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Bergson: Est-il raisonnable de faire confiance à ses intuitions ?

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Penser intuitivement, c'est penser en durée. L'intelligence part ordinairement de l'immobile, et reconstruit tant bien que mal le mouvement avec des immobilités juxtaposées. L'intuition part du mouvement, le pose ou plutôt l'aperçoit comme la réalité même, et ne voit dans l'immobilité qu'un moment abstrait, instantané pris par notre esprit sur la mobilité. L'intelligence se donne ordinairement des choses, entendant par là du stable, et fait du changement un accident qui s'y surajouterait. Pour l'intuition, l'essentiel est le changement : quant à la chose, telle que l'intelligence l'entend, c'est une coupe pratiquée au milieu du devenir et érigée par notre esprit en substitut de l'ensemble. La pensée se représente ordinairement le nouveau comme un nouvel arrange-ment d'éléments préexistants ; pour elle rien ne se perd, rien ne se crée. L'intuition, attachée à une durée qui est croissance, y perçoit une continuité ininterrompue d'imprévisible nouveauté. [...] Le concept qui est d'origine intellectuelle est tout de suite clair, au moins pour un esprit qui pourrait donner l'effort suffisant, tandis que l'idée issue d'une intuition commence d'ordinaire par être obscure, quelle que soit la force de notre pensée. C'est qu'il y a deux espèces de clarté. Une idée neuve peut être claire parce qu'elle nous présente, simplement arrangés dans un nouvel ordre, des idées élémentaires que nous possédions déjà. Notre intelligence, ne trouvant alors dans le nouveau que de l'ancien, se sent en pays de connaissance ; elle est à son aise ; elle « comprend Telle est la clarté que nous désirons, que nous recherchons, et dont nous savons gré à celui qui nous l'apporte. Il en est une autre, que nous subissons, et qui ne s'impose d'ailleurs qu'à la longue. C'est celle de l'idée radicalement neuve et absolument simple qui capte plus ou moins une intuition. Comme nous ne pouvons la reconstituer avec des éléments préexistants, puisqu'elle n'a pas d'éléments, et comme, d'autre part, comprendre sans effort consiste à recomposer le nouveau avec de l'ancien, notre premier mouvement est de la dire incompréhensible. Mais acceptons-1a provisoirement, promenons-nous avec elle dans les divers départements de notre connaissance : nous la verrons, elle obscure, dissiper des obscurités. Par elle, des problèmes que nous jugions insolubles vont se résoudre, ou plutôt se dissoudre, soit pour disparaître définitivement soit pour se poser autrement.

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