Jean-Paul SARTRE: s'arracher à la moite intimité gastrique
Extrait du document
«
Connaître, c'est "s'éclater vers"; s'arracher à la moite intimité gastrique pour filer,
là-bas, par delà soi, vers ce qui n'est pas soi, là-bas, près de l'arbre et cependant
hors de lui, car il m'échappe et me repousse et je ne peux pas plus me perdre en lui
qu'il ne se peut diluer en moi : hors de lui, hors de moi.
Est-ce que vous ne
reconnaissez pas dans cette description vos exigences et vos pressentiments ?
Vous saviez bien que l'arbre n'était pas vous, que vous ne pouviez pas le faire
entrer dans vos estomacs sombres, et que la connaissance ne pouvait pas, sans
malhonnêteté, se comparer à la possession.
Du même coup, la conscience s'est
purifiée, elle est claire comme un grand vent, il n'y a plus rien en elle, sauf un
mouvement pour se fuir, un glissement hors de soi ; si, par impossible, vous entriez
"dans" une conscience, vous seriez saisi par un tourbillon et rejeté au dehors, près
de l'arbre, en pleine poussière, car la conscience n'a pas de "dedans"; elle n'est
rien que le dehors d'elle-même et c'est cette fuite absolue, ce refus d'être
substance qui la constituent comme une conscience.
Imaginez à présent une suite
liée d'éclatements qui nous arrachent à nous, mêmes, qui ne laissent même pas à
un "nous-mêmes" le loisir de se former derrière eux, mais qui nous jettent au
contraire au-delà d'eux, dans la poussière sèche du monde, sur la terre rude, parmi les choses ; imaginez
que nous sommes ainsi rejetés, délaissés par notre nature même dans un monde indifférent, hostile et rétif ;
vous aurez saisi le sens profond de la découverte que Husserl exprime dans cette fameuse phrase : "toute
conscience est conscience de quelque chose".
Être, c'est éclater dans le monde, c'est partir d'un néant de
monde et de conscience pour soudain s'éclater-conscience-dans-le-monde.
Que la conscience essaie de se
reprendre, de coïncider enfin avec elle-même, tout au chaud, volets clos, elle s'anéantit.
Cette nécessité
pour la conscience d'exister comme conscience d'autre chose que soi, Husserl la nomme "intentionnalité".
VOCABULAIRE SARTRIEN:
Cogito, conscience : pour Sartre, aucune philosophie ne peut éviter de partir du cogito (« Je pense, donc je suis »,
Descartes, Méditations métaphysiques, II).
Mais Sartre sous-tend le cogito réflexif cartésien (la conscience de soi
réfléchie) par un cogito pré-réflexif : une conscience non thétique (irréfléchie) de soi engagée dans toute conscience
d'un donné.
En outre, le cogito cartésien est modifié par Sartre dans le sens de l'intentionnalité : il n'est absolument
pas substantiel et implique d’emblée la co-présence d’autrui.
En-soi : manière d'être de l'ensemble des choses, des êtres distincts de la conscience.
Existence : c'est le fait d'être là, de surgir dans le monde et d'avoir à assumer cette présence.
Intentionnalité : visée d'un objet par la conscience qui manifeste ainsi un perpétuel choix d'orientation d'ellemême.
Néantisation : activité de la conscience qui se positionne en visant à travers le monde ce qu'elle veut en faire.
Acte par lequel la conscience se rapporte à des objets qu'elle vise: « Toute conscience est conscience de quelque
chose.
» La conscience est mouvement vers...
et non-substance.
Dans un article intitulé " Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl", Sartre réfléchit sur la notion
d'intentionnalité telle qu'elle fut développée par Husserl.
Il reprend ainsi à son compte, en la réinterprétant, la tradition
phénoménologique, qui lui permet de penser les structures de la conscience.
Celle-ci n'est pas pure réceptivité
passive, elle est ou contraire visée.
Mois on ne peut pas la penser pour elle-même, indépendamment de tout contenu :
"toute conscience est conscience de quelque chose".
Problématique.
On peut décrire les mouvements de la conscience de façon imagée comme un perpétuel mouvement qui va de
l'intérieur vers l'extérieur, et réciproquement.
Quand je pense un arbre, je sors de moi-même, ma conscience est
totalement centrée sur l'arbre, qui est hors de moi.
Mais je ne puis penser l'arbre comme s'il constituait mon intériorité
: l'arbre me résiste en ce sens qu'il reste toujours quelque chose d'extérieur à moi, malgré mes tentatives pour le
penser.
Je n'aurai pas plus de chance si j'essaie de me tourner vers l'intériorité de la conscience, qui n'existe pas,
puisqu'à ce moment, elle pense l'arbre, c'est-à-dire autre chose qu'elle.
Enjeux.
Ce texte met en évidence les difficultés qu'il y a à penser la conscience, justement parce que c'est elle qui essaie de
penser la conscience.
Elle est à la fois intériorité, puisqu'elle se caractérise par des contenus organisés, mais c'est une
intériorité impensable indépendamment de ses contenus, qui lui sont extérieurs.
Introduction :.
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