Est-il raisonnable de désirer ?
Extrait du document
«
La philosophie classique oppose le désir (ou les passions) et la raison.
L'homme raisonnable (le sage) est justement
celui qui parvient à faire taire ses désirs pour n'écouter que sa raison.
En effet, cette dernière est la faculté de
l'universel et source de concorde entre les hommes alors que les désirs ne sont que particuliers et objet de discorde
entre les hommes.
Cette opposition repose sur la distinction entre la dimension universelle de la raison et la
dimension particulière et sensible du désir.
Ainsi, si li homme raisonnable écoulé ses désirs, c 'est pour mieux les
maîtriser Toutefois, il faut distinguer le fait de désirer de celui qui consiste à suivre ses désirs en effet, il est
possible de désirer sans nécessairement suivre ses désirs Dans ces conditions on pourrait dire non pas qu'il n'est pas
raisonnable de désirer mais qu'il n'est pas raisonnable de suivre ses désirs En effet dire qu'il n'est pas raisonnable de
désirer revient à affirmer qu'il faudrait ne pas désirer.
Or le désir n' est- il pas aussi l'essence de l'homme ? Et refuser
d'assouvir ses désirs n'est-ce pas se vouer à une existence morne et ennuyeuse ? Que serait un homme qui ne
désirerait plus ?
1) Il est déraisonnable de désirer: la folie des désirs.
Avoir tout ce que je désire et faire tout ce que je veux ne sont pas en mon pouvoir.
Obtenir tout cela ne dépend
pas de moi, mais de circonstances extérieures, de la coopération d'autrui, de la chance, bref de l'ensemble de la
nature.
Par exemple, être aimé ne se commande pas.
Cela dépend des sentiments d'autrui.
Je peux me mettre en
frais pour séduire, mais je ne suis jamais assuré du résultat, ni de la naissance, ni de la durée d'un amour.
Gagner un
combat ne dépend pas davantage de ma seule décision : je peux m'entraîner le plus possible, mais la victoire
dépendra de la force relative de l'adversaire.
Faire fortune ne découle pas de mon simple désir.
Je peux acheter un
billet de loterie, mais je n'ai pas le pouvoir de faire en sorte qu'il soit gagnant.
C'est le hasard qui en décidera.
Je
peux ouvrir un commerce, créer une entreprise, mais je me livre alors à tous les aléas de l ‘économie.
En poursuivant
tout cela, l'amour, la gloire, la richesse, le pouvoir, je désire des choses que ma volonté et mon pouvoir ne suffisent
pas à m'octroyer, mais qui dépendent de l'ordre général de l'univers.
C'est donc, semble-t-il, pure folie que d'y faire
tenir mon bonheur.
Sauf à être particulièrement favorisé par le sort, j'ai de forces chances de ne pas tout obtenir,
d'être dès lors frustré et malheureux.
La sagesse serait donc de limiter mes désirs à ce qui dépend de moi, à ce que
je suis certain de pouvoir posséder et conserver.
C'est précisément ce que disent les penseurs stoïciens.
2) La folie de la sagesse : la thèse de Gorgias
« Gorgias : Veux-tu savoir ce que sont le beau et le juste selon la
nature ? Hé bien, je vais te le dire franchement ! Voici, si on veut vivre
comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soientelles, et ne pas les réprimer.
Au contraire, il faut être capable de mettre son
courage et son intelligence au service de si grandes passions et de les
assouvir avec tout ce qu'elles peuvent désirer.
Seulement, tout le monde
n'est pas capable, j'imagine, de vivre comme cela.
C'est pourquoi la masse
des gens blâme les hommes qui vivent ainsi, gênée qu'elle est de devoir
dissimuler sa propre incapacité à le faire.
La masse déclare donc bien haut
que le dérèglement est une vilaine chose.
C'est ainsi qu'elle réduit à l'état
d'esclaves les hommes dotés d'une plus forte nature que celle des hommes de
la masse ; et ces derniers, qui sont eux-mêmes incapables de se procurer les
plaisirs qui les combleraient, font la louange de la tempérance et de la justice
à cause du manque de courage de leur âme.
Socrate : Mais, tout de même la vie dont tu parles, c'est une vie
terrible ![...] En effet, regarde bien si ce que tu veux dire, quand tu parles de
ces genres de vie, une vie d'ordre et une vie de dérèglement, ne ressemble
pas à la situation suivante.
Suppose qu'il y ait deux hommes qui possèdent,
chacun, un grand nombre de tonneaux.
Les tonneaux de l'un sont sains,
remplis de vin, de miel, de lait, et cet homme a encore bien d'autres
tonneaux, remplis de toutes sortes de choses.
Chaque tonneau est donc plein
de ces denrées liquides qui sont rares, difficiles à recueillir et qu'on obtient qu'au terme de maints travaux pénibles.
Mais, au moins, une fois que cet homme a rempli ses tonneaux, il n'a plus à y reverser quoi que ce soit ni à
s'occuper d'eux ; au contraire, quand il pense à ses tonneaux, il est tranquille.
L'autre homme, quant à lui, serait
aussi capable de se procurer ce genre de denrées, même si elles sont difficiles à recueillir, mais comme ses
récipients sont percés et fêlés, il serait forcé de les remplir sans cesse, jour et nuit, en s'infligeant les plus pénibles
peines.
Alors, regarde bien, si ces deux hommes représentent chacun une manière de vivre, de laquelle des deux
dis-tu qu'elle est la plus heureuse ? Est-ce la vie de l'homme déréglé ou celle de l'homme tempérant ? En te
racontant cela, est-ce que je te convaincs d'admettre que la vie tempérante vaut mieux que la vie déréglée ? [...]
Gorgias : Tu ne me convaincs pas, Socrate.
Car l'homme dont tu parles, celui qui a fait le plein en lui-même
et en ses tonneaux, n'a plus aucun plaisir, il a exactement le type d'existence dont je parlais tout à l'heure : il vit
comme une pierre.
S'il a fait le plein, il n'éprouve plus ni joie ni peine.
Au contraire, la vie de plaisirs est celle où on
verse et reverse autant qu'on peut dans son tonneau ! » Platon, « Gorgias »..
»
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