons mon attitude à l'égard des êtres conscients qui m'entourent. D'une façon générale et malgré la politesse de notre comportement à leur égard, nous ne traitons guère ces inconnus que nous coudoyons que comme des choses ou des objets, les considérant uniquement en tant qu'ils peuvent être obstacles ou moyens par rapport aux fins que nous poursuivons.

Ainsi, dans le hall de la gare, la longue file de voyageurs qui m'ont précédé au bureau de location ne représente pour moi que des gens qui me retardent et à cause desquels je risque d'être obligé de me contenter d'une place debout sinon de rester sur le quai ; la personne affectée à ce service n'est pour moi qu'un employé comme les autres, caractérisé, non par son physique et encore moins par ses qualités intellectuelles et morales, mais par le fait qu'il est chargé de la location et non de la distribution des billets, de la location pour les trains de la ligne de Bordeaux et non pour ceux de la ligne de Toulouse.

La personne disparaît sous la fonction.

A la personne, à sa pensée, à ses intérêts, à ses soucis d'employé et â plus forte raison de père ou de fiancé, je n'accorde aucune attention.

Quelques cas exceptionnels mis à part, quand je m'adresse à un guichet, je suis si loin de chercher à entrer en communication avec une conscience que j'ai recours de préférence, lorsqu'elle existe, à une machine capable de me procurer ce que je désire : ainsi en est-il pour les billets de quai. li est cependant rare, si nous nous observons durant un laps de temps d'une certaine importance, que cette méconnaissance d'autrui reste totale : il nous arrive aussi de considérer ces inconnus qui nous entourent comme des personnes, c'est-à-dire comme des êtres conscients, ayant une vie intellectuelle et affective analogue à la nôtre.

Ainsi, tout en supputant mes chances d'avoir ma place assise, j'observe mes voisins et écoute les réflexions qu'ils échangent, tâchant par lb de deviner à quel type d'homme ils appartiennent.

Dès lors, je les traite d'après ce que je crois savoir d'eux, et si je me mêle à la conversation je ne dirai rien qui me semble susceptible de les blesser. Eux aussi ont dirigé sur moi leur regard inquisiteur et adapté leur comportement à ce qu'ils ont cru découvrir.

Nous sommes là un groupe de personnes nous traitant comme des personnes et non comme des choses.

Je souhaite vraiment que toutes obtiennent la place désirée et je ne suis plus hypnotisé par la seule préoccupation de moi. Néanmoins, il s'en faut qu'il y ait entre nous cette compénétration des esprits que constitue la communication des consciences. Parfois, cependant, dans certains cas exceptionnels, nous avons, au cours d'une de ces conversations fortuites, l'impression subite d'avoir rencontré comme un autre nous-même : il nous semble lire dans ses yeux comme nous lisons en nous et nous lui portons un intérêt analogue à celui que nous nous portons à nous-mêmes.

Il y a eu alors un commencement de communication des consciences. B.

La communication des consciences.

— Ce phénomène est paradoxal, car, d'une part, il implique l'unité des consciences et, d'autre part, non seulement exige leur pluralité ou plutôt leur dualité, mais encore l'accuse. Pour expliquer cette mystérieuse pénétration d'une conscience par une autre ou plutôt pour l'éclairer par un fait analogue, nous sommes obligés de recourir à la connaissance que nous avons de nous-mêmes par introspection : la communication des consciences parait se faire par intuition.

Non pas par une de ces intuitions divinatrices qui nous font passer comme instantanément du signe à la chose signifiée ou d'une donnée de l'observation â sa cause, mais, semble-t-il, par une de ces intuitions véritables qui supposent l'unité du sujet connaissant et de l'objet connu.

Je n'ai pas besoin d'interpréter les paroles, les gestes ou le regard de mon ami pour atteindre sa pensée profonde ; cette pensée, je la lis dans ses yeux ; il me suffit de le voir ou même de le sentir à côté de moi, car les silences dans la nuit sont parfois plus éclairants que de longs bavardages.

On dirait des consciences fondues en une seule. Néanmoins, non seulement l'autre reste autre et même différent de nous, mais encore nous voulons qu'il diffère de nous : s'il ne faisait que nous reproduire, il ne nous intéresserait plus et ne provoquerait pas notre affection.

Aussi cette communication accuse en un certain sens la distinction des consciences au lieu de la supprimer : avant ce regard pénétrant qui a semblé nous fondre en un, nous n'étions l'un pour l'autre que deux voyageurs, deux étudiants ou deux soldats ; mais, à partir de cet instant, je suis moi pour lui ; il m'accepte avec tout ce que je suis comme je l'accepte tel qu'il est.

Dès lors, nous nous invitons mutuellement à nous laisser voir, et par suite à nous voir nousmêmes, dans toute notre réalité, en comprenant dans cette réalité notre idéal, car d'avoir un idéal cela compte autant ou plus que de ne s'être comporté jusque-là que d'une façon assez vulgaire.

Ainsi, par un paradoxe étrange, je suis davantage moi-même du moment où je fusionne avec un autre. Avec un autre et non pas avec d'autres, car la communication des consciences ne se fait qu'à deux, dans la dyade. »

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