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Est-il absurde d'aimer une personne pour sa beauté physique ?

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« La sensibilité des hommes et des femmes à la beauté explique les attirances des uns envers les autres, or l'amour ne saurait se réduire à une attirance physique.

L'amoureux est un passionné et non pas forcément un esthète, sauf à puiser dans les seuls contes de fées.

Toutefois il est délicat de tracer la frontière entre la fascination qu'exerce la beauté et le sentiment amoureux : le visage de Liv Ullman est à la fois objet d'amour pour Bergman et sujet fétiche de ses films.

Il faut se défaire de la dichotomie établie par une morale du sens commun : l'amour serait profond tandis que la beauté n'est que superficielle. Si l'on comprend que sous la beauté l'homme voit déjà percer quelque caractère ou quelque énigme on pourra se défaire d'un tel jugement. I- La beauté et l'amour engagent deux rapports au temps qui divergent. Il n'est pas exagéré de dire qu'avec chaque époque se renouvellent les critères de la beauté : symétrie des traits, proportions des parties du corps, grosseur ou maigreur de la taille de la femme, maquillage ou non… Les canons varient selon le temps et le lieu, les femmes doivent selon, porter un corset, avoir de petits pieds (Geishas), le cou allongé (Thaïlande), etc.

A trop s'enfermer dans les critères d'une époque, qui donnent l'illusion d'une beauté objective, on oublierait que la beauté est bien plutôt l'affaire de conventions et de modes, son essence n'est pas mathématisable (par une science des proportions par exemple) mais contingente et liée à la culture en présence. Mais la contingence du beau est en fait double : un temps historique rend les canons de beauté valables hier caduques aujourd'hui et le temps de l'existence voit en lui-même s'évanouir la beauté.

A l'échelle individuelle la beauté ne dure pas, c'est du moins la litanie qui perdure depuis les poèmes les plus classiques (par exemple le « sonnet à Hélène » de Ronsard) jusqu'aux publicités contemporaines qui vantent les produits cosmétiques censés idéalement ralentir ou inverser le cours du temps, vécu sur le mode de la perte.

La beauté est censée être l'apanage de la jeunesse.

On voit le hiatus qui interdit ici d'identifier l'attachement pour la beauté et l'amour, en effet ce dernier n'est-il pas censé durer, par contraste avec la beauté physique ? Deux conceptions du temps se rencontrent : la beauté est éphémère quand l'amour est éternel. C ertes nous ne faisons là que véhiculer les représentations du sens commun dont le fond est très certainement moral.

La beauté est fragile et éphémère, elle ne saurait être qu'un moment, une opportunité de la vie, elle est la figure de la tentation, de l'envie, du désir, de la pulsion, bref elle ne saurait durer parce que tout ce qu'elle enveloppe ne saurait tenir lieu, d'un point de vue moral, de loi et de règle pour l'existence.

A l'inverse mais dans la même logique l'amour est censé durer parce qu'on ne rompt pas un engagement, c'est la perte de puissance de la morale religieuse, récente à l'échelle de l'histoire du monde moderne, qui a permis le vote des lois sur le divorce dans les pays occidentaux dans la deuxième moitié du XXe siècle. II- Il est absurde d'aimer une personne pour sa seule beauté physique. Selon cette distribution commune des représentations l'amour ne saurait tenir à la seule beauté d'autrui sans quoi il fanerait tout aussi vite : si la beauté peut déclencher une attirance et motiver la naissance d'un sentiment, elle n'est pas suffisamment solide pour justifier l'amour.

L'état dans lequel le sujet est pris selon qu'il formule un jugement esthétique ou sentimental n'est pas le même, amour et beauté ne sont pas les corrélats nécessaires l'un de l'autre.

Dans l'appréciation de la beauté, comme Kant l'a magistralement mis en évidence dans la Critique de la faculté de juger (« analytique du beau ») le sujet est indifférent à l'existence de l'objet qualifié, le jugement de goût est dit « désintéressé ».

En revanche le sentiment amoureux est un vécu pour ainsi dire « existentiel », la dimension n'est pas la même, la beauté ne suscite qu'un jugement tandis que l'amour est un effet qui excède le jugement de goût et engage (au moins en a-t-on la sensation) l'existence du sujet. Il est donc, en toute rigueur, absurde, de justifier un amour en raison de la beauté physique d'une personne ; à moins de théoriser (et de rester kantien) un amour à son tour désintéressé, qui toutefois ne convainc pas vraiment.

L'amour n'est désintéressé qu'en apparence.

Don Juan est indifférent aux femmes qu'il élit mais son amour n'est pas immotivé, c'est l'attrait, pervers, de la collection qui en est le moteur ; de même Elvire a beau continuer d'aimer Don Juan en dépit du comportement de ce dernier elle ne réalise pas pour autant un amour désintéressé, il ne faut pas confondre intérêt et attente, si Elvire n'attend plus rien de Don Juan cela ne signifie pas que l'existence de ce dernier l'indiffère.

On s'interdit de comprendre l'amour si a minima on ne voit pas que cela signifie porter de l'intérêt à une personne. Beauté et sentiment diffèrent donc, en toute logique, non seulement sous le rapport du temps mais de l'existence.

Certes on peut faire des expériences esthétiques frappantes, être bouleversé par une couleur, un visage, un corps, mais l'amour ne saurait tenir à cela.

En effet dans l'amour c'est une personne que je vise et non un visage, c'est à un trait de caractère et à une conception du monde et non à une manière ou à une posture que je m'attache. III- Comment dissocier la personne de son physique ? Or le défaut d'une semblable position est de croire que le réel peut-être découpé : la beauté physique ne saurait tenir aux critères génériques partout énoncés, elle est bien plutôt diffuse et singulière, elle ne peut être isolée de la personne comme un composant peut l'être d'un composé chimique.

En somme nous voulons dire que les critères de la beauté sont déjà des abstractions de celle-ci, concrètement la beauté physique ne tient pas aux traits du visages, aux courbes du corps ou à la façon d'être coiffé, elle n'est pas l'addition arithmétique de caractère assignables mais une totalité indécomposable, un ensemble lié. L'illusion procédant de la chirurgie esthétique est de croire que la beauté est paramétrable, or elle ne tient pas à des proportions objectivables, elle est l'effet d'un tout et non une composition de parties disparates, aussi la chirurgie esthétique produit-elle plus de monstres qu'elle ne crée de beautés du fait qu'elle croit pouvoir modifier un visage comme on en dessine un d'un trait de crayon.

Sans aller jusqu'à souscrire aux pseudos-sciences telles que la physiognomonie, développée au XIXe siècle (les traits du visage sont censés révéler les caractères de la personne), on dira que le physique est toujours gros des traits de caractère de la personne, non qu'on puisse deviner ceux-ci à partir de cela mais qu'à force de connaître l'autre son physique devient pour nous poreux et à partir de ses attitudes corporelles nous sommes capables de savoir ce qu'il ressent. Dans La structure du comportement Merleau-P onty met en évidence cette communication des corps : la sympathie psychique passe par le corps, j'infère une attitude, un caractère, la préoccupation ou la joie d'autrui sur la base de la vision que j'ai de son corps.

Dans cette optique nous pouvons dire que la beauté est toujours déjà le signe d'autre chose : la beauté physique déborde précisément le physique, sauf à commettre l'erreur de l'objectiver, de la séparer de la personne et de faire comme si la beauté n'était qu'un vêtement.

Sous la beauté d'une femme ou d'un homme perce toujours une fragilité ou une force, une légèreté ou une gravité ; la beauté est déjà toujours charismatique, elle n'est froide et objective qu'hors du réel, sur les podiums de mannequinât ou dans nos publicités.

Dès lors que l'on comprend que la beauté n'est jamais que la beauté mais enveloppe et présente toute la personne on comprend qu'il n'est pas absurde d'aimer quelqu'un pour sa beauté physique. Conclusion : A s'en tenir aux illusions du sens commun l'amour lié à la beauté physique est un amour dégradé, une attirance ou une fascination mais non un véritable amour.

En effet on aime pour autre chose que pour le physique, l'humour, la présence, la force, la complicité que l'on a avec autrui paraissent autant de critères possibles auxquels l'amour s'attache.

Mais la beauté physique n'est pas la beauté de la nature ou de l'art dont parle Kant, ce n'est pas une beauté devant laquelle nous sommes désintéressés, hormis lorsque nous nous trouvons devant des mises en scène de la beauté et que celle-ci devient elle-même un objet.

Mais en réalité la beauté physique est emprunte des caractères de la personne, elle ne peut est abstraite de celle-ci ; non pas que la beauté résume la personne seulement il faut dire qu'elle n'est pas un vêtement ni la série de paramètres objectivables.

La beauté nous charme parce qu'elle est grosse de promesses quant à la personne, parce que physique et psychique ne sont pas cloîtrés chacun de leur côté.

Aussi on peut aimer quelqu'un pour sa beauté physique, parce que justement nous lisons en celle-ci le signe d'un comportement qui nous émeut.. »

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