Est-il vrai que nul n'est méchant volontairement ?
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Est-il vrai que nul n'est méchant volontairement?
Tout l'ordre des conceptions morales et l'attitude morale elle-même nous paraissent liés à la notion de
responsabilité et à la conscience que nous en prenons.
Sans doute, il est difficile, et même à vrai dire
impossible, de situer et de mesurer exactement la responsabilité d'un acte.
Trop de facteurs, et trop divers,
interviennent ici.
Trop de servitudes grèvent la conduite humaine.
Mais, si je me laisse aller à penser que chacun de mes actes s'explique tout entier par le jeu de forces qui me
dépassent et sur lesquelles je n'ai point de prise, si je situe en quelque sorte hors de moi la causalité de mes
actes, j'érige alors l'irresponsabilité en principe, et c'est ma conduite tout entière qui se vide de toute
signification morale, c'est-à-dire, en fin de compte, de toute signification humaine.
Telle est la raison de l'étonnement que provoque la maxime platonicienne.
On lui reprochera de dégrever tous
les actes mauvais de la responsabilité qui s'y attache et d'éliminer ainsi le sérieux — pour ne pas dire le
tragique — qui nous paraît inhérent à la vie morale.
Efforçons-nous donc de serrer de plus près le sens de
cette affirmation.
Nous verrons ensuite s'il est nécessaire d'y apporter des réserves.
Il faut d'abord nous demander comment s'explique un acte mauvais.
Pourquoi l'accomplit-on ? Comment se
motive-t-il ? Prenons un cas banal.
Le coupable a hésité avant d'agir, il a dû imposer silence à ses scrupules.
Il
se cache pour exécuter son acte.
Et il n'est pas rare qu'il reconnaisse ensuite sincèrement sa culpabilité, qu'il
éprouve du remords.
Tout cela implique, dira-t-on, qu'il a conscience de la malice de son acte.
Il a donc fait le
mal volontairement.
Il faudrait savoir toutefois pourquoi il l'a fait, pourquoi il a passé outre à la loi qu'il connaissait, quel a été le
motif positif d'un tel acte.
Le mal, enfin, a-t-il été voulu pour lui-même et choisi comme tel ? Il ne semble pas,
au moins la plupart du temps.
Un parti, une attitude, ne peut être déterminé par cette qualification purement
négative : c'est mal.
Du reste, ici, l'on répondra aisément que le motif de nos infractions à la loi morale c'est
généralement l'attrait violent de quelque satisfaction — puissance, plaisir, richesse — que nous pensons ne
pouvoir obtenir que par là.
En d'autres termes, la conduite immorale s'explique par la visée de quelque intérêt.
Tel avantage, tel plaisir, nous est apparu assez désirable, assez précieux pour être acquis au prix d'une faute
ou même d'un crime.
Nous avons ainsi une première interprétation de la maxime platonicienne : nous
n'accomplissons pas une action parce qu'elle est mauvaise; nous l'accomplissons bien qu'elle soit mauvaise.
L'on ne fait donc pas le mal volontairement en ce sens que ce n'est pas le mal qu'on veut.
Mais la pensée de PLATON va, en réalité, beaucoup plus loin.
Il veut dire que, si nous avions pleinement
conscience de ce qu'est le mal, nous ne saurions l'accomplir.
Le mal ne peut être
accompli en pleine connaissance de cause, il ne peut être le fait d'un esprit
vraiment lucide.
Chaque fois, donc, qu'un acte mauvais est commis, cela implique
de la part de son auteur ignorance, erreur sur sa véritable nature.
Il semble donc que nous nous retrouvions devant la difficulté que nous
rencontrions au début.
Comment justifier une telle assertion ? Notre propre
expérience morale, les aveux que nous recueillons parfois de la bouche de nos
semblables, tout cela ne nous oblige-t-il pas à reconnaître qu'il y a de vrais
coupables, des fautes véritables, et pas seulement des erreurs ?
A la vérité, on ne peut tenter de résoudre la difficulté que si l'on replace
l'affirmation paradoxale de PLATON dans son contexte, c'est-à-dire si l'on se réfère
à une vue d'ensemble de sa philosophie.
En effet, la morale de PLATON apparaît comme un corollaire de sa métaphysique.
Elle dépend étroitement de la conception qu'il se fait de l'homme et de sa nature.
D'une vue juste de la nature de l'homme, découlent immédiatement les normes
d'une conduite vertueuse.
La vertu, en effet, apparaît ici comme
l'accomplissement, la perfection de la Nature.
C'est dans la pratique de la vertu que nos tendances et nos
aspirations authentiquement humaines trouvent leur réalisation.
Au contraire, la morale traditionnelle est généralement conçue comme une discipline autonome, comme un
système clos de jugements et de sentiments.
Elle n'implique pas nécessairement une attitude métaphysique
bien déterminée, ni des vues bien distinctes sur l'homme, sa nature, sa destinée.
Dès lors, la morale imprime à
notre conduite une orientation qui semble étrangère, et souvent même directement opposée à celle qui
résulterait du jeu de nos tendances naturelles.
Ainsi, les notions de Bien et de Mal vont prendre dans les deux systèmes une signification différente.
Pour la morale traditionnelle, le Bien comme valeur morale, le Bien comme qualification d'un acte, et, d'autre
part, le bien-avantage, le bien-bénéfice d'un acte, sont deux notions radicalement hétérogènes.
Volontiers,
même, on les oppose, et l'on pense que le bien moral ne peut être réalisé que par la renonciation aux biens
objets de nos désirs et de nos tendances.
Pour PLATON, au contraire, la volonté humaine n'est pas partagée entre deux biens qui s'excluent, le bien
comme désirable — le bonheur — et le bien comme louable — la vertu.
Il n'y a qu'un Bien pour l'homme, qui est
de réaliser complètement sa nature d'homme, c'est-à-dire celle d'un être en qui la raison impose sa loi à
l'appétit et à l'instinct.
Il n'y a qu'un Bien pour l'homme qui est de s'accomplir, et la vertu est cet
accomplissement même.
Vertu et bonheur s'identifient donc au lieu de s'opposer..
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