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Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne

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« "On a beau vouloir confondre l'indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s'excluent mutuellement.

Quand chacun fait ce qu'il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d'autres et cela ne s'appelle pas un état libre.

La liberté consiste moins à faire sa volonté qu'a n'être pas soumis à celle d'autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre. [...] Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n'a droit d'opposer de la résistance ; dans la liberté commune nul n'a droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit et la vraie liberté n'est jamais destructive d'elle-même.

Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée. Il n'y a donc point de liberté sans Lois, ni où quelqu'un est au-dessus des Lois : dans l'état même de nature l'homme n'est libre qu'à la faveur de la Loi naturelle qui commande à tous.

Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux Lois, mais il n'obéit qu'aux Lois et c'est par la force des Lois qu'il n'obéit pas aux hommes." Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne (1764). Ce que défend ce texte: En réalité l'auteur évoque ici, lorsqu'il parle d'État, l'État de droit, qui se reconnaît d'abord au fait que les citoyens obéissent à l'expression de la volonté générale qu'incarnent les lois, sans avoir à servir les intérêts d'un tyran. L'argumentation de Rousseau suppose donc l'existence d'un tel État, où le peuple « a des chefs et non pas des maîtres ». Un autre reproche pourrait lui être adressé cependant.

Rousseau n'a-t-il pas dépeint, dans le Discours sur l'origine de l'inégalité, la liberté idyllique des hommes lorsqu'ils vivaient à l'état de nature, avant tout contrat social ? Pourquoi refuse-t-il de reconnaître désormais que ce sont bien ces hommes-là qui ont connu la « vraie » liberté, celle d'avant toute loi et antérieure à toutes les injustices liées à l'apparition de la propriété ? Pour Rousseau, la définition donnée ici de la liberté s'applique aussi, en quelque manière, à l'état de nature : les hommes alors y étaient libres, non pas en raison du respect de la loi politique mais en vertu de celui de la loi naturelle. Celle-ci, innée en l'homme, tenait lieu de loi civile grâce aux commandements qu'elle prescrit, lesquels étaient naturellement inscrits dans le coeur de tous et sans cesse rappelés par la voix de leur conscience.

C'est elle qui exigeait des hommes qu'ils respectent leur prochain et lui portent secours en cas de danger. Toutefois, la loi politique garantissant par la force commune ce que les hommes connaissaient alors par sentiment intérieur, a réussi à instaurer cette liberté de manière durable et sûre.

Dans l'état de nature elle était précaire, constamment menacée par le pouvoir et la force de ceux qui préféraient écouter la voix de leur appétit et de leurs intérêts. Aussi celui qui est vraiment libre n'est-il pas celui à qui nul ne peut, par son impuissance, faire opposition, mais celui envers qui nul n'a le droit d'opposer de résistance. Ce à quoi s'oppose cet extrait: Rousseau cherche à définir ici la nature de la liberté authentique.

Ce texte s'inscrit toutefois dans un contexte très particulier.

Ces lignes sont extraites, en effet, des Lettres écrites de la montagne, qui constituent une réplique aux Lettres écrites de la campagne, dans lesquelles le procureur général Jean-Robert Tronchin justifiait la condamnation du Contrat social de Rousseau, à Genève.

Ce texte a donc une valeur polémique, ce qui signifie que, derrière la réflexion sur la nature de la liberté authentique, Rousseau cherche à défendre la philosophie politique qu'il a définie dans Le Contrat social. Rousseau affirme ici que la liberté ne consiste pas à faire ce qui nous plaît, ce qui correspond à l'indépendance, mais à obéir à la Loi.

Les termes de « liberté » et d'« indépendance » ne sont pas synonymes, malgré ce que croit le sens commun.

On peut même aller plus loin : « ces deux choses sont si différentes que même elles s'excluent mutuellement.

» L'indépendance, qui est insoumission à toute loi, ne permet pas l'instauration d'une liberté collective, car en faisant ce qui nous plaît, « on fait souvent ce qui déplaît à d'autres ».

Un État libre n'est donc pas la conjonction d'individus indépendants, car ceux-ci s'opposeraient à la liberté de leur prochain et, réciproquement, celle des autres serait par définition négation de la leur.

Or « la vraie liberté n'est jamais destructive d'elle-même.

» En outre, la liberté, considérée en dehors des lois et de la justice, est une véritable contradiction dans les termes, car de quelque manière qu'on s'y prenne, on ne peut qu'entrer en opposition avec le corps social tout entier dont la seule existence constitue une gêne potentielle. Rousseau inscrit donc l'exercice de la liberté dans le cadre de l'État.

Mais on pourrait lui objecter qu'une loi peut être injuste et un pouvoir tyrannique.

Sommes-nous libres en leur obéissant ?. »

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