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Est-il plus facile de connaître un homme en général qu'un individu particulier

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« Introduction.

— La connaissance de l'homme est autrement difficile que celle de la matière : l'avance que la physique a prise sur la psychologie suffirait à le prouver.

Mais de la psychologie individuelle et de la psychologie générale, laquelle présente; plus de difficulté ? Il est plus facile, a répondu quelqu'un, de connaître l'homme en général qu'un individu en particulier ».

Évidemment, en parlant de « connaître un individu », l'auteur n'envisage pas le savoir grâce auquel, à propos de passants croisés dans la rue, je puis dire : « Je les connais..

Il suppose une connaissance du même ordre que celle qui a pour objet l'homme en général, c'est-à-dire une connaissance atteignant la constitution propre de l'individu : son caractère, sa personnalité, sa vie intime... Après cette précision, revenant au jugement cité, demandons-nous ce qu'il faut en penser. I.

— A PREMIÈRE VUE, IL SEMBLE PLUS FACILE DE CONNAÎTRE UN INDIVIDU PARTICULIER (thèse) Sans doute, ce n'est pas du premier venu que je peux dire : je le connais bien.

Pour être valable, cette connaissance suppose normalement une fréquentation assez longue et dans des milieux assez différents, de sorte que puissent apparaître les divers « moi » du sujet observé, ses sentiments et son caractère, son intelligence et ses opinions, son idéal et sa valeur morale...

Il est même des individus qui restent énigmatiques pour la plupart de ceux qui vivent dans leur familiarité. C'est que tout le monde ne possède pas le don d'observer les autres et de deviner, â travers les paroles et le comportement, l'authentique réalité intérieure.

Il en est même qui semblent ne rien voir ou ne voir que les apparences.

Pour connaître les autres il faut de la psychologie : non pas celle que l'on apprend dans les livres et dans les classes, mais la psychologie naturelle qui est une forme de l'intelligence pratique. Il s'en faut toutefois qu'il soit exceptionnel de connaître un individu en particulier de cette connaissance dont nous avons précisé la nature. Ils ne manquent pas, en effet, dans notre entourage, les individus dont nous comprenons bien le comportement, dont nous devinons les motifs et les mobiles.

Elles ne sont pas rares non plus, surtout chez les femmes, les personnes qui, douées de sens psychologique, comprennent les autres à demi-mot, et entendent bien au-delà des paroles ou des gestes. A.

En définitive, il semble assez facile de connaître un individu en particulier.

Cette connaissance s'acquiert sans effort, sans recherche méthodique et sans réflexion prolongée.

C'est une intuition à demi inconsciente qui nous fait percevoir ou conjecturer les sentiments ou les visées de notre interlocuteur.

Les impressions qu'il produit sur nous s'enregistrent sans que nous y songions, et un jour vient où nous pouvons dire : je le connais comme ma poche. Il ne nous est pas difficile alors de discerner les traits de caractère qui le distinguent des autres et, moyennant certains dons de style, d'esquisser sa physionomie morale. Toutefois cette connaissance est moins pensée que vécue et agie.

Elle nous fait surtout prévoir les réactions de celui qui en est l'objet, sentir comment nous devons nous y prendre pour lui être agréable et obtenir son assentiment, ce que nous devons éviter si nous ne voulons pas le voir mécontent ou irrité. B.

Connaître l'homme en général est autre chose.

On ne se trouve pas alors dans le domaine de la vie et de la pratique, mais dans celui de la pensée et de la théorie.

Cet homme n'est qu'une abstraction, comme les entités de la mathématique, avec cette différence capitale : ces dernières correspondent toujours à la définition qu'en donne le mathématicien, puisque cette définition fait toute leur réalité ; au contraire, pour être vraie, l'idée que nous nous faisons de l'homme devrait correspondre aux hommes réels dont nous ne connaissons qu'un nombre extrêmement petit.

On pourrait, il est vrai, en dire autant du peuplier, du sapin ou du boeuf, dont cependant l'agriculteur possède une connaissance suffisante ; mais, outre que l'agriculteur ne connaît guère que les espèces animales et végétales de sa région, l'homme, du fait de ses superstructures culturelles, présente une variété et une complexité de types qu'on ne rencontre pas dans le règne végétal et animal. Aussi n'est-ce guère par expérience directe que nous nous formons une idée de l'homme en général.

Cette connaissance nous vient surtout des livres, de l'enseignement, des aphorismes populaires, enfin du langage qui conserve l'acquis d'un immense passé, et elle est autrement claire que celle qui résulterait de notre expérience personnelle. Par là nous sommes conduit à nous demander si notre première impression n'était pas trompeuse et si nous ne devons pas opter pour le second membre de l'alternative. II.

— A LA RÉFLEXION, IL SEMBLE PLUS FACILE DE CONNAÎTRE L'HOMME EN GÉNÉRAL (antithèse) Supposons que parmi les sujets de dissertation entre lesquels les candidats peuvent choisir figurent les deux suivants : d'une part : « Ou'est-ce que l'homme ? » ; d'autre part : « Faites le portait d'un de vos camarades ou d'un de vos maîtres ».

Un grand nombre, selon toute vraisemblance, optera pour le second, estimant le premier trop classique, c'est-à-dire, en somme, trop facile.

Ce choix déjà est en faveur de la seconde réponse, à laquelle nous nous arrêtons pour l'instant.

Il n'est que présumé, mais cette présomption se fonde sur une expérience assez commune. Comparons ensuite les deux groupes de dissertation. A.

Sans doute, celles qui traitent de l'homme en général seront-elles en grande majorité fort banales : réflexions de sens commun et vérités de La Palice, réminiscences de discours à intention moralisatrice ou citations qui traînent dans les manuels d'autrefois...

Mais, en les jugeant banales, alors que, pour qui réfléchit, elles manifestent un profond sens psychologique, ne montre-t-on pas que l'homme en général est facile à connaître ? D'ailleurs, parmi cette masse de compositions d'une banalité fastidieuse, s'en glissera quelques-unes que le correcteur prendra plaisir à lire.

Les candidats, alors, ne se contentent pas de regorger », comme dit Montaigne, ce qu'ils ont entendu dire ou appris : ils le repensent et le redisent à leur manière, l'éclairent à la lumière de leur expérience personnelle, lui communiquant par là quelque chose de l'originalité du vécu.

Eux surtout donnent l'impression que l'homme est facile à connaître. B.

Prenons ensuite l'autre lot de copies, celles qui esquissent le portrait d'un individu en particulier.

Nous en trouverons bien peu qui campent devant nous un être que nous ayons l'impression de voir.

La plupart consistent en des analyses se réduisant à une énumération de qualités abstraites, de traits généraux qui, pour le mieux, évoquent un type particulier d'homme, mais non une individualité concrète. Il est sans doute des exceptions.

Des candidats d'un sens psychologique plus pénétrant et mieux entraînés à l'art de bien exprimer ce qu'ils observent apportent ce qu'on attend d'eux : un portrait plein de vie et de vérité.

Mais d'où vient qu'ils ont si bien vu et si heureusement présenté le sujet dont ils parlent ? A bien y réfléchir, on verra que leur connaissance de l'individu en particulier est conditionnée par celle de l'homme en général.

N'est-il pas frappant de constater que les modèles du genre — les portraits de La Bruyère — s'insèrent au milieu de chapitres dont l'essentiel consiste en réflexions générales sur l'homme ?. »

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