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En quoi peut-on dire que tout ce qui est naturel est artificiel et inversement ?

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« Définition des termes du sujet La question « en quoi » demande que l'on définisse le champ d'application d'une proposition donnée ; la proposition est ici : « tout ce qui est naturel est artificiel et inversement ».

C ette proposition se veut paradoxale, elle pose une identité réversible entre deux instances qui sont pourtant contraires : la nature et l'artifice. La nature est le contenu originel du monde, elle est ce qui nous entoure lorsque l'homme n'y touche pas, ce qui vient à la vie sans que l'on intervienne.

Par extension, l'idée de nature peut recouvrir une idée de vérité, d'authenticité, d'originarité.

L'artificiel est ce qui a trait à l'artifice, c'est-à-dire à une création dont l'homme est le seul acteur.

C e mot a pris parfois un sens péjoratif de « faux », « surfait ».

Il s'agit ici de définir les modalités selon lesquelles on pourra briser l'opposition qui existe entre ces deux concepts, et aller jusqu'à les assimiler.

Il faudra expliquer pourquoi la distinction entre nature et artifice ne va pas de soi, et éventuellement la remettre en cause. Proposition de plan I. La nature comprise comme création technique On a parfois tendance à opposer radicalement la nature et la technique.

P ourtant cette opposition mérite d'être interrogée, dans la mesure où l'on peut envisager la création naturelle comme une création technique : le Démiurge du Timée d e P laton, le dieu horloger de Descartes, sont des techniciens créateurs, or la technique créatrice est généralement assimilée à l'artificiel.

La dimension de fabrication que comprend la nature peut être comprise comme la part d'artifice de la nature, et c'est une première manière d'envisager la tension posée par le sujet. Descartes « Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens.

Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles.

C ar, par exemple, lorsqu'une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu'il est à un arbre de produire des fruits.

C'est pourquoi, en même façon qu'un horloger, en voyant une montre qu'il n'a point faite, peut ordinairement juger, de quelques-unes de ses parties qu'il regarde, quelles sont toutes les autres qu'il ne voit pas : ainsi, en considérant les effets et les parties sensibles des corps naturels, j'ai tâché de connaître quelles doivent être celles de leurs parties qui sont insensibles.

» II.

L'homme, être naturel destiné à l'artifice C ette dimension technique, artificielle de la nature s'accentue encore lorsque l'on ne s'intéresse qu'à l'être humain, caractérisé par sa capacité à la création artificielle : on peut en effet considérer cette capacité comme un don de la nature, et alors l'existence même de l'artifice dépend de la nature.

C'est une seconde manière de résorber la tension. Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique « La nature a voulu que l'homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l'agencement mécanique de son existence animale et qu'il ne participe à aucun autre bonheur ou à aucune autre perfection que ceux qu'il s'est créés luimême, libre de l'instinct, par sa propre raison.

La nature, en effet, ne fait rien en vain et n'est pas prodigue dans l'usage des moyens qui lui permettent de parvenir à ses fins.

Donner à l'homme la raison et la liberté du vouloir qui se fonde sur cette raison, c'est déjà une indication claire de son dessein en ce qui concerne la dotation de l'homme.

L'homme ne doit donc pas être dirigé par l'instinct ; ce n'est pas une connaissance innée qui doit assurer son instruction, il doit bien plutôt tirer tout de lui-même.

La découverte d'aliments, l'invention des moyens de se couvrir et de pourvoir à sa sécurité et à sa défense (pour cela la nature ne lui a donné ni les cornes du taureau, ni les griffes du lion, ni les crocs du chien, mais seulement les mains), tous les divertissements qui peuvent rendre la vie agréable, même son intelligence et sa prudence et aussi bien la bonté de son vouloir, doivent être entièrement son oeuvre. La nature semble même avoir trouvé du plaisir à être la plus économe possible, elle a mesuré la dotation animale des hommes si court et si juste pour les besoins si grands d'une existence commençante, que c'est comme si elle voulait que l'homme dût parvenir par son travail à s'élever de la plus grande rudesse d'autrefois à la plus grande habileté, à la perfection intérieure de son mode de penser et par là (autant qu'il est possible sur terre) au bonheur, et qu'il dût ainsi en avoir tout seul le mérite et n'en être redevable qu'à lui-même ; c'est aussi comme si elle tenait plus à ce qu'il parvînt à l'estime raisonnable de soi qu'au bien-être.

» III. Pourquoi distinguer nature et artifice ? C es considérations sur le caractère naturel de l'artifice amènent à reconsidérer la distinction qui existe entre nature et artifice : qu'apporte-t-elle ? C 'est une distinction opérée par l'homme ; et elle permet à l'homme de penser sa place dans le monde, place qui consiste en un affranchissement des contraintes de la nature notamment par le progrès technique, artificiel.

C ette distinction n'est peut-être pas nécessaire, mais elle est indispensable à l'homme pour penser son identité propre par rapport au monde dans lequel il est inclus, monde qui lui reste souvent obscur par ailleurs. Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral « Hélas ! l'homme, au fond, que sait-il de lui-même ? Et serait-il même capable un bonne fois de se percevoir intégralement, comme exposé dans la lumière d' une vitrine ? La nature ne lui cache-t-elle pas l'immense majorité des choses, même sur son corps, afin de l'enfermer dans la fascination d'une conscience superbe et fantasmagorique, bien loin des replis de ses entrailles, du fleuve rapide de ses flux sanguins, du frémissement compliqué de ses fibres ? Elle a jeté la clé : et malheur à la funeste curiosité qui voudrait jeter un oeil par une fente hors de la chambre de la conscience et, dirigeant ses regards vers le bas, devinerait sur quel fond de cruauté, de convoitise, d'inassouvissement et de désir de meurtre l'homme repose, indifférent à sa propre ignorance, et se tenant en équilibre dans des rêves pour ainsi dire comme sur le dos d'un tigre.

D'où diable viendrait donc, dans cette configuration, l'instinct de vérité ! ». »

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