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Est-il vrai qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées ?

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« Introduction.

— Nous en avons bien souvent pris conscience au cours de notre vie scolaire : qu'il s'agisse d'un cours magistral à suivre, d'un problème à résoudre, d'un texte à analyser ou à résumer, il n'est pas toujours facile de fixer l'esprit.

Aussi, trouvons-nous surprenant que Descartes ait pu écrire : « il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées ». Sans doute que, dans le vocabulaire cartésien, « pensée » n'avait pas le sens que nous lui donnons aujourd'hui.

Mais nous avons à discuter une proposition émise par Descartes et non le cartésianisme.

C'est pourquoi nous nous contenterons de voir si, prise en elle-même, cette proposition peut être acceptée par un esprit contemporain. I.

— L'AFFIRMATION A APPRÉCIER Notons d'abord ce qu'elle implique.

Deux mots en marquent le caractère absolu : « rien » et « entièrement ». A.

Hors de la pensée — dans le domaine psychique comme dans le domaine physique —, rien n'est entièrement en notre pouvoir. Sans doute, je ne suis pas démuni de tout pouvoir.

Je déplace les objets et me déplace moi-même.

Les hommes cultivent la terre, bâtissent des maisons, organisent des réseaux routiers...

Pour combattre la sensation de froid, ils recourent à divers systèmes de chauffage.

Et quels artifices apprennent les cuisiniers pour varier les plaisirs de la table ! Il serait facile d'allonger la liste de nos pouvoirs. Mais si nous pouvons beaucoup il n'est rien — dans le domaine envisagé — qui soit « entièrement » en notre pouvoir.

Je puis bien remuer ma chaise, mais non l'anéantir et, par un simple vouloir, lui en substituer une autre plus confortable. L'activité de l'agriculteur, de l'ingénieur, restent conditionnées par les lois physiques et le cuisinier est incapable de faire qu'un convive qui abhorre la bouillabaisse prenne plaisir à la manger. B.

Le domaine de la pensée, au contraire, est entièrement en notre pouvoir. Je puis penser à ce que je veux : au passé, au présent ou à l'avenir.

A la réalité qui occupe normalement mon esprit, je puis substituer l'imaginaire ou même l'impossible, recommencer ma vie, par exemple, ou la revivre à l'âge de la pierre taillée... Je puis penser ce que je veux, c'est-à-dire rejeter des opinions que je tenais jusqu'ici pour certaines et me faire d'autres convictions.

Pourquoi même ne pas mettre en doute les principes qui passent pour les normes nécessaires de la pensée ? Rien ne résiste, semble-t-il, à mon pouvoir d'affirmer et de nier. On voit, à prendre l'assertion de Descartes à la lettre, à quelles invraisemblances on aboutit. II.

— DISCUSSION Hors de notre pensée, il n'est rien qui soit entièrement en notre pouvoir.

L'affirmation est incontestable.

Aussi est-il inutile de s'y arrêter. Mais il n'en est pas même de l'affirmation corrélative d'après laquelle nos pensées seraient entièrement en notre pouvoir. A.

Sans doute nous disposons, dans ce domaine, d'un certain pouvoir. Ce à quoi nous pensons ne s'impose pas absolument à nous.

Ainsi, occupé par l'assertion de Descartes, je puis ouvrir une parenthèse et penser aux vacances prochaines ou aux astronautes de Cap Kennedy ; fermant ensuite la parenthèse, je reviendrai au problème qui m'occupe. Je dispose même d'un certain pouvoir de penser ce que je veux.

Nombre de délibérations se terminent par un arbitrage de la volonté qui opte pour une solution qui ne s'impose pas. Le domaine de la pensée n'est donc pas régi par une nécessité comparable à celle du monde physique. B.

Toutefois notre pouvoir sur nos pensées n'est pas absolu.

Il s'en faut de beaucoup. Ainsi que nous l'avons remarqué en abordant le problème en question : nous ne pensons pas à ce que nous voulons.

Que de fois l'objet sur lequel nous cherchons à fixer l'esprit se dérobe, tandis que nous obsèdent des souvenirs ou des projets qui obstruent le cours de la pensée ! A plus forte raison n'est-il pas entièrement en notre pouvoir de penser ce que nous voulons. Les faits s'imposent à nous.

Ainsi lorsqu'il pleut, je ne puis croire qu'il ne pleut pas.

Sans doute puis-je l'affirmer, mais alors je ne pense pas ce que je dis. Ensuite il est un domaine de vérités que, par opposition aux vérités de fait, nous pouvons dénommer vérités de droit, dans lequel il ne nous est pas loisible de penser ce que nous voulons. C'est avant tout le cas de ce qu'il est classique d'appeler les vérités éternelles et nécessaires, c'est-à-dire des principes qui constituent la loi fondamentale de la pensée : il est impensable que la même chose puisse à la fois être et n'être pas, car une telle pensée se nierait elle-même. Il faut étendre cette affirmation aux principes moraux : il n'est pas entièrement en notre pouvoir de penser que la cruauté est préférable à la bienveillance ou que la maîtrise de soi ne vaut pas plus que l'esclavage de mauvaises habitudes. Conclusion.

— En définitive, nous ne voyons pas qu'il y ait grand chose à retenir de l'affirmation de Descartes.

Il semblerait même qu'il y a plus de vérité dans l'affirmation contraire : il n'y a rien qui soit moins en notre pouvoir que nos pensées.. »

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