Est-on maître ou esclave de ses croyances ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION.
- Rien ne nous semble plus véritablement nôtre que nos croyances.
Certes, nous ne mettons pas
en doute les acquisitions de la science, les données de l'histoire, mais ce ne sont là que des connaissances
emmagasinées dans notre esprit, un « avoir a, pour parler comme Gabriel MARCEL.
Nos croyances, au contraire, nos
convictions religieuses, notre conception de la vie, font partie de notre « être n.
Aussi, nous sentons-nous
personnellement disposés à lutter pour elles, alors que la négation des vérités scientifiques les plus solidement
établies nous laisse indifférents.
Pouvons-nous dire cependant que de nos croyances, toutes nôtres qu'elles soient, nous sommes les maîtres ?
Si nous cherchions à voir comment elles se sont formées en nous, nous verrions que, chez la plupart, celles qui sont
le plus nôtres, c'est-à-dire qui nous tiennent le plus à coeur, nous viennent du milieu qui nous les inculqua tout
enfants sans que nous nous en rendions bien compte et sans s'inquiéter de notre consentement.
Ce n'est donc pas
en maîtres que nous les avons faites nôtres.
Plus tard, sans doute, notre collaboration devint appréciable, mais
indirecte plutôt que directe : ce n'est guère par un simple choix délibéré qu'on se convertit à une religion ou à une
conception politique; la conversion s'effectue ou du moins se prépare peu à peu, par des actes ou par une
accoutumance sans grand rapport avec la volonté de se convertir.
D'ailleurs, il ne suffit pas de vouloir pour croire :
il faut avant tout voir que la croyance proposée est vraie ou tout au moins croyable; or on n'est pas maître de voir
ce qu'on veut.
Nous ne sommes donc pas les maîtres absolus de la formation de nos croyances.
En est-il de même des croyances une fois formées ? S'imposent-elles à nous ou, au contraire, en sommes-nous les
maîtres en sorte que noue pouvons nous comporter à leur égard comme à l'égard d'une propriété quelconque : les
aliéner, totalement ou partiellement, leur en substituer d'autres ou vivre sans aucune croyance P Voilà exactement
la question qui se pose.
Cette question a un aspect moral que nous ferons apparaître en substituant « avons-nous le droit » à « pouvonsnous » : avons-nous le droit de traiter nos croyances comme une chose, les adoptant quand elles sont utiles, nous
débarrassant quand elles nous gênent P La réponse est évidemment négative : ce que nous jugeons vrai — et il n'y
a pas de vraie croyance sans ce jugement — ne peut pas, sans une mauvaise foi perverse, être tenu pour faux,
d'ailleurs la vie morale elle-même exige une adhésion ferme à des principes qui comptent parmi les croyances les plus
importantes.
Mais la question posée quand on se demande si nous sommes les maîtres de nos croyances est plutôt d'ordre
psychologique : il s'agit de savoir si nous avons le pouvoir ou la possibilité de disposer de nos croyances à notre
fantaisie.
C'est ce seul problème psychologique qui nous retiendra.
I.
— DIRECTEMENT, NOUS NE POUVONS RIEN POUR OU CONTRE NOS CROYANCES.
Ce qui est, est : ce n'est pas en détournant les yeux et en niant son existence que nous obtiendrons que cela ne
soit pas.
Dans une grande mesure, il en est de même des croyances.
En effet, elles dépendent de faits que nous ne
pouvons pas supprimer par une simple décision du vouloir :
A.
— Le milieu social.
C'est de lui, ordinairement, que nous viennent nos croyances.
Sans doute, nous pouvons nous expatrier ou nous
déclasser.
Mais nous ne serons pas pour autant libres de toute croyance imposée, car notre nouveau milieu
cherchera à nous faire partager les siennes.
Il n'y parviendra sans doute qu'imparfaitement.
Peut-être même que,
tôt ou tard, voyant leur insuffisance, nous serons ramenés comme malgré nous à nos croyances antérieures.
Quoi
qu'il en soit, on voit que les croyances ne se laissent pas manier comme des billets de banque.
B.
— L'habitude.
Les croyances véritables ne constituent pas un avoir qu'on peut à discrétion aliéner ou échanger contre autre
chose.
Comme ces habitudes qui constituent une seconde nature, elles font partie de l'être même de celui qui leur a
donné son adhésion.
Or on n'est pas maître de ce qu'on est : la maîtrise de soi, tant vantée par les moralistes, se
borne à l'activité et principalement à l'activité extérieure.
Il dépend de moi de faire ce geste ou de lire ce livre, mais
non d'être ou de ne pas être ce que je suis et ce que m'a fait un long passé de croyances.
C'est pourquoi celui qui
abandonne la foi de son enfance et de sa famille a le sentiment de renoncer à une partie de lui-même.
Qui croit
vraiment croit pour toujours, en ce sens que sa croyance ne cessera pas de l'inspirer, même s'il lui arrive de la
combattre : c'est sans doute ainsi que s'explique la rage de l'apostat contre ce qu'il adorait jadis.
C.
— L'évidence.
La force de la croyance enfin lui vient de ce qu'elle a procuré à l'esprit une certaine évidence : non pas sans doute
l'évidence expérimentale d'un fait tangible; pas davantage l'évidence rationnelle d'une conséquence logique; mais
l'évidence morale de la sagesse et du caractère raisonnable d'une conception de la vie ou de l'adhésion à un Credo.
Et le sentiment de cette évidence, la satisfaction qu'elle procure à l'esprit, entrent eux aussi dans la catégorie des
faites dont on n'est pas les maîtres.
On ne dispose donc pas de ses croyances comme d'un habit qu'on revêt ou dont on se dépouille à volonté.
Les
croyances nous possèdent plus que nous les possédons.
II.
— INDIRECTEMENT, NOUS NE POUVONS QUE CONTRIBUER A LES AFFERMIR COMME A LES PERDRE.
A.
— Ce qui est possible.
Si nous ne sommes pas les maîtres absolus de nos croyances, celles-ci ne sont pas aussi inaliénables que notre
corps ou notre personnalité : les ayant acquises, nous pouvons les perdre ou au contraire poursuivre le travail
d'acquisition, c'est-à-dire les ancrer plus fortement en nous..
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