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Expliquez cette pensée du philosophe Alain: Nous pensons les choses dans l'espace, mais l'espace n'est pas un objet des sens.

Extrait du document

« Observation.

— La phrase complète est : « ...

n'est pas un objet des sens, quoique les objets des sens ne soient ordonnés, distingués et perçus que par l'espace » (Éléments de philosophie, p.

44). Position de la question.

Le sens commun croit percevoir l'espace : ne voyons-nous pas, par exemple, la distance? Même une théorie philosophique, le nativisme, a admis que la spatialité est donnée dans la connaissance sensible elle-même.

Et, de nos jours, le Gestaltisme et la Phénoménologie, tout en reconnaissant que l'espace est un système de rapports, semblent revenir en partie à ce point de vue.

Nous nous proposons ici de montrer au contraire, que, comme le dit Alain, « l'espace n'est pas un objet des sens », mais une forme qui nous permet de distinguer et d'ordonner les objets des sens. I.

Le point de vue kantien. KANT avait déjà soutenu une thèse analogue.

Mais il donnait au mot forme (Form, et non Gestalt) un sens spécial. Si l'espace n'est pas, selon lui, « une détermination des choses inhérente aux objets », il n'est pas non plus « ces choses dans leurs rapports entre elles », il est une pure forme « donnée dans l'esprit antérieurement à toutes les perceptions réelles », donc a priori, quoiqu'il ne soit « joint aux choses qu'en tant qu'elles nous apparaissent ». Ce que nous pouvons retenir de la conception kantienne, c'est que l'espace vient de l'esprit.

Mais en faire une forme a priori, donc universelle et immuable, c'est méconnaître et les variations du concept d'espace au cours de l'histoire des sciences, et les conditions psychologiques de sa formation. II.

Le point de vue psychologique. Si nous nous plaçons au point de vue psychologique, nous sommes amenés en effet à admettre une genèse de la notion d'espace. A.

— Ce qui nous est donné avec l'expérience sensible, c'est uniquement comme l'a montré J.

PIAGET, un « espace perceptif », fait de qualités telles que l'extensivité ou la voluminosité des objets.

Ce n'est nullement « l'espace objectif », c'est-à-dire ce milieu « ordonné » dont parle Alain, ce cadre structuré, ce système de rapports où s'organisent nos perceptions. B.

— Celui-ci est en réalité construit; mais il s'en faut que ce soit d'emblée ce cadre vide, ce contenant distinct du contenu, cette pure « forme » dont parle Kant.

La construction de l'espace passe par diverses étapes qu'a analysées Piaget, et qui sont solidaires de celles de la construction des choses, des objets.

Sans entrer ici dans le détail, marquons simplement : 1° que chaque sens a d'abord son espace propre; — 2° que la coordination s'établit peu à peu entre ces différents espaces sensoriels, notamment par la coordination, chez l'enfant, de la vision et de la préhension; — 3° que cette constitution de l'espace s'achève par l'intégration du sujet agissant lui-même dans le système des rapports spatiaux.

C'est alors seulement que l'espace est vraiment constitué comme le cadre dans lequel « nous pensons les choses », y compris nous-mêmes et notre propre action. C.

— II y a lieu d'insister sur le rôle que jouent, dans cette construction : 1° la motricité de notre corps, intimement unie d'ailleurs à la sensibilité; — 2° l'activité de l'intelligence : car seule l'intelligence est capable de penser des rapports.

Cette double activité est particulièrement apparente dans la perception de la troisième dimension et l'appréciation de la distance. Conclusion.

On voit maintenant quelle est la portée de la remarque d'Alain.

Mais elle n'oblige nullement à considérer l'espace, ainsi que l'avait fait Kant, comme une forme a priori.

A la représentation de l'espace s'applique, comme à l'ensemble de la perception, cette réflexion d'Alain lui-même : « Dans notre perception, si simple qu'on veuille la prendre, il y a toujours souvenir, reconstitution, résumé d'expériences.

». »

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