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Faut-il punir ?

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« La formulation de l'intitulé est étonnante : " faut-il ", comme si la punition n'était pas évidente, mais déjà en discussion.

Quand la punition peut-elle être légitime ? Qu'est-ce qui la rend illégitime ? Est-il vain de punir, si la punition ne peut avoir les conséquences qu'on en attendait ? Si l'on questionne la légitimité, cela suppose d'exclure toute idée de punition comme vengeance, comme réaction immédiate et non réfléchie.

Cela implique donc que la punition soit acte réfléchi, et que la légitimité de cet acte soit problématique.

Punir devient alors un acte qui n'est pas du tout automatique, comme si selon la loi il ne pouvait y avoir automatisme dans la réponse au délit.

Cela suppose que la punition ne se justifie pas à chaque fois par l'application pure et simple de la loi.

Pourquoi ? N'est-ce pas de la nature de la loi de faire automatiquement comprendre qu'il y a eu transgression ? Si l'on prend en compte les circonstances atténuantes, n'est-ce pas à terme effacer la responsabilité individuelle ? Que vaut une loi si elle ne repose plus sur la responsabilité individuelle ? Auquel cas punir n'est pas légitime, mais nécessaire, voire inévitable. I.

L'homme a-t-il le droit de punir l'homme ? Le problème apparaît avec une évidence saisissante quand il s'agit de la peine de mort, car enfin, en tuant le criminel il semble que la justice s'arroge un privilège véritablement divin. L'homme ne crée pas la vie, il la reçoit : il ne lui appartiendrait pas, en conséquence, de la supprimer. II.

Sans même penser à la peine de mort et sans faire intervenir l'argument théologique, on aperçoit le paradoxe de toute sanction.

La sanction imite ce qu'elle entend sanctionner.

Toute sanction est une violence, et par là une atteinte à la personne humaine.

La sanction a pour but de châtier les violents mais elle ne les châtie qu'en introduisant une nouvelle violence dans le monde.

La peine capitale, qui tue le meurtrier, l'imite, loin de ressusciter la victime ; au bout du compte on a deux morts au lieu d'un (le marquis de Sade disait que la justice n'a même pas l'excuse - comme les meurtriers qu'elle punit - de tuer par passion, elle tue à froid, par méthode et délibérément). III.

Un moyen très simple, pourtant, de justifier les sanctions consiste à invoquer l'utilité sociale.

La société a le droit de protéger ses membres sains et d'empêcher de nuire ses brebis galeuses.

A la limite on supprimera le monstre moral comme on supprime un serpent venimeux ; c'est la sanction éliminatrice.

Ou bien on punira pour faire un exemple, pour effrayer l'imitateur éventuel : sanction intimidatrice.

En Angleterre, jusqu'au milieu du XIX siècle, les jours de pendaison étaient chômés, pour que tout le monde assiste au spectacle, afin qu'ainsi les meurtriers en puissance soient épouvantés (et aussi peut-être donnent à leur goût de la violence, par ce spectacle horrible, une sorte de satisfaction substitutive). IV.

Cette théorie utilitaire de la sanction peut être critiquée tout d'abord à partir de ses propres principes.

La sanction intimidatrice manque souvent son but.

Aussi étrange que cela puisse paraître, on sait aujourd'hui que la peine de mort encourage certains délinquants plus qu'elle ne les décourage (parce qu'elle marque le coupable d'un sceau tragique et lui donne une sorte de gloire ; dans les prisons, les condamnés à mort sont révérés comme des héros).

Les sanctions poussent souvent à la révolte plus qu'au repentir.

Les prisons ont été parfois de vraies écoles du crime (maison de correction = maison de corruption). V.

Mais quand bien même la sanction réussirait son effet d'intimidation (Benoist Méchin raconte qu'au pays d'Ibn Seoud où les voleurs ont la main coupée, on peut laisser un sac d'or dans le désert et le retrouver intact un an après !), elle ne serait pas pour autant moralement justifiée.

L'instinct défensif de la société qui se protège n'est pas un mobile moral.

Faire son devoir par intérêt n'est pas moral ; punir par intérêt non plus.

Comme dit Janet : « si les punitions n'étaient de la part de la société que des moyens de défense, ce serait des coups, ce ne serait pas des punitions.

» VI.

D'où l'apologue célèbre de Kant dans les Principes Métaphysiques du Droit.

Si la société civile venait à se dissoudre du consentement de tous ses membres, comme si par exemple un peuple habitant une île se décidait à la quitter et à se disperser, le dernier meurtrier détenu dans une prison devrait être mis à mort avant cette dissolution ! Le sens de l'apologue, c'est que la société doit punir même si cette punition n'a plus d'utilité.

Punir le coupable pour servir d'exemple aux autres est immoral, c'est traiter la personne du coupable comme un simple moyen.

Selon Kant, il faut punir parce que la faute exige - au point de vue moral - une sanction.

Le droit de punir devient ainsi le devoir de punir.. »

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